BUSINESS
C’est l’investissement du moment : acquérir un cheval de course, ou du moins une partie. Grâce à la « multipropriété », de plus en plus d’amateurs se regroupent et se lancent dans les courses hippiques. Et ces débutants rivalisent même avec de richissimes
Et si vous achetiez 1 % d’un pur- sang ?
En 2010, Pascal Treyve, boulanger dans la Loire, achète un jeune cheval pour 10 000 euros au haras des Nonains. Deux ans plus tard, Saônois, son yearling, remporte le prestigieux Prix du Jockey Club, devançant les pur- sang de l’aga Khan et de la famille Wertheimer, notoires et richissimes propriétaires d’écuries. Huit ans ont passé. Saônois est devenu étalon. Pascal a changé de vie, il gère une société de location de terrains et de biens immobiliers. Mais leur histoire a toujours un parfum de légende dans le milieu hippique, surtout auprès des nouveaux venus. Elle est la preuve que, même avec un petit budget, il est possible de rivaliser avec les passionnés de chevaux les plus fortunés. Depuis 2012, le Code des courses, l’ensemble des règles qui régissent l’activité en France, a évolué, permettant à toujours plus d’amateurs de sauter le pas, grâce à de nouvelles formules de multipropriété. Associations ou écuries de groupe, sous forme de société de personnes civile ou commerciale, société en participation ou société de capitaux, elles sont diverses. Ticket d’entrée à partir de 50 euros pour l’écurie Club RMC ( la radio est partenaire du PMU et du Qatar Prix de l’arc de Triomphe, entre autres) aux milliers de propriétaires, et 10 000 euros dans les racing clubs d’arqana, une agence française de ventes aux enchères de chevaux de course. La somme couvre tous les frais de l’écurie, de l’achat des chevaux à leurs déplacements, pendant une durée limitée ( généralement deux ans et demi). De quoi attirer « de gros propriétaires comme des anciens qui avaient renoncé car cela leur coûtait trop cher mais aussi, et majoritairement, des primo- accédants, rassurés de pouvoir partager l’investissement à plusieurs et ainsi réduire les risques » , souligne Olivier Delloye, directeur
“LA VIE DE PROPRIÉTAIRE EST FAITE DE HAUTS ET DE BAS. ON PEUT FAIRE DE TRÈS GROS COUPS, MAIS ON PEUT AUSSI EN PRENDRE. ET C’EST PLUS FACILE DE LES ENCAISSER À PLUSIEURS.” OLIVIER DELLOYE, DIRECTEUR DE FRANCE GALOP
général de France Galop. La société organisatrice des courses nationales de plat et d’obstacles a, d’ailleurs, observé une augmentation du nombre de nouveaux propriétaires agréés ( quelque 3800 au total) et un rajeunissement des effectifs. « Ce n’est pas un boom spectaculaire, reprend Delloye, mais une tendance de fond et c’est hyper positif tant en termes d’ambiance sur les hippodromes que de capacité à durer. La vie de propriétaire est faite de hauts et de bas. On peut faire de très gros coups, mais on peut aussi en prendre. Et c’est plus facile de les encaisser à plusieurs. » Et si le monde des courses peut paraître particulièrement fermé, ces nouveaux venus affichent haut et fort leur décontraction.
LA CHANCE DU DÉBUTANT ?
Paris, rue de Rivoli. Au siège de Big Groupe, l’entitémère des restaurants Big Fernand, le port de chaussures est proscrit. Steve Burggraf, 45 ans, reçoit en chaussons. Ils sont floqués d’une photo, façon carte Panini, de son visage ! En 2013, ce cavalier aguerri prend une part au sein de l’écurie Boétie Racing, tout juste créée, par l’intermédiaire d’un très bon ami courtier. « Nous étions une vingtaine. J’ai mis 10 000 euros avec pour seuls objectifs d’apprendre et de m’amuser, explique- t- il sans détour. J’étais totalement novice mais j’aimais les chevaux, le sport, et le business. » Pendant un an, l’entrepreneur accompli se familiarise avec les subtilités du milieu. Il fonde ensuite son écurie et achète ses deux chevaux… qui f inissent derniers de leur première course. Mais Burggraf s’accroche, en achète de nouveaux. Cette année, une de ses pouliches, Homérique, a terminé troisième du Prix de Diane et couru le Prix de l’opéra. « C’est une course de groupe 1, la catégorie reine du plat. C’est l ’ élite de l’élite » , s’enflamme- t- il alors que l’invitation à cette journée d’exception, toute en lettres d’or, traîne négligemment sur son bureau. « Les coups de fil pleuvaient. Je l’avais achetée 75 000 euros, on m’en proposait 300 000. Heureusement, j’ai refusé » , plaisante- t- il. Les courses sont devenues un business à part entière auquel il consacre 15 % de son temps professionnel. La chance lui sourit. Il dit devoir ses succès
à sa persévérance. Moins riche que les Wertheimer, propriétaires de Chanel, ou les Al-thani, famille princière qatarie, il rivalise pourtant avec eux sur les pistes. « Quand on a 60 chevaux à l’entraînement, les chances d’en avoir trois bons sont plus élevées que quand on en a six. C’est la loi du nombre. Ils ont souvent les bons chevaux, mais pas toujours ! » N’empêche, son ascension et sa gouaille ont fait de lui un ambassadeur non- officiel de choix pour le galop français. Il donne ponctuellement des conférences, comme au Wine & Business Club, club de chefs d’entreprise et de professions libérales amateurs de vin, au côté d’olivier Delloye. France Galop multiplie les prises de contact et opérations de séduction à destination des entrepreneurs et autres CSP++. « Les nouveaux propriétaires sont au coeur du réacteur. Plus il y a de propriétaires, plus il y a de chevaux à l’entraînement. Plus il y a de chevaux à l’entraînement, plus vous avez de chances qu’ils soient engagés en compétition. Et plus il y a de chevaux engagés en compétition, plus il y a d’enjeux sur les paris. Sur les courses à plus de huit partants, les enjeux sont de plus de 50 % supérieurs à ceux sur les courses à moins de huit partants » , explique Fabrice Favetto Bon, directeur marketing de l’organisme.
DE L’OVALIE AUX ÉCURIES
Au haras des Monceaux, l’un des plus réputés de France, un frémissement se fait sentir. « Les écuries de groupe ne dynamisent pas encore le marché. Le phénomène est trop neuf. Mais sur 15 à 20 personnes associées, il y en aura une ou deux qui décideront de s’y consacrer plus sérieusement. Cela demande du temps mais on le sent venir » , confie l’optimiste manager Henri Bozo. Sur les 300 hectares de cette institution normande s’ébrouent des chevaux que les fortunes du Golfe s’arrachent à tour de bras et à prix d’or. En 2015, le cheikh Al- Maktoum, émir de Dubaï, a déboursé pas moins de 2,6 millions d’euros pour un poulain élevé sur ces terres. Du haut de gamme ! Mais Henri Bozo se dit « obsédé par l’idée de faire découvrir ce sport à des novices et leur expliquer qu’il peut être abordable quand les risques sont partagés » . Il a, d’ailleurs, pris part au lancement d’une écurie de groupe. Une histoire d’amitié et de passions partagées. Sans plus d’ambition. « Statistiquement, on ne gagne pas d’argent avec un cheval. C’est un hobby qui peut être extrêmement lucratif si le cheval est bon. Mais le postulat de base, c’est que vous y mettez l’argent que vous êtes prêt à perdre » , ajoutet- il. Henry Chavancy acquiesce : « J’ai toujours dit que je me rembourserai en rencontres, en émotions et en plaisir ! » Flashback. En 2016, le Racing 92 est sacré champion de France de rugby. Le trois- quarts centre ciel et blanc perçoit alors une prime. Un bonus pour le Brennus avec lequel il entend « faire quelque chose hors du commun » . Grâce à une amie d’enfance devenue entraîneur à Chantilly, Henry le rugbyman rencontre Henri le manager. L’écurie Ovalie Racing voit le jour et acquiert une pouliche. « Ils m’ont laissé en choisir le nom, raconte
“CELUI QUI VIENT ME VOIR EN ME DEMANDANT COMBIEN IL PEUT GAGNER EST BLACKLISTÉ. ON EST LÀ POUR LE FUN.” DIDIER KRAINC, FONDATEUR DE L’ÉCURIE VIVALDI
l’international français, propriétaire de 15 % de l’animal pour un apport de 12 500 euros. On l’a appelée Brennus, en référence au bouclier. » Peu convaincante sur le plat, elle fait carrière en obstacles et a gagné sa première course en mai 2018. Chavancy, lui, s’est vu offrir un pourcentage dans un autre cheval en cadeau de mariage et parle déjà nouvelles acquisitions. « Je n’y connaissais rien. J’ai découvert que c’était un spectacle très familial et que les chevaux étaient des athlètes incroyables, préparés, affûtés… » Didier Krainc renchérit : « Le pursang est extrêmement sensible, précoce et intelligent. » Ancien directeur D’IDC France et détenteur de chevaux en pleine propriété, il a créé l’écurie Vivaldi en 2017, en compagnie d’une demi- douzaine de copains. Chef d’entreprise, gestionnaire de fonds, consultant, avocat, opticien ou cadre supérieur, ils ont entre 27 et 60 ans. Ils vivent à Bordeaux, Paris ou Hong Kong, et jouissent de nombreuses participations différentes ( un cheval en propriété, ou un pourcentage sur celui- ci) dans des chevaux à l’entraînement, c’est- à- dire aptes à courir. Ils possèdent aussi des parts d’étalons, parfois issus de l’élevage de l’aga Khan, de poulinières, ou de foals ( nom donné au poulain né dans l’année).
PRIX D’ENTRÉE : 30 000 EUROS
La palette de leurs actifs est complète. Krainc, le gestionnaire, la compare à un plan d’épargne en actions, l’éclatement des investissements lui assurant de vivre et partager sa passion au fil des quatre saisons ( Vivaldi, vous suivez ?). « Pour nous qui sommes soumis à de très fortes contraintes d’emploi du temps, c’est bien qu’il se passe toujours quelque chose » , précise- t- il. Grâce, notamment, aux succès de Pizzicato, Trésorerie ou Golconda, le prix des parts de Vivaldi a été revalorisé. Mais à 30 000 euros l’entrée, désormais, le recrutement de nouveaux membres est difficile. Nourrissant l’ambition de créer une « académie du propriétaire » , où les nouveaux entrants seraient formés avant, éventuellement, de voler de leurs propres ailes, Krainc a donc lancé une seconde écurie, Bartok. Filiale de Vivaldi, elle sera composée de 20 membres. Prix d’entrée : 10 000 euros. « Six places sont déjà parties. Mais celui qui vient me voir en me demandant combien il peut gagner est blacklisté, prévient- il. On est là pour le fun. On ne va pas gagner d’argent mais essayer de ne pas en perdre et s’amuser… » Et par exemple, passer le week- end chez le chef étoilé Michel Guérard, à Eugénie- les- Bains, à l’occasion d’une course sur l’hippodrome de Mont- deMarsan ! Ambiance bon vivant où « se mêlent le beau, le vivant, le sport et la nature. Ce sont des moments suspendus, de détente, de lâcher- prise et d’évasion »,
rappelle avec lyrisme David Salabi. Venu aux courses par atavisme familial, l’associé fondateur de la banque Cambon Partners est propriétaire depuis 2006. Toujours en association avec des amis qui, comme lui, aiment « la stratégie et le business, l’adrénaline et la performance, le beau et le raffinement » mais ne sont pas à l’abri de déconvenues. Salabi ne le sait que trop bien. Il y a quelques mois, Volta, sa pouliche phare, classée troisième du Prix de Diane 2016, a été victime d’un arrêt cardiaque à l’entraînement. « La performance sportive et l’émotion liée à l’attachement pour un être avec lequel on passe une tranche de vie sont mes motivations premières. On voit grandir ses chevaux et, comme des enfants, on les voit progresser. Mais quand on cherche à s’améliorer, grossir, dans un univers aussi compétitif, il faut investir. Le business est une nécessité pour développer l’activité » , confie- t- il. Son conseil aux novices ? Être bien entouré, accompagné de professionnels de confiance et/ou d’associés déjà bien introduits et expérimentés. Car « qu’on soit joueur ou propriétaire, la chance joue mais le hasard, pas tellement » . La phrase est signée Steve Burggraf. Amusé et amusant, il ajoute : « Je vais vous faire des formules toutes prêtes, comme ça vous serez tranquille pour votre article. » Trop sympa !