GQ (France)

COMMENT EXÉCUTER UNE MILLIARDAI­RE

C’est l’affaire qui secoue tout Monaco. Le 17 septembre prochain s’ouvrira le procès de Wojciech Janowski, commandita­ire présumé du meurtre de sa belle-mère, Hélène Pastor, richissime propriétai­re monégasque. Le mobile ? L’appât du gain, bien sûr !

- Par Xavier Monnier et Olivier - Jourdan Roulot Illustrati­ons Stikstok

Retour sur le meurtre de la milliardai­re Hélène Pastor

C’ EST L’UNE DE CES SOIRÉES où la haute société de la Principaut­é aime faire la démonstrat­ion de sa générosité. Un gala caritatif au Sporting Monte- Carlo, la salle mythique des événements mondains monégasque­s, inaugurée en 1974 par Joséphine Baker, donné par l’associatio­n monégasque de lutte contre l’autisme ( Monaa), avec un concert d’umberto Tozzi pour stimuler les dons. En cette nuit de novembre 2012, les têtes couronnées ( ou déchues) défilent tout sourire sous les flashs crépitants : l’infante Pilar d’espagne, le prince Serge de Yougoslavi­e, le duc de Castro ou Marie Marguerite, la duchesse d’anjou. Sans oublier son altesse sérénissim­e le prince Albert de Monaco, venu donner sa bénédictio­n à l’événement avec son épouse, la princesse Charlène. Le couple régnant immortalis­e le moment en compagnie d’emmanuel Falco, le fils de l’ancien ministre UMP, organisate­ur des agapes. Sur la photo, seule manque la cheville ouvrière de l’opération, capable de mobiliser tant de bonnes volontés en quelques mois d’existence à peine : Wojciech Janowski, le vice- président de la Monaa. Un sexagénair­e avenant que les gazettes ignorent, absorbées par l’éclat du couple princier. Le consul honoraire de Pologne à Monaco présente pourtant un profil peu commun. Enfant de la Pologne communiste, étudiant exilé en Angleterre, Wojciech Janowski commence sa carrière à Monaco au milieu des années 1980. Recruté par la prestigieu­se Société des Bains de Mer, entreprise d’état qui règne sur les palaces et les casinos de la Riviera, le jeune homme occupe pendant une poignée d’années le poste de directeur du Grand Metropolit­an ( Royaume- Uni) avant de se lancer dans les affaires. D’abord dans une boîte chargée de réinvestir les pétrodolla­rs koweïtiens, économie mise à

mal par la première guerre du Golfe, ensuite en papillonna­nt – du pétrole aux nanotechno­logies – à compter des années 1990 à travers une galaxie de sociétés implantées au Luxembourg, à Chypre, en Angleterre, au Canada ou encore en Pologne. Une boulimie synonyme de revanche : lui- même homme d’affaires, le propre père de Janowski a perdu son entreprise et tous ses biens au moment des nationalis­ations intervenue­s dans une Pologne passée dans le bloc de l’est. Il a transmis le virus au fils, dont le charme n’a pas convaincu que la seule Charlène, devenue la présidente d’honneur de l’associatio­n Monaa. À la fin des années 1980, l’énergie du petit immigré polonais séduit l’un des plus beaux partis de Monaco, Sylvia Ratkowski, la fille d’hélène Pastor, un nom qui pèse en Principaut­é. Des buildings signés Pastor, la ville en est truffée. « Pastor » s’affiche partout, sur les façades des résidences et des immeubles, les grues de chantier, les panneaux publicitai­res annonçant des nouveaux programmes forcément exceptionn­els. La famille possède encore aujourd’hui un quart de la ville, environ 5 000 appartemen­ts sur les 20 000 recensés sur le Rocher. Soit une fortune estimée à 20 milliards d’euros léguée par le patriarche Gildo à ses trois enfants, Victor, Michel ( éphémère patron de L’AS Monaco) et Hélène. Au bas mot dix fois plus que le prince luimême. Surtout, les Pastor sont intimement liés à l’histoire du Monaco moderne imaginé par Louis II, réalisé par Rainier III et capitalisé par Albert II. Immigrés débarqués au début du XXE siècle, ces maçons ligures devenus entreprene­urs en BTP et promoteurs ont construit une grande partie de la cité avant de la mettre en location. Une preuve de leur inventivit­é et des bonnes relations qu’ils entretienn­ent avec le palais.

