APPRENDRE À SURVIVRE, C’EST PAS LA FIN DU MONDE !
Avant, les survivalistes envisageaient l’apocalypse depuis leur bunker surarmé. Aujourd’hui, les « preppers » , sorte de hipsters écolos, ont fait de la survie un lifestyle comme un autre en se préparant à tous les imprévus (pannes d’électricité, accidents, attaques de zombies...). Et on se sent finalement tous un peu concernés.
Au printemps, entre le 28 mai et le 3 juin précisément, les 4,8 millions de foyers suédois ont reçu un étonnant courrier dans leur boîte aux lettres. Un dépliant, édité par le gouvernement en treize langues, sobrement intitulé « En cas de crise ou de guerre » . Tout au long de cette vingtaine de pages illustrées, l’agence suédoise de la sécurité civile ( MSB) dresse un panorama des différentes crises pouvant potentiellement frapper le pays, des risques d’attentats aux cyberattaques en passant par les cataclysmes naturels ou l’éventualité d’un conflit armé. Où trouver les abris pour se cacher ? Que stocker pour éviter de se retrouver affamé lors d’une pénurie ? Qui croire ? Autant de questions tout droit sorties d’un pitch de film catastrophe hollywoodien. « Même si la Suède est plus sûre que de nombreux autres pays (...), les menaces existent. Il est important que tous sachent ce que représentent ces menaces pour pouvoir se préparer » , expliquait doctement Dan Eliasson, directeur général de la MSB, lors de la présentation dudit livret devant la presse, à Stockholm. Si l’initiative du gouvernement suédois a pu troubler audelà des frontières ( la dernière du genre remonte à la guerre froide), elle entre pourtant en parfaite résonance avec cet air du temps survivaliste qui semble infuser à tous les niveaux de notre société, que ce soit chez les quidams au quotidien pourtant plus que banal, dans les industries du divertissement ou dans les pouvoirs publics. Les plus jeunes ont d’ailleurs récemment fait entrer dans le langage courant l’expression « être en PLS » (en position latérale de sécurité, ndlr) pour signifier un état d’esprit bluesy ou une situation dépressiogène.
UN CERTAIN DÉSIR DE CATASTROPHE
Il y a encore cinq ans, le survivalisme était la marotte existentielle de rednecks paranoïaques armés jusqu’aux dents et planqués dans leur bunker. Aujourd’hui, le mouvement s’est peu à peu transformé en néo- lifestyle qui s’illustre à travers des applications mobiles ( Alert 5, Ultimate prepper...), des émissions de télé ( « Man VS Wild » , « Doomsday Prepper » . ..), et même un magazine aujourd’hui bimestriel, Survival mag, lancé début 2016 et dédié aux « survivalistes, aux preppers et à tous ceux qui aiment l’outdoor » . Du 23 au 25 mars dernier, ce sont plusieurs milliers de visiteurs, hommes et femmes, qui se sont rendus dans le quartier de la Villette, à Paris, au tout premier salon européen du survivalisme. Ils ont pu y découvrir les dernières techniques de permaculture, les nouveaux petits plats lyophilisés ou l’arsenal d’armes d’autodéfense à acquérir pour se protéger. De quoi ? Oh, d’un peu de tout. « Dans une époque troublée comme la nôtre, la vie quotidienne se transforme en un exercice de survie » , écrivait le sociologue Christopher Lasch dans son essai Le Moi assiégé ( éditions Climats, 2008). Et parfois, elle semble prendre des airs de film d’horreur apocalyptique. Le 20 mai dernier, les habitants de Lake Worth, dans le sud- est de la Floride, recevaient sur leur mobile une notification des autorités les prévenant d’une « activité zombie exceptionnelle » . Si la nouvelle – évidemment fausse – s’est trouvée être le fruit d’un piratage, les réactions de panique étaient, elles, très réelles ( tweets anxieux, standard des autorités saturé), au point de contraindre le porte- parole de la ville, Ben Kerr, à publier un message Facebook pour rassurer ses concitoyens. Un zeitgeist (esprit du temps) qui, dans notre époque objectivement safe, viendrait trahir un certain « désir de catastrophe » selon le sociologue Bertrand Vidal, auteur du récent Survivalisme aux éditions Arkhé. Un livre à la croisée de l’essai et de l’enquête qui revient sur la genèse et les multiples ramifications de cette contre- culture aux origines xénophobes, tombée peu à peu dans le mainstream avant de devenir l’air du temps. Comme un ultime mouvement de retour sur soi et d’autonomisation, qui vient également mettre en lumière cet imaginaire de plus en plus prégnant d’un possible effondrement démocratique. Alors, plutôt que d’aller nous terrer dans un bunker, on a tenté de comprendre s’il fallait absolument réveiller le Bear Grylls qui sommeille en nous.