GQ (France)

MYTHOLOGIE­S

Tremblez marbres, ébènes et autre matières nobles : le contreplaq­ué arrive sur la scène déco et compte bien vous voler la vedette.

- PAR NICOLAS SANTOLARIA ILLUSTRATI­ON PIERRE LA POLICE

La revanche du Batipin fait trembler les matières nobles.

À L’INSTAR DES HUMAINS, les matériaux ont aussi des histoires mouvementé­es, faites de revers de fortune et de retour en grâce. Longtemps cantonné aux palissades et aux coffrages des chantiers, le Batipin (aussi appelé multipli), un contreplaq­ué constitué de plusieurs couches de bois collées entre elles, est ainsi devenu en quelques années une star de la déco, un peu comme si un de ces « vraies gens » que l’on voit dans les ilms des frères Dardenne piquait durablemen­t la vedette à Guillaume Canet. Emblématiq­ue d’un tropisme pour l’arte povera dans l’aménagemen­t des espaces, le Batipin se conjugue aux murs en béton brut et aux rails électrique­s apparents pour donner une touche chaleureus­e à cette scénograph­ie métaboliqu­e où tout ce qui était caché, vil, honteux, déboule en force sur le devant de la scène. Utilisé désormais pour fabriquer des meubles, des plans de travail, des parements, le Batipin se trouve au coeur d’un discours complexe et ambivalent. D’un côté, avec ses veinures qui dessinent de magni iques motifs psychédéli­ques, il donne à penser que le bois de synthèse pourrait irradier d’une authentici­té plus forte que le matériau brut. Cette prétendue naturalité de l’arti ice se trouve au coeur de la galaxie de signes dans laquelle nous baignons aujourd’hui et ce n’est pas un hasard si le Batipin est abondammen­t utilisé pour servir d’écrin aux meubles standardis­és du nouvel Ikea Madeleine, à Paris. Par ailleurs, se rejoue à travers cet amour du contreplaq­ué dans le design une comédie de l’aura dont la mécanique est directemen­t empruntée à l’univers du cinéma. Comme Alain Delon, brut de décoffrage et d’une extraction modeste, le Batipin a changé de condition depuis qu’il a été sublimé par le regard des Visconti de la déco. À longueur d’interviews, Delon aime à rappeler qu’il est une « star » plus qu’un « comédien », soulignant par là qu’il s’est imposé comme une évidence, sans technicité ni volontaris­me. Ainsi en va-til du Batipin qui, seule différence notable, ne parle pas encore de lui à la troisième personne.

 ??  ??
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France