RECONNAISS­ANCE MONDAINE

Sylvia et Wojciech se sont rencontrés à Monaco dans une soirée au cours de l’été 1986. Tous les deux en instance de divorce, ils passeront d’ailleurs la fête à évoquer leur séparation respective, ça rapproche. Après avoir pensé s’installer à Londres, ils décident de rester à Monaco, où les affaires familiales retiennent Sylvia. Au sein du clan, l’arrivée du roturier polonais fait un peu grincer les dents. Gildo Pallanca, le demi- frère de Sylvia, est resté très proche de son premier mari. Peu connue pour son empathie, Hélène Pastor apprécie moyennemen­t Wojciech. Mais le temps fait son oeuvre et les sourires un peu figés f inissent par se décrisper au f il des années. La première f ille de Sylvia considère Janowski comme son père et, en 1996, le foyer s’agrandit avec la naissance de Lara. Mari attentionn­é, père aimant, Wojciech Janowski s’efforce d’intégrer les us et coutumes de cette grande famille monégasque, parfois décrite comme une famille princière bis. Symbole de la détente des relations, sa belle- mère lui offre même un service à vodka en 2012… Sur le terrain mondain, les marques de reconnaiss­ance se multiplien­t. En 2007, le ministère des Affaires étrangères polonais nomme Janowski consul honoraire à Monaco ; Nicolas Sarkozy lui remet en 2010 la médaille du Mérite pour saluer son action philanthro­pique, encore couronnée de

succès avec près de 230 000 euros de dons récoltés lors du deuxième gala du Monaa en 2013, animé par Stéphane Bern devant une cascade de célébrités et, toujours, le couple princier. Janowski nage dans le bonheur. De l’aveu même de son beau- frère Gildo, ce soir- là, son beau- frère ne touche plus sol : « Il disait qu’il s’était mis la famille princière dans la poche. » La belle histoire se fissure le 6 mai 2014, en tout début de soirée. La journée s’est pourtant bien passée. Le matin, Janowski a pris un avion vers la Pologne. Il demande avec insistance à son épouse Sylvia de ne pas rendre visite à son frère aîné ce jour- là. Gildo Pallanca, victime d’un accident vasculaire cérébral à seulement 47 ans, est soigné à l’archet, un hôpital niçois. Chaque jour ou presque, Hélène Pastor fait la route depuis Monaco. Et appelle sa fille, au retour. ALLO, C’EST POUR UN TAXI

Ce mardi- là, à 19h50, le téléphone de Sylvia sonne. Ce n’est pas Hélène mais Paul Masseron. Le ministre de l’intérieur vient aux nouvelles et demande à Sylvia si elle sait où est sa mère : le chef de la police monégasque a été averti qu’une fusillade a éclaté à Nice, autour de l’archet. Quelques minutes passent et Sylvia rappelle le ministre pour lui dire qu’elle ne parvient pas à la joindre. Masseron lui conseille de se rendre à l’hôpital Saint- Roch et confirme l’informatio­n : à la sortie de L’ARchet, devant plusieurs témoins et dans le champ de vision de la caméra n° 389 du réseau de vidéosurve­illance de la ville, le Lancia Voyageur noir d’hélène Pastor, immatricul­é H184, a été pris pour cible par un tireur. Elle est grièvement blessée, tout comme son chauffeur, Mohamed Darwich. Le pronostic vital de l’héritière est engagé. Trente minutes plus tard, Sylvia est à Saint- Roch, à la porte de la salle de soins où sa mère lutte entre la vie et la mort. Prévenu de l’effroyable nouvelle par téléphone, « attristé et effondré » , Janowski écourte son séjour en Pologne. Si l’annonce de l’agression glace la Principaut­é, ce moment de stupeur cède vite la place aux rumeurs. Seule une redoutable organisati­on peut s’être attaquée à la plus puissante des familles de la cité/ État. Une vieille légende – qui prétend que Gildo Pastor, le père d’hélène, était racketté par la mafia italienne – ressurgit. En refusant de se plier à l’accord conclu en échange de sa tranquilli­té par le vieux Gildo, l’intransige­ante Hélène aurait signé son arrêt de mort... Des criminels italiens et français en villégiatu­re à Monte- Carlo jugent utile d’appeler leurs conseils, pour parer une éventuelle garde à vue. « Tout le monde s’affolait, un client m’a même dit de prévenir la police qu’il n’y était pour rien » , sourit encore une avocate de la Côte. Une autre hypothèse mène vers Gildo Pallanca. Le f ils de l’héritière aurait contracté un prêt avec les mauvaises personnes pour investir dans Venturi, son entreprise de voitures électrique­s. Un employé explique face aux policiers qu’un cadre de la société avait évoqué la nécessité de liquider Hélène Pastor. Tout semble possible. Un parfum de crime organisé russe commence même à flotter sur Monaco quand les policiers reçoivent un renseignem­ent anonyme, qui cite un ressortiss­ant allemand d’origine polonaise… Hospitalis­ée sous un faux nom, Hélène Pastor aura seulement le temps de glisser aux enquêteurs une phrase énigmatiqu­e – « J’ai peur, je veux vous revoir car j’ai d’autres choses à dire » –, alors que son état s’aggrave. Définitive­ment. Le 21 mai, quinze jours après l’agression de l’archet, à 5h40 du matin, elle emporte son secret dans son dernier souffle. Dans la chambre de la défunte, Wojciech Janowski, éploré, pousse Sylvia à prévenir les policiers. Dans une ambiance pesante, les enquêteurs recueillen­t les premiers témoignage­s de la famille, notant l’étrange comporteme­nt du consul honoraire de Pologne. Suspendu à son téléphone, s’absentant à plusieurs reprises, Janowski semble aussi fuyant que prompt à louer cette ex- belle- mère, « si gentille et généreuse que c’en était gênant » . Hors procédure, Gildo Pallanca confie ses doutes. Il ne fait que conforter le sentiment des policiers, dont les investigat­ions ont considérab­lement avancé depuis le guet- apens du 6 mai. Deux jours à peine après l’agression, la brigade criminelle a identifié les assassins, repérés grâce aux caméras de surveillan­ce de la gare de Nice. Un des membres du commando a laissé son ADN sur un flacon de gel douche oublié dans la chambre d’hôtel où il a fait une halte avant d’agir. Ce n’est pas la seule trace laissée par les deux hommes qui ont frappé. Ainsi, ils n’ont pas jugé utile de jeter leurs téléphones ni les puces qu’ils contenaien­t, et s’en sont même servi pour commander un taxi. Pire, confrontés à une grève de train, ils ont quitté Nice pour rentrer chez eux en taxi, au prix d’une longue course qui a laissé tout le loisir au chauffeur de les observer, pour les décrire très précisémen­t aux enquêteurs. Un modus operandi bien peu profession­nel. Les auteurs de l’assassinat d’hélène Pastor et de son chauffeur sont des petits voyous d’origine comorienne des quartiers nord de Marseille, sans lien connu avec la criminalit­é organisée. Au lieu de les appréhende­r, les enquêteurs, pilotés par le juge Christophe Perruaux, décident de les laisser s’épancher sur écoutes. Bonne intuition, les deux exécutants se révèlent fort bavards. Leurs complices tombent naturellem­ent. Un gendarme auxiliaire (!) a fourni les armes, un intermédia­ire leur a amené le contrat ( une exécution à 140 000 euros), le nom de l’organisate­ur apparaît, celui de son commandita­ire émerge aussi. Un choc.

UNE QUESTION DE TRANSFERT. . .

De roman noir, l’assassinat d’hélène Pastor vire au vaudeville sanglant. Un mauvais scénario que les vagues de gardes à vue du 23 juin viennent confirmer. La partie marseillai­se logée, la branche monégasque détonne. Coach sportif apprécié sur le Rocher, Pascal Dauriac exerce notamment ses talents au service de Sylvia Ratkowski, elle aussi convoquée par les policiers, et surtout de Wocjiech Janowski. La veille au soir, celui- ci rassurait encore sa femme : « Enfin, nous allons être heureux. » Auditionné à Nice au siège de la PJ, le consul honoraire ne demande ni avocat ni interprète. Et refuse même qu’on prévienne un proche ou sa famille. Des heures

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