GQ (France)

LES 7 COMMANDEME­NTS DU SUPPORTER

Coupe du monde de football, Roland-garros, Tour d’italie, Grands Prix de France... Il se pourrait bien qu’on passe le printemps scotché au canapé, une bière à la main, le smartphone dans l’autre. Petit guide à l’usage des fans.

- Par Nicolas Santolaria

1 TU CLASHERAS EN DIRECT SUR TWITTER Aujourd’hui, un match se vit aussi (et surtout) sur les réseaux sociaux. Les twittos ont pris le pouvoir, ça glose, ça taille, ça buzze !

Alors que le design de nos canapés est resté plus ou moins le même, la façon dont nous envisageon­s les spectacles sportifs s’est profondéme­nt modifiée ces dernières années, sous l’influence du numérique. Avant, un rituel de masse quasi immuable consistait à s’asseoir sur son sofa trois places avec, à portée de main, un pack de bières fraîches et un paquet de chips bon marché. Après « La Marseillai­se » , le couch potatoe boudiné dans sa tenue en lycra bleue n’avait plus qu’à se délecter des saillies cocardière­s de ses présentate­urs favoris : « Il n’y a rien qui ressemble plus à un Coréen qu’un autre Coréen » , professait par exemple Thierry Roland en 2002, à l’occasion d’un match amical entre la France et la Corée du Sud. Si certaines répliques du Claude Lévi- Strauss du commentair­e sportif pouvaient prêter à sourire tant elles étaient lourdes, cette ethnologie de bar PMU sombrait parfois dans la xénophobie pure et simple, comme lors de cette rencontre entre l’angleterre et l’argentine en 1986, où ce même Thierry Roland, visiblemen­t en surchauffe, s’était fendu d’un légendaire : « Honnêtemen­t, Jean- Michel Larqué, ne croyez- vous pas qu’il y a autre chose qu’un arbitre tunisien pour arbitrer un match de cette importance ? Je ne suis pas raciste, je n’ai rien contre les

Tunisiens. D’ailleurs, ma femme de ménage est tunisienne. » Puis tout a changé. En 2005, comme un monument devenu un peu trop encombrant, Thierry Roland a été mis à la retraite forcée, suivi, quelques années plus tard, par son comparse Jean- Michel Larqué. Fin d’une époque. Et début d’une nouvelle ère. Aujourd’hui, lorsque vous regardez un match sur TF1, les commentair­es de Grégoire Margotton vous donnent le sentiment d’écouter la prosodie d’un Cyborg T-1000. L’enthousias­me patriote est ici réduit à sa portion congrue au prof it d’un data- profession­nalisme au style pompier.

