GQ (France)

Jeff Goldblum « Le faux m’a rendu plus vrai ! »

Il occupe l’écran depuis quarante ans, mais le culte dont il fait l’objet sur Internet et à Hollywood est récent. Jeff Goldblum revient en juin dans la suite de Jurassicwo­rld, alors on a essayé de comprendre ce décalage temporel.

- Par Étienne Menu

V

OUS ÊTES VENU DE PARIS juste pour moi ? Mais il ne fallait pas ; vous devez être épuisé. Vous voulez un café ? » Le gentleman d’ 1,94 m qui s’adresse ainsi à nous s’appelle Jeff Goldblum. Cet acteur américain nous reçoit avec les mêmes égards que si nous étions les invités d’honneur de sa soirée d’anniversai­re. Sauf qu’il est 10 heures et que nous nous trouvons dans un camion- loge sur le parking des studios Universal à Los Angeles, où l’acteur participe à la promotion de Jurassicwo­rld:fallen

Kingdom. Mais Goldblum préfère se raconter des histoires et ce n’est pas parce qu’il ne tourne pas qu’il va s’interdire de jouer. Car cet hercule charmeur et burlesque, révélé grâce à La Mouche en 1986 puis confirmé dans les années 1990 par Jurassic

Park et Independen­ce Day, est avant tout un « joueur » de génie plutôt qu’un « grand acteur » au sens un peu pontifiant du terme. « Ce qui m’a intéressé dès ma jeunesse dans le métier d’acteur, c’était le jeu, jouer avec d’autres, se transforme­r, sortir de soi. Mes seuls modèles étaient Chaplin et Peter Sellers ! Ce qu’ils faisaient de leur corps me subjuguait » , se souvient- il en souriant. Ce corps qui déborde souvent du cadre et en dit presque trop, ce visage sculpté et oriental, ces expression­s complexes et ces choix éclectique­s de films ont longtemps cantonné Jeff Goldblum à un statut d’éternel outsider ou de second rôle mémorable. On était ravi de voir sa tête, mais on n’allait pas au cinéma juste pour lui. Lui, d’ailleurs, n’a jamais eu l’air d’en prendre ombrage et a poursuivi sa carrière en esprit libre. Et puis, ces dix ou quinze dernières années, son accueillan­te étrangeté a f ini par conquérir la planète... sans qu’il y soit pour grand- chose. Des images de lui ont fait l’objet d’une avalanche de mèmes sur Internet. Plus fou encore, son visage est devenu un classique des salons de tatouage.

C’EST WES ANDERSON qui a lancé le mouvement en faisant jouer Goldblum dans

La Vie aquatique en 2004. On le croise ensuite au côté des comiques « borderline » Tim & Eric en 2007, avant qu’il n’intervienn­e dans l’hilarante série Portlandia en 2012. En octobre dernier, nos confrères du GQ américain lui consacraie­nt un long papier farci d’anecdotes, d’éloges et d’analyses récoltées à la volée auprès de ses collègues et amis. Il est aujourd’hui une mascotte, mais une mascotte qui fascine autant qu’elle attendrit, comme si on ne comprenait toujours pas pourquoi on a mis si longtemps à saisir la singularit­é de son charisme. Et quand on lui demande ce que les gens ont récemment pu découvrir en lui, pour quelles raisons son visage et son corps ont- ils été convertis en mèmes, il répond timidement : « Quand je vois mon image sur Internet, je me dis que c’est l’occasion pour moi de continuer à dissoudre mon ego [l’acteur est bouddhiste depuis des années, ndlr]! Mais je ne saurais pas dire pourquoi le public semble faire plus attention à moi

aujourd’hui qu’hier. J’imagine que mon éclosion s’est déroulée lentement… même si, dès mes débuts, j’ai toujours été enchanté en faisant mon métier. Ça, c’est une certitude ! » De ses premiers rôles jusqu’à son caméo dans Fallenking­dom, il se dégage en effet de chaque apparition de Jeff Goldblum une jubilation palpable. « Si je réussis encore à jubiler, précise- t- il, c’est que je travaille encore de façon très scolaire, je réfléchis à l’histoire de mes personnage­s, j’imagine leur passé… Bon, dans le cas de Fallen Kingdom, comme dans celui d’independen­ce

Day: Resurgence, je n’en ai pas vraiment eu besoin puisqu’il s’agissait de gens que j’avais déjà joués ! » nuance- t- il d’un regard taquin. Ces deux blockbuste­rs nineties réactivés ces dernières années ont été de gros vecteurs de notoriété pour Goldblum, après, bien sûr, le carton de La Mouche en 1986. À l’époque de la sortie du classique de Cronenberg, le natif de Pittsburgh a déjà 34 ans. Sa beauté baroque et sa silhouette massive et dégingandé­e sont apparues dans Annie Hall ( 1977) de Woody Allen, puis dans

L’étoffedesh­éros ( 1983) ou Sérienoire­pour nuits blanches ( 1985). Mais aussi dans des f ilms de genre comme L’invasion des pro

fanateurs ( 1978) ou Threshold ( 1981). Séries B, films d’auteur, succès populaires, Goldblum préfère se nourrir de toute la diversité de ce qu’on lui offre plutôt que de suivre une feuille de route. « Jouer autant de rôles différents a changé ma vie. Jouer, on dit que c’est mentir, que c’est agir pour de faux. Mais dans mon cas, je crois que le faux m’a rendu plus vrai ! Car pour jouer, il faut observer, s’imprégner de ce qui vous entoure. J’ai appris à être présent au monde, sans attendre de résultat immédiat, comme quand je médite. Et aujourd’hui, cette attention semble résonner chez les gens qui me regardent ou qui jouent avec moi. »

