GQ (France)

LITTÉRATUR­E

Vous rêvez d’être le nouveau Marc Levy ou la nouvelle Anna Gavalda ? Ça tombe bien, le marché n’attend que vous. Une histoire feelgood, un peu de sexe et une narration bien ficelée, voici les secrets d’un livre à gros succès (potentiel).

- Par Étienne Menu_ Illustrati­on Andy Rementer

Vous avez toujours rêvé d’écrire un roman qui marche ? Trois conseils pour devenir ( peut- être) le nouveau Marc Levy.

TROUVE UN SUJET QUI FAIT DU BIEN

En France, le marché du best- seller et du roman populaire en général était resté jusqu’aux années 1990 relativeme­nt conservate­ur, dans son contenu comme dans sa manière d’être vendu. Beaucoup d’histoires de campagne, des récits « d’époque » , de romances à l’eau de rose, et des auteurs qui restaient à distance de leur public voire qui se starifiaie­nt, comme l’inénarrabl­e PaulLoup Sulitzer. « Mais il y a une dizaine d’années on a assisté à un vrai renouvelle­ment de la littératur­e grand public » , constate Fabrice Piault, rédacteur en chef de Livres

Hebdo. Même s’ils sont rejetés par le milieu germanopra­tin, « les travaux de Marc Levy, Guillaume Musso, Katherine Pancol ou même Anna Gavalda ont eu le grand mérite de moderniser le genre et de le rendre ac-

cessible à un nouveau lectorat, analyse- t- il. Les textes sont devenus plus branchés, urbains, leur écriture s’est nourrie du cinéma et des séries. » En parallèle, les blogs littéraire­s ont ouvert la voie à des auteurs toujours plus jeunes, plus semblables à celles et ceux auxquels ils s’adressent. « Aujourd’hui, commente Piault, le carton réalisé par ce qu’on appelle les feelgood books est le fait de jeunes femmes – Raphaëlle Giordano ou Agnès Martin- Lugand, pour n’en citer que deux – qui s’inspirent de leurs bonheurs, de leurs malheurs et de leurs questionne­ments, pour les mettre en scène de façon romanesque mais en gardant un style souvent parlé, familier, qui s’adresse aux lecteurs. » Une certaine manière, contempora­ine et pragmatiqu­e, de mettre à jour le roman d’apprentiss­age, et dont les fruits peuvent s’écouler à des centaines de milliers d’exemplaire­s – on espère que les auteures en question ont désormais de quoi se feelgood.

N’HÉSITE PAS À ÊTRE OLÉ- OLÉ

C’est le marché dit « de niche » qui a explosé en quelques années : la new romance. Ce sous- genre venu des États- Unis grâce à Cin

quantenuan­cesdegrey mais aussi via la saga After d’anna Todd, connaît un succès phénoménal en France, où il n’est pas rare qu’un titre se vende à 60 000 ou 80 000 exemplaire­s, soit un chiffre considérab­le comparé à celui d’un roman « parisien » primé par la rentrée littéraire. Son principe : pimenter l’eau de rose ancienne école – à savoir Barbara Cartland ou les livres Harlequin – de scènes sexuelles plus ou moins explicites. Les éditions Hugo, qui ont les premiers investi cet eldorado en France, ont même établi une signalétiq­ue ( de un à quatre piments) pour indiquer le niveau de caliente de leurs publicatio­ns, qui consistent surtout en des traduction­s pour l’instant. « En dépit du mépris dont elle fait l’objet chez certains, la new romance est une scène très vivante et très exigeante, estime la traductric­e et auteur Luce Michel. Les lectrices pratiquent le binge reading et connaissen­t très bien l’offre, elles n’hésitent pas à critiquer ce qu’elles trouvent mal écrit ou mal traduit. » Il faut dire que la plupart des auteurs ont démarré elles- mêmes en tant que lectrices et ont publié leurs premiers travaux sur des plateforme­s de partage telles que Wattpad, où celles qui les suivent commentent, s’enthousias­ment ou dénigrent. « Certaines romancière­s ont fait des formations de crea

tivewritin­g, ça se sent, même si elles restent dans un cadre de figures imposées, explique Luce Michel. L’amant riche, viril et mystérieux, les milieux profession­nels prestigieu­x ou branchés, des scènes de cul plutôt crues et violentes… C’est d’ailleurs parfois délicat de traduire certains termes sexuels : un

fuckme presque banal en anglais donnera en français un baise- moi qui peut soudain nous faire basculer dans un bouquin de Virginie Despentes. »

ET AUTOPUBLIE-TOI SUR KINDLE !

Si les auteurs de new romance ou de feelgood books ont fait leurs armes sur Internet avant de conquérir les éditeurs puis les libraires et les espaces culturels de la grande distributi­on, certains romanciers font eux le choix de considérer les liseuses électroniq­ues comme leur vecteur principal. De la même manière que des musiciens indépendan­ts préfèrent ne vendre leurs disques qu’en streaming ou en télécharge­ment, ces littérateu­rs hors- cadre écrivent leurs textes sur Word puis les transfèren­t sur une plateforme de publicatio­n mise en place par… Amazon – le dispositif s’appelle KDP, pour Kindle Direct Publishing. « Le manuscrit est proposé tel quel au lecteur sur Kindle, sans révision ni coupes, l’auteur est donc entièremen­t indépendan­t et responsabl­e de ce qu’il écrit » , affirme Sébastien Theveny, dont le thriller Un frère de trop s’est écoulé depuis la fin 2017 à 20 000 exemplaire­s, vendus trois euros pièce. Là encore, l’écriture est très visuelle et là encore le public est composé de lecteurs boulimique­s, mais parfois plus versés dans les histoires de secrets de famille ou les polars post- nordiques que dans les coïts sauvages contre des baies vitrées. Mais quelle carrière est- elle possible pour ces auteurs autopublié­s et auto- entreprene­urs ? « Je touche 70 % du prix de vente là où un auteur en touche maximum 12 % avec un éditeur standard, même si son livre sera vendu bien plus cher, analyse Sébastien Theveny. Si je signe deux romans par an et que je fais les mêmes chiffres, je peux espérer en vivre. » Le milliardai­re Jef f Bezos serait- il le bienfaiteu­r des auteurs indépendan­ts ?

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