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ETOUR À LA POLITIQUE et à l’engagement. Alors que se profile le « Festival de Cannes » du roman policier ( Quais du polar, à Lyon), le genre retrouve en France ses accents révolutionnaires des années 1970 et 1980. Le néo- polar, d’abord incarné par Jean-
Jean- Claude Izzo et Maurice G. Dantec. Les éditeurs, alléchés par le succès, s’emparent du genre. Plus de quarante ans plus tard, popularisé, mondialisé, biberonné aux nouvelles technologies, parfois objet de grandes campagnes marketing, le polar français n’a pas perdu de vue sa dimension sociale. Dans les rayons des librairies, à côté de Dominique Manotti, qui étrille depuis plus de vingt ans les dérives politiques et socio- économiques de notre pays, et des romans anticapitalistes de Jean- Bernard Pouy, toujours insurgé, s’illustrent de nouveaux auteurs adeptes des sujets brûlants. Tandis que Nicolas Mathieu et Marin Ledun pointent les dérives de l’ultralibéralisme au sein des entreprises, Pascal Dessaint s’attaque aux questions environnementales, Marie Vindy et Elsa Marpeau aux violences faites aux femmes et Patrick K. Dewdney à l’immigration clandestine. La liste des auteurs engagés est longue. « La tradition du polar français, qui a évolué avec la société, repose largement sur l’argument social » , estime Jeanne Guyon, qui vient de prendre la direction de la mythique collection Rivages/ Noir. Hélas, « face au polar engagé, le public, qui cherche d’abord à se divertir, ne suit pas toujours » , déplore Aurélien Masson, qui lance Équinox, première collection de romans noirs au sein des éditions Les Arènes. À son catalogue, une majorité d’auteurs français, dont des nouvelles voix très engagées et ( pour l’instant) peu connues, comme Thomas Sands, farouchement antimacroniste, Benoît Philippon, pro- féministe, et le Belge Patrick Delperdange, chantre des ruralités esquintées. Si le polar français revient à sa tradition sociale héritée des années 1980, il demeure néanmoins fidèle à ses influences américaines. En 1945, quand Marcel Duhamel fonde la Série Noire, il fait surtout traduire des auteurs d’outre-atlantique, désormais légendaires : Raymond Chandler, Jim Thompson... Jusqu’à l’arrivée du néopolar, la tendance est aux gangsters, aux privés, aux shérifs. À la fin des années 1990, le marché français se reprend de passion pour l’amérique, en lorgnant cette fois du côté du thriller. Jean- Christophe Grangé s’impose avec des best- sellers calqués sur le modèle US, suivi par Franck Thilliez, maestro du thriller scientifique, et Bernard Minier, qui fait la part belle aux serial- killers.
LE ROMAN NOIR franchit les frontières, cultive l’exotisme, réinvente l’espionnage. Les écrivains DOA, virtuose du thriller d’espionnage international, et Caryl Férey, qui fait voyager ses lecteurs de Nouvelle-zélande jusqu’en Amérique du Sud, font carton plein auprès du grand public, tout en s’attirant les faveurs de la critique littéraire, plutôt avare de compliments envers les auteurs de la « noire » . D’héritage en innovation, de tradition en hybridation, le panorama éditorial du noir se diversifie et s’enrichit sans cesse, dans la veine sociale et ailleurs. « Il faut publier ce qu’on aime, tout en sachant s’extraire de l’image de sa collection » , estime Jeanne Guyon, qui cherche notamment à « sortir du mépris de classe envers le polar historique » . À la rentrée prochaine, Rivages/ Noir publiera 1994, du journaliste algérien francophone Adlène Meddi, consacré à la « décennie noire » de l’histoire algérienne. Une voix très littéraire, un texte ultra- documenté. Et pour ceux que l’argument social déprime, un autre courant se consolide : celui du polar humoristique. Incarnée par Fred Vargas depuis vingt ans, la veine satyrique se renouvelle avec, entre autres, Franz Bartelt et Hannelore Cayre. Dans un secteur éditorial en pleine expansion et bien déterminé à miser sur le made in France, le polar n’a pas fini de rire, et encore moins de s’insurger.
ADIEU, ORDI CHÉRI. Avec l’avènement prochain du calculateur quantique, il se pourrait bien que nos vieilles bécanes du quotidien soient devenues complètement obsolètes, has- been car trop binaires ( disons has-binaires). Certes, ce n’est pas pour tout de suite, mais les choses s’accélèrent. En janvier dernier, lors du CES, Intel n’était pas peu fier de présenter son premier processeur à 49 qubits. Parallèlement, IBM annonçait avoir créé un prototype à 50 qubits, une machine expérimentale à la puissance inégalée atteignant la barre fatidique de la « suprématie quantique » , au- delà de laquelle même les super- calculateurs actuels ser aient dép assés. Les deux f irmes ont ainsi relancé la bataille que tous les géants de la tech ( Google, Microsoft...) se livrent depuis une vingtaine d’années. Alors le qubit, késako ? C’est un peu le jumeau maléfique du bit, son frangin en mieux. Le qubit a le don d’ubiquité. Il est là et pas là. Se basant sur l’état quantique, il possède la faculté de se superposer. Ainsi, quand le bit vaut 0 ou 1, le qubit, lui, peut valoir 0 ou 1, ou 0 et 1. En gros, il peut avoir plusieurs valeurs en même temps… Monde aussi fascinant qu’effrayant, l’univers quantique est cette superposition d’états qui fait qu’à l’échelle de l’infiniment petit, quelque chose peut simultanément être et ne pas être. Prends ça, Shakespeare ! Bien sûr, le calcul quantique, c’est encore plus complexe que ça, mais ce qu’il faut retenir, c’est qu’avec le qubit, l ’ information devient elle- même matière, permettant de multiplier de façon exponentielle les facultés d’un ordinateur.
AVEC DE TELLES MACHINES, les applications seraient inouïes. Opérations financières, bio- ingénierie, recherche neuronale, prévisions climatiques, cartographie du cosmos, fusion avec les intelligences artificielles… Le champ des possibles s’ouvrirait considérablement dans à peu près tous les domaines. Mais depuis quelques années, des voix s’élèvent contre les risques potentiels engendrés par ces processeurs, concernant notamment la sécurité informatique. Ces algorithmes surpuissants se révéleraient capables de décrypter en quelques secondes n’importe quelle communication électronique, n’importe quel code. De quoi remettre très légèrement en question la notion de confidentialité numérique. Mais que tout le monde se rassure, il reste encore de nombreux problèmes à résoudre avant qu’un calculateur quantique efficient ne voie le jour. Ainsi, le D-wave, élaboré au Canada depuis plusieurs années, ne serait pas aussi performant et rapide qu’espéré. Et Gil Kalai, mathématicien à l’université de Jérusalem, parle carrément de « mirage » . Il affirmait récemment dans la revue Quanta Magazine que des phénomènes de perturbation extérieure ( la « décohérence quantique » ) entraveraient inévitablement la manipulation de ces délicats processeurs… Un peu comme une erreur 404, mais à l’échelle des Minipouss. Alors question, le quantique est- il en toc ?