GQ (France)

MARINA FOÏS

Au théâtre ou au cinéma, elle ne cesse de nous surprendre par son style à part et sa vision singulière du monde. Rencontre avec un pur acteur (oui, oui).

- PAR ADÈLE VAN REETH

En 2019, elle a joué Hervé Guibert sur les planches dans une mise en scène de Christophe Honoré, Nora dans le film d’Antoine Raimbault (Une intime conviction), et Marion dans la série Sauvages de Rebecca Zlotowski. Quand GQ lui annonce qu’elle est la lauréate du fraîchemen­t créé prix de la meilleure actrice, elle dit merci, réfléchit, puis s’interroge : et pourquoi pas meilleur acteur ? Explicatio­ns.

Voilà des années que GQ propose un palmarès de ses acteurs fétiches. Pour la première fois, ce palmarès s’ouvre aux actrices, et vous refuser d’entrer dans cette catégorie. Pourquoi ?

Dans un journal masculin, je préfère être acteur de l’année.

Qu’est-ce que ça change ?

Rien