MYTHOLOGIES
Tremblez marbres, ébènes et autre matières nobles : le contreplaqué arrive sur la scène déco et compte bien vous voler la vedette.
La revanche du Batipin fait trembler les matières nobles.
À L’INSTAR DES HUMAINS, les matériaux ont aussi des histoires mouvementées, faites de revers de fortune et de retour en grâce. Longtemps cantonné aux palissades et aux coffrages des chantiers, le Batipin (aussi appelé multipli), un contreplaqué constitué de plusieurs couches de bois collées entre elles, est ainsi devenu en quelques années une star de la déco, un peu comme si un de ces « vraies gens » que l’on voit dans les ilms des frères Dardenne piquait durablement la vedette à Guillaume Canet. Emblématique d’un tropisme pour l’arte povera dans l’aménagement des espaces, le Batipin se conjugue aux murs en béton brut et aux rails électriques apparents pour donner une touche chaleureuse à cette scénographie métabolique où tout ce qui était caché, vil, honteux, déboule en force sur le devant de la scène. Utilisé désormais pour fabriquer des meubles, des plans de travail, des parements, le Batipin se trouve au coeur d’un discours complexe et ambivalent. D’un côté, avec ses veinures qui dessinent de magni iques motifs psychédéliques, il donne à penser que le bois de synthèse pourrait irradier d’une authenticité plus forte que le matériau brut. Cette prétendue naturalité de l’arti ice se trouve au coeur de la galaxie de signes dans laquelle nous baignons aujourd’hui et ce n’est pas un hasard si le Batipin est abondamment utilisé pour servir d’écrin aux meubles standardisés du nouvel Ikea Madeleine, à Paris. Par ailleurs, se rejoue à travers cet amour du contreplaqué dans le design une comédie de l’aura dont la mécanique est directement empruntée à l’univers du cinéma. Comme Alain Delon, brut de décoffrage et d’une extraction modeste, le Batipin a changé de condition depuis qu’il a été sublimé par le regard des Visconti de la déco. À longueur d’interviews, Delon aime à rappeler qu’il est une « star » plus qu’un « comédien », soulignant par là qu’il s’est imposé comme une évidence, sans technicité ni volontarisme. Ainsi en va-til du Batipin qui, seule différence notable, ne parle pas encore de lui à la troisième personne.