MALGRÉ L E SUCCÈS de La Mouche, Jeff Goldblum n’a toujours pas de stratégie de carrière à la fin des années 1980. Il essaie des choses, va vers ce qui lui paraît drôle, étrange, inattendu. Il joue ainsi un extraterre­stre en 1988 dans Objectif Terrienne, ou traverse ce qu’il décrit comme une « petite période française » : en 1986, il tourne à Paris pour son vieil ami Robert Altman (Beyond

Therapy), puis à la campagne au côté de Jean- Pierre Cassel et de Daniel Gélin ( oui oui) dans Mister Frost ( 1990). La même année, on le retrouve en ex- mari d’anémone ( oui oui bis) dans Le Rêve du singe fou, un polar morbide qui explore les bas- fonds de la capitale. « Des films étranges mais très beaux, j’ai adoré les faire ! D’ailleurs, vous savez peut- être que ma femme [Emilie Livingston, ancienne médaillée olympique

degymnasti­que] est française par sa mère ? Elle parle français à nos deux enfants ! » Après ces années d’errance constructi­ve, Goldblum embraye alors sur du très sérieux. En 1993, Steven Spielberg le caste dans Jurassic Park pour jouer Ian Malcolm, mathématic­ien dragueur au look mi- grunge mi- cyberpunk. Son surmoi de scientifiq­ue perturbé rejoint son ça de séducteur horscadre : un profil qu’il reprendra entre autres en 1996 dans Independen­ceday, puis l’année suivante dans Lemondeper­du, la suite de Jurassic Park dans laquelle il tient cette foisci le tout premier rôle. Goldblum est désormais riche et serein : « Le succès de ces trois films a rendu ma vie beaucoup moins stressante » , reconnaît- il. Il se plonge dans la méditation et ne tourne qu’avec parcimonie. Très bon client en promo télé, ses apparition­s sur le plateau du présentate­ur Conan O’brien sont des classiques compilés sur Youtube. Et ainsi s’impose son sta - tut d’exception : celui d’un quinquagén­aire qui n’a plus rien à prouver car il n’a jamais cherché qu’à jouer et à communique­r son amour du jeu. « J’imagine que je dois avoir quelque chose d’un peu étranger au monde, mais en même temps, je m’en sens vraiment citoyen, de ce monde ! » Fin 2017, il jouait un maître du monde, Grandmaste­r, dans Thor: Ragnarok et offrait une scène de mime mémorable. « Mais je ne vous ai pas dit, je viens de tourner avec un comédien français fantastiqu­e, il est mime aussi, Denis Lavant. Vous connaissez ? » Le film en question, The

Mountain, sortira à la fin de l’année. Entretemps, on aura entendu la voix suave de Goldblum le 11 avril dans L’île aux chiens de Wes Anderson. Une voix qui, rappelons- le, a aussi été celle de nombreuses campagnes Apple, dont celle pour le premier imac, en 1998. Malgré ce haut potentiel vocal, Jeff Goldblum ne chante pas. Mais il est pianiste de jazz tous les vendredis dans un club de LA, le Rockwell. « J’ai découvert le jazz en même temps que la comédie. Quand j’ai plaqué mes premiers accords syncopés, ça m’a rendu fou de joie ! Je crois que la joie que j’éprouve à jouer du jazz est comparable à celle que j’éprouve à jouer mes rôles. » Et le rap, alors, qu’en pense- t- il, lui qu’on a vu sur Instagram faire du shopping avec la star Quavo, du trio Migos ? Il écarquille les yeux et murmure : « C’est un garçon charmant mais je dois avouer que je n’ai pas encore écouté sa musique. C’est comment ? » C’est bien, lui répond- on, un peu loin du jazz, même si ça reste très syncopé. Une collaborat­ion à venir, peut- être ? Espérons- le. Derrière son piano, Jeff fera sûrement mouche.

JURAS SICWORLD:FALL EN KING DOM DEJU AN AN TON IOBAYO NA, SORTIE LE 6 JUIN. L’ÎLE AUX CHIENS DE WES ANDERSON, EN SALLES.

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 ??  ?? Jeff Goldblum dans Objectifte­rrienne en 1988 ( 1), Betweenthe­lines en 1977 ( 2), Lesaventur­esde Buckarooba­nzaïàtrave­rsla8e dimension en 1984 ( 3), Lamouche en 1986 ( 4), Independen­ceday en 1996 ( 5) et Lavieaquat­ique en 2004 ( 6).
Jeff Goldblum dans Objectifte­rrienne en 1988 ( 1), Betweenthe­lines en 1977 ( 2), Lesaventur­esde Buckarooba­nzaïàtrave­rsla8e dimension en 1984 ( 3), Lamouche en 1986 ( 4), Independen­ceday en 1996 ( 5) et Lavieaquat­ique en 2004 ( 6).
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 ??  ?? Master Jeff dans Jurassic Park ( 1), heureux de retrouver ses amis dinosaures dans Jurassic World:fallen Kingdom ( 2).
Master Jeff dans Jurassic Park ( 1), heureux de retrouver ses amis dinosaures dans Jurassic World:fallen Kingdom ( 2).
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