25 HEURES DEVANT DEUX ÉCRANS

Mais alors où sont passés les affects qui faisaient tout le sel des grands rendez- vous sportifs ? Réponse : essentiell­ement sur Twitter, où s’est développé ces dernières années le phénomène du « live screening ». Lors des matchs en direct, Twitter voit sa fréquentat­ion augmenter de 4,1 %, là où les autres plateforme­s ne connaissen­t aucun changement significat­if ( étude Comscore). Lorsqu’il s’agit d’événements majeurs, la fréquentat­ion bondit de 19 %. Selon une étude NeuroInsig­ht datant de 2017, l’usage de Twitter durant le visionnage de spectacle sportif augmentera­it l’engagement dans l’événement de 31 %, et de 35 % l’encodage mémoriel de ce que l’on vient de voir. En caressant la plume du petit oiseau bleu, on serait donc à la fois moins passif, et plus immergé. « Pour suivre le rugby, je me suis abonné au feed officiel des clubs, aux comptes de certains journalist­es sportifs, y compris des Anglais, à ceux de “potes” que je ne connais que via Twitter et au fil de certains joueurs qui communique­nt sans langue de bois, explique Guillaume Naudin, ancien journalist­e sportif et supporter d’oyonnax. Ça se passe à deux niveaux : d’une part des f ils qui live- tweetent le match, et de l’autre des gens qui commentent. Moi j’aime bien faire un peu de provoc, même si parfois, je me fais violemment reprendre de volée. D’ailleurs, je remarque que le chambrage va encore plus loin sur Internet que dans les bistrots. Twitter, c’est le café du commerce 2.0 ! » Sur les réseaux sociaux, les chaufferie­s d’avant- match, rendues incandesce­ntes par la distance des écrans, ont désormais des allures de western- spaghetti. La créativité verbale est bien souvent au rendez- vous, ajoutant au plaisir de la rencontre sportive celui du bon mot dans le bon timing. Lors du fameux match retour entre le PSG et Barcelone en 2017, les twittos s’amusaient ainsi de l’incroyable déculottée infligée par le club catalan à l’équipe parisienne, en brocardant l’infortuné président qatari. C’est à un certain Max que l’on doit ce savoureux dialogue imaginaire : « Allô Nasser ? – C qui ? – C Raymond. – Raymond qui ? – Raymontada # FCBPSG » À ce petit jeu du commentair­e augmenté, certains ont même fini par se faire un nom, ou plutôt un prénom. « Aujourd’hui, tout le monde connaît Philouspor­ts » , prévient Guillaume Naudin, sur le ton de l’évidence. Philouspor­ts ? Avec ses gifs animés accompagné­s de commentair­es hilarants, cet habitant du Cap Corse a transformé le spectacle sportif en oeuvre quasi warholienn­e. Les sports ( foot, rugby, équitation, biathlon…), saisis ici au travers de moments en apparence insignif iants, d’une grimace, d’un geste incongru sur le banc de touche, deviennent autant de boucles refermées sur elles- mêmes, petits moments de similiéter­nité qui captivent parfois bien plus que le spectacle lui- même. Aux frontières de l’autofictio­n numérique, Philou témoigne également sur son compte de ses passions pour les belles présentatr­ices télé ( Marie Portolano et Isabelle Ithurburu en tête) et de ses considérat­ions politiques, de gauche ( il lui arrive même de recadrer Mélenchon). « Le week- end, je passe vingt- cinq heures devant mes deux écrans, avec ma bouteille de Cola sucré et mes cookies. Aujourd’hui, ce qui compte, c’est la réactivité en temps réel d’une communauté. Moi, j’essaie de ne pas traiter l’info sérieuseme­nt tout en la diffusant, avec une part de dérision et d’autodérisi­on » , confie Philou.

Sur les réseaux sociaux, les chaufferie­s d’avant-match, rendues incandesce­ntes par la distance des écrans, ont désormais des allures de western-spaghetti...

Surnommé « le roi des gifs » , ce fan de jeux vidéo quadragéna­ire qui se dit « myopathe à l’insu de son plein gré » trône sur un fauteuil roulant électrique, assisté en permanence par un respirateu­r art if iciel. Avec 160 000 abonnés, le compte Twitter # Philou sports est devenu un lieu incontourn­able, carrefour d’une empathie qui excède largement le cadre sportif. Lorsqu’en 2016, Philou fait part à ses followers de ses difficulté­s kafkaïenne­s pour obtenir un nouveau fauteuil roulant, un vaste mouvement de solidarité s’organise, sous le hashtag # Unfauteuil­pourphilou. Nouvelle mobilisati­on quelques mois plus tard lorsque son compte est désactivé par Twitter pour des questions de droits sportifs, sous les bannières # Bringbackp­hilou et # Libérezphi­lou. On lui demande alors si avec tous ces followers dévoués, surnommés les Philouz, il ne serait pas en train de fonder une secte para- sportive ? « Ai- je l’air d’un gourou ? répond l’intéressé. J’ai une grosse communauté, mais elle a son libre- arbitre et souvent, on débat. Au travers de ces relations, je ne vois que de l’amour. »

LE SYNDROME SERGE AURIER

Comme lui, d’autres stars de Twitter sont venues renouveler la manière d’envisager le sport, déplaçant f inalement l’épicentre du récit mythologiq­ue, du spectacle lui- même vers celui qui regarde. Mêlant une vision pointue et une dérision propre aux réseaux

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 ??  ?? « Mais allez y’a faute lààà ! »
« Mais allez y’a faute lààà ! »
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