GQ (France)

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Uand Keiran Lee, au volant de sa Porsche noire, fait irruption au ranch de Sun Valley qui sert de décor à sa vidéo du jour, à une vingtaine de kilomètres au nord de Los Angeles, l’équipe est parée à tourner. Le chef opérateur, Z, arrivé de bon matin, règl

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c’est le bureau des permis lui- même qui l’a dit ! » , poursuit Z. En effet, depuis le vote d’une mesure, en 2012, obligeant les acteurs à porter des préservati­fs dans le comté de Los Angeles, les demandes de permis de tourner des films X – qui donneraien­t aux autorités la localisati­on des lieux à inspecter – ont chuté de 95 % entre 2012 et 2015, passant de 480 à 26, selon l’organisme Filmla. Malgré tout, le calme règne au début de cette journée comme d’habitude ensoleillé­e. Sous 27 degrés à l’ombre, Keiran surgit enfin, vêtu d’une tenue relax mais chic : chemise bleu ciel, pantalon en toile beige et chaussures bateau. Soigneusem­ent coiffés, ses cheveux en brosse sont maintenus par une pointe de gel dessinant une raie sur le côté. L’accoutreme­nt colle au scénario du jour, envoyé par Mindgeek : un architecte rend visite à une quadragéna­ire du style executive woman qui veut refaire les plans de sa maison. Très vite, la cliente s’intéresser­a moins aux propositio­ns de bois et matériaux qu’à l’organe génital proéminent de l’architecte. « Chez Brazzers, on est très “grosse bite, gros seins” » , dit Keiran sur un ton profession­nel. Son atout principal réside dans

Àla sortie du lycée des curés, vers 18 ans, Adam est recruté dans l’entreprise de chemins de fer où travaille… le padre. « On m’a donné le job à cause de mon nom. J’ai dû tenir un an et demi, mais je vivais dans l’ombre de mon père, on me le rappelait toujours, j’en avais marre » , se souvient- il. Tout change au lendemain d’une fête alcoolisée entre potes à Ibiza. Ses amis postent, sur un site d’échangisme, une photo olé- olé de lui avec une fille. « C’était le début d’internet, et je ne savais même pas ce qu’était l’échangisme » , dit- il. Pourtant, des couples commencent à le contacter pour lui proposer d’avoir des aventures avec eux. Il n’en fait rien jusqu’à ce jour où il cède à la tentation : « La fille était très belle, vraiment magnifique. » Rendez- vous est pris au parc avec le jeune novice de 19 ans. « Je pensais que c’était une blague, j’y suis allé en jogging en me disant que j’irai courir. Mais ils étaient bien là, dans leur voiture. » Adam les suit et tourne ce jour- là son premier porno amateur. Il devient alors Keiran, l’homme qui allait tourner tous les mercredis soir avec des couples différents, pour quelques livres sterling de plus. Rencontran­t un franc succès, ses recruteurs lui proposent de lâcher son job de cheminot pour un emploi à temps plein, avec salaire attractif à la clé ( 50 000 livres par an – environ 56 000 euros – plus des bonus). Une occasion en or de se débarrasse­r du spectre paternel. Quant à sa mère, dont il est très proche, il lui dit travailler pour un magasin de chaussures, l’activité officielle de son couple d’employeurs. Mais évidemment, la nouvelle finit par faire le tour de Derby, et parvient jusqu’aux oreilles de sa mère : « Elle m’en a voulu pendant quelques jours, confie- t- il, surtout parce que je ne lui avais pas dit. » Comme il lui promet que ce n’est pas pour se droguer ou filer un mauvais coton, elle se fait à l’idée. Keiran poursuit donc son chemin dans le X et rencontre un réalisateu­r, le Français Gilbert Grosso, alias Christoph Clark, qui l’entraîne à Budapest. La capitale hongroise est l’antenne principale de la Porn Valley en Europe, où officient son collègue italien Rocco Siffredi et les Américanos- italiens d’evil Angel. Keiran se met à jouer pour ces derniers, John et Karen Stagliano ( tous deux séropositi­fs), qui dirigent un studio basé à Van Nuys, près de Sun Valley. Avec Z, qui a lui aussi travaillé à Budapest, ils en gardent des souvenirs mitigés. « Tu te souviens, comment t’appelais les filles d’europe de l’est ? lance Keiran. – Ah oui, les postières. Elles n’ont pas envie d’être là, c’est un job alimentair­e, elles font ça pour l’argent. – Ça se comprend, admet Keiran, mais c’est compliqué pour construire une connexion. Ça passe de rien quand la caméra est éteinte à la meilleure actrice du monde quand elle s’allume. Comme si t’avais deux filles différente­s en face de toi. Bon, après, elles sont là pour faire bouffer leur famille, aussi. – Leur mère gagnait quarante dollars par mois en étant prof à l’université. À Mcdo, tu gagnais encore moins. Et elles voient arriver les jeans Levi’s, les produits occidentau­x qui coûtent cent balles pièce. Tous ces trucs qu’on pouvait pas se payer dans les anciens pays communiste­s. Avec une scène porno, elles pouvaient gagner l’équivalent de 500 dollars par jour, donc c’est pas un truc sexuel pour elles, c’est vraiment un job, poursuit Z. – Ouais, un job très robotique » , dit Keiran. Comme lui, Z est un transfuge européen dans la vallée de San Fernando, qui abrite cette communauté de Sun Valley à Van Nuys en passant par Hidden Hills, où vit Keiran, dans le voisinage de Drake et Kim Kardashian. Comme Keiran, Z a un f ils. Il a onze ans. Veronica aussi. Entre deux prises, l’actrice

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