Play, ou quand Anthony Marciano et Max Boublil nous replongent dans notre adolescence des années 1990 grâce à un petit caméscope.
Avec Play, Anthony Marciano raconte l’âge ingrat d’un jeune homme amoureux (Max Boublil) dans les années 1990 au travers de ce qu’il filme avec son caméscope adoré. Un dispositif audacieux et contraignant, qui fonctionne parfaitement.
DDU BINÔME FORMÉ par Anthony Marciano et Max Boublil, on connaissait Les Gamins et Robin des bois, la véritable histoire, deux comédies fort divertissantes mais plutôt conventionnelles dans la forme et le propos. Aussi n’aurait-on pas misé sur la spectaculaire hausse de niveau que les deux scénaristes (par ailleurs respectivement réalisateur et acteur principal du film) accomplissent avec Play. Ce tour de force cinématographique, à la fois fédérateur et audacieux, fait le pari de raconter la vie d’un ado parisien à travers l’objectif du caméscope qu’on lui offre au début des années 1990, pour son treizième anniversaire, et dont il ne va plus pouvoir se passer. « On n’a pas voulu se contenter de prendre des filtres numériques actuels qui donnent un grain nineties aux vidéos : on a vraiment tenu à avoir le rendu exact des caméras DV et Hi-8 de l’époque, explique Marciano. L’idée, c’était d’immerger les spectateurs de notre génération (Boublil et lui sont tous les deux nés en 1979, ndlr) dans des images qui aient pile le même aspect que leurs propres cassettes de jeunesse. On a aussi travaillé sur les vêtements, bien sûr. On a récupéré des stocks de l’époque, et on a même racheté des cuisines, des carrelages et des rideaux des années 1990 pour les décors – il y a des gens qui vendent ça sur leboncoin.fr ! Évidemment, on a ressorti les vraies vidéos qu’on avait faites à l’adolescence pour retrouver nos façons de parler, nos expressions. » Ça donne un long-métrage que l’on suit de A à Z en caméra subjective, avec des plans qui tremblent, des lumières approximatives, un son parfois confus. Un film qui montre d’une façon inimitable l’excitation et le chaos, les épiphanies et la lose de nos années collège et lycée. Et qui nous amène jusqu’à aujourd’hui.
Ce qui tient lieu d’intrigue dans Play, c’est une histoire banale et populaire : celle d’un garçon, Max, amoureux de sa meilleure amie, Emma (Alice Isaaz), mais qui n’ose pas le lui dire, sur fond de divorce de ses parents (Noémie Lvovsky et Alain Chabat) et de maladie de sa mère. On le suit d’abord à 13 ans, puis à 17, puis autour de 25-30 ans (il n’est alors plus équipé d’un caméscope, mais d’un smartphone). Boublil ne joue que dans cette dernière période mais, pour la partie du milieu, Marciano a trouvé un acteur, Alexandre Desrousseaux, qui présente une ressemblance frappante avec son compère : « Il est un peu grimé, on lui a mis des lentilles marron et une perruque brune, mais il y a un air de famille, c’est sûr. Il y a plein de gens qui sont sortis des projections en me demandant comment on avait fait pour retrouver autant de cassettes de la jeunesse de Max ! » « C’est fou ce que les gens sont crédules », commente le facétieux Boublil.
Au-delà de sa puissante vertu « madeleine de Proust », Play brille aussi par sa narration à contraintes : « Dans la vraie vie, on ne filme pas tout, analyse Marciano. On ne sort pas sa caméra quand nos parents nous disent qu’ils vont divorcer ou quand on perd sa virginité. Ce qui fait qu’on a dû s’imposer certaines ellipses là où, dans un film d’apprentissage normal, il y aurait forcément eu des scènes d’initiation, des passages obligés. » Ces trous dans l’action donnent au résultat une tournure étrangement pudique et fragmentée, malgré la portée très universelle du récit.
Le dernier détail qui donne à Play sa patine si singulière, c’est le choix de la musique, très présente : « On n’a pas voulu sélectionner les tubes des années 1990 ou 2000 dont tout le monde se souvient et qu’on entend encore à la radio, dit Marciano. On a plutôt opté pour des titres qui étaient des hits à l’époque mais qu’on a fini par zapper. Plutôt que “Are You Gonna Go My Way” de Lenny Kravitz, on a mis “Fields of Joy” ; au lieu de “Too Young To Die” de Jamiroquai, on s’est décidé pour “Virtual Insanity”. Ça a quand même coûté cher, parce qu’on voulait vraiment en mettre le maximum. À vrai dire, c’est même là-dedans qu’a été dépensée la plus grosse partie du budget ! » « Après le cachet de Noémie Lvovsky ! » conclut Boublil, décidément fort plaisantin. D’ANTHONY MARCIANO, EN SALLE.