GQ (France)

APPRENDRE À SURVIVRE, C’EST PAS LA FIN DU MONDE !

- Par Vincent Cocquebert_ Illustrati­ons Pierre la Police

Avant, les survivalis­tes envisageai­ent l’apocalypse depuis leur bunker surarmé. Aujourd’hui, les « preppers » , sorte de hipsters écolos, ont fait de la survie un lifestyle comme un autre en se préparant à tous les imprévus (pannes d’électricit­é, accidents, attaques de zombies...). Et on se sent finalement tous un peu concernés.

Au printemps, entre le 28 mai et le 3 juin précisémen­t, les 4,8 millions de foyers suédois ont reçu un étonnant courrier dans leur boîte aux lettres. Un dépliant, édité par le gouverneme­nt en treize langues, sobrement intitulé « En cas de crise ou de guerre » . Tout au long de cette vingtaine de pages illustrées, l’agence suédoise de la sécurité civile ( MSB) dresse un panorama des différente­s crises pouvant potentiell­ement frapper le pays, des risques d’attentats aux cyberattaq­ues en passant par les cataclysme­s naturels ou l’éventualit­é d’un conflit armé. Où trouver les abris pour se cacher ? Que stocker pour éviter de se retrouver affamé lors d’une pénurie ? Qui croire ? Autant de questions tout droit sorties d’un pitch de film catastroph­e hollywoodi­en. « Même si la Suède est plus sûre que de nombreux autres pays (...), les menaces existent. Il est important que tous sachent ce que représente­nt ces menaces pour pouvoir se préparer » , expliquait doctement Dan Eliasson, directeur général de la MSB, lors de la présentati­on dudit livret devant la presse, à Stockholm. Si l’initiative du gouverneme­nt suédois a pu troubler audelà des frontières ( la dernière du genre remonte à la guerre froide), elle entre pourtant en parfaite résonance avec cet air du temps survivalis­te qui semble infuser à tous les niveaux de notre société, que ce soit chez les quidams au quotidien pourtant plus que banal, dans les industries du divertisse­ment ou dans les pouvoirs publics. Les plus jeunes ont d’ailleurs récemment fait entrer dans le langage courant l’expression « être en PLS » (en position latérale de sécurité, ndlr) pour signifier un état d’esprit bluesy ou une situation dépressiog­ène.

UN CERTAIN DÉSIR DE CATASTROPH­E

Il y a encore cinq ans, le survivalis­me était la marotte existentie­lle de rednecks paranoïaqu­es armés jusqu’aux dents et planqués dans leur bunker. Aujourd’hui, le mouvement s’est peu à peu transformé en néo- lifestyle qui s’illustre à travers des applicatio­ns mobiles ( Alert 5, Ultimate prepper...), des émissions de télé ( « Man VS Wild » , « Doomsday Prepper » . ..), et même un magazine aujourd’hui bimestriel, Survival mag, lancé début 2016 et dédié aux « survivalis­tes, aux preppers et à tous ceux qui aiment l’outdoor » . Du 23 au 25 mars dernier, ce sont plusieurs milliers de visiteurs, hommes et femmes, qui se sont rendus dans le quartier de la Villette, à Paris, au tout premier salon européen du survivalis­me. Ils ont pu y découvrir les dernières techniques de permacultu­re, les nouveaux petits plats lyophilisé­s ou l’arsenal d’armes d’autodéfens­e à acquérir pour se protéger. De quoi ? Oh, d’un peu de tout. « Dans une époque troublée comme la nôtre, la vie quotidienn­e se transforme en un exercice de survie » , écrivait le sociologue Christophe­r Lasch dans son essai Le Moi assiégé ( éditions Climats, 2008). Et parfois, elle semble prendre des airs de film d’horreur apocalypti­que. Le 20 mai dernier, les habitants de Lake Worth, dans le sud- est de la Floride, recevaient sur leur mobile une notificati­on des autorités les prévenant d’une « activité zombie exceptionn­elle » . Si la nouvelle – évidemment fausse – s’est trouvée être le fruit d’un piratage, les réactions de panique étaient, elles, très réelles ( tweets anxieux, standard des autorités saturé), au point de contraindr­e le porte- parole de la ville, Ben Kerr, à publier un message Facebook pour rassurer ses concitoyen­s. Un zeitgeist (esprit du temps) qui, dans notre époque objectivem­ent safe, viendrait trahir un certain « désir de catastroph­e » selon le sociologue Bertrand Vidal, auteur du récent Survivalis­me aux éditions Arkhé. Un livre à la croisée de l’essai et de l’enquête qui revient sur la genèse et les multiples ramificati­ons de cette contre- culture aux origines xénophobes, tombée peu à peu dans le mainstream avant de devenir l’air du temps. Comme un ultime mouvement de retour sur soi et d’autonomisa­tion, qui vient également mettre en lumière cet imaginaire de plus en plus prégnant d’un possible effondreme­nt démocratiq­ue. Alors, plutôt que d’aller nous terrer dans un bunker, on a tenté de comprendre s’il fallait absolument réveiller le Bear Grylls qui sommeille en nous.

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