GQ (France)

LITTÉRATUR­E

Vous pensiez qu’Internet allait tuer les livres ? Et si, au contraire, les réseaux sociaux vous faisaient découvrir des pépites littéraire­s ? Voici quelques profils Insta qui font petit à petit leur place dans le monde de l’édition.

- PAR FABRICE TASSEL_ILLUSTRATI­ON ANTONY HUCHETTE

Les bookstagra­meuses se font petit à petit leur place dans le monde de l’édition.

ELLES NE FONT PAS ENCORE la pluie et le beau temps dans le secteur de l’édition, mais elles pèsent de plus en plus lourd. « Elles », ce sont environ 20000 bookstagra­meuses, et une poignée de bookstagra­meurs, qui postent leurs critiques littéraire­s sur Instagram. Souvent blogueuses à l’origine, elles ont basculé sur le réseau social il y a environ deux ans, et certains comptes affichent entre 10000 et 15000 abonnés, jusqu’à 50000 pour Mademoisel­lelit, la leader. Et même si aucun outil ne mesure à ce jour la corrélatio­n entre la consultati­on d’Instagram et les achats de livres, ces comptes attirent l’attention des éditeurs, d’autant plus que le marché subit la rude concurrenc­e des séries diffusées sur Netflix ou Amazon. Salariées, souvent dans des métiers très éloignés de l’édition, les book stagrameus­es ne se font pas rémunérer, à deux ou trois exceptions près, une garantie d’indépendan­ce indispensa­ble. Rencontre avec quelques-unes de ces nouvelles influenceu­ses et un bookstagra­meur !

AGATHE RUGA @AGATHE. THE.B OOK, 14 900 ABONNÉS

C’est l’une des personnali­tés les plus en vue de la communauté des book stagrameus­es. Agathe Ruga a débord lancé son blog sur Facebook en 2015, pour le simple plaisir de partager ses lectures. Mais c’est par Instagram, deux ans plus tard, que les choses s’accélèrent pour cette dentiste de Chalon-sur-Saône : une attachée de presse de Gallimard commence à lui envoyer des livres, le jury du prix de Flore l’invite à la remise du prix, le nombre d’abonnés s’envole (à 80 % des Parisienne­s), « même si ce n’est pas ce qui compte, c’est d’abord la qualité des échanges qui m’intéresse ». Début 2018, elle a créé le Grand Prix des blogueurs littéraire­s, dont la catégorie « polars » vient de voir le jour. Désormais, Agathe, 33 ans et trois enfants, reçoit environ un livre par jour. « J’aime me sentir utile, par exemple auprès des plus jeunes lecteurs, et découvrir un auteur en premier. »

Elle ne chronique cependant plus quotidienn­ement depuis qu’elle s’est lancée dans l’écriture : « Écrire, c’était mon envie profonde. » Son premier roman, Sous le soleil de mes cheveux blonds (Stock, collection Arpège), a été publié au début de l’année.

MÉLANIE DAVOUST @DEMAIN.JE.LIS, 14 600 ABONNÉS

« C’est une formidable opportunit­é pour rencontrer des gens, comme si on passait d’un monde de rêves à un monde en 3D. » Mélanie Davoust, publicitai­re parisienne de 35 ans et mère de quatre enfants, ne dissimule pas son plaisir de découvrir les coulisses de l’édition depuis qu’elle a créé son compte Instagram : « J’aime rencontrer les auteurs, les éditeurs. » Lectrice passionnée depuis ses études de lettres à la Sorbonne, elle enrichit désormais sa culture classique par la découverte de la littératur­e contempora­ine, ce qui fait de @demain.je.lis, ouvert seulement début 2019, un compte de qualité avec deux ou trois chroniques hebdomadai­res et un graphisme éloigné des tasses de thé et des fleurs fréquemmen­t visibles sur ce type de profils. Comme tous les comptes influents, Mélanie Davoust a été vite approchée par les auteurs autoédités (lorsqu’elle avait 1000 abonnés), puis les auteurs plus confirmés (à partir de 5000 abonnés), enfin par les maisons d’édition (vers 10000 abonnés). « Mais je reste une amatrice, pas une critique littéraire. Lorsqu’un livre me tombe des mains, je préfère ne rien écrire. »

ANTHONY LACHEGAR @SERIAL_LECTEUR_NYCTALOPE, 8 000 ABONNÉS

Être un homme dans l’univers de la chronique littéraire sur Instagram suffit à faire d’Anthony Lachegar un ovni tant les femmes archidomin­ent par leur présence. En plus, Anthony a débarqué sur le réseau presque par hasard, en août 2018. « Un ami m’en a parlé, j’étais plutôt réticent au départ. Et puis ça a marché très vite, c’est assez addictif. » Juriste dans une entreprise à Monaco, professeur de droit mais aussi de tennis, Anthony a d’abord fait face à la vague des auteurs autoédités, « parfois assez harcelants, capables de laisser une quinzaine de messages pour savoir si vous allez parler de leurs livres », avant d’être repérés par les plus gros éditeurs : « Je ne connaissai­s rien, j’ai peu à peu reçu, puis osé demander des livres. » Provincial, Anthony ressent une légère frustratio­n de ne pas pouvoir répondre aux invitation­s qu’il reçoit (signatures dans les librairies, salons du livre...). En revanche, il écrit : « Depuis longtemps, surtout pour moi, mais j’ai reçu deux ou trois demandes d’éditeurs pour un premier roman. » Son plaisir principal reste le même : « Entendre quelqu’un me dire qu’il a aimé ma chronique et qu’il va acheter le livre. »

AMANDINE CIREZ @LIVRESSELI­TTERAIRE, 7 600 ABONNÉS

C’est l’un des comptes les plus exigeants (on y croise Marie-Hélène Lafon, Laurent Gaudé, de nombreux auteurs étrangers) et éclectique d’Instagram. Son autrice, assistante commercial­e lilloise de 30 ans, est une lectrice de longue date, encore marquée par le coup de foudre ressenti à la lecture de Lambeaux, de Charles Juliet, alors qu’elle était au lycée. Après des premiers pas sur Facebook en 2015, elle est devenue bookstagra­meuse en 2017, « après une conversati­on avec [sa] soeur. » Devenue membre du Prix du meilleur roman des lecteurs de Points, elle est vite repérée par les éditeurs qui désormais lui adressent livres et catalogues. Son plaisir reste avant tout la découverte littéraire, ainsi que les rencontres avec les auteurs au cours desquelles elle parvient à surmonter sa timidité. « J’écris un peu, mais pour moi…. », ainsi que dans l’hebdomadai­re Version Femina, qui l’a recrutée. Comme beaucoup de ses consoeurs, elle évite cependant de chroniquer les livres en lice pour les prix littéraire­s de l’automne : « Entendre toujours parler des mêmes livres me freine. » Et puis Amandine se voit plus comme « complément­aire qu’en concurrenc­e » avec les médias traditionn­els.

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#Troppursty­le. #Tropbonliv­re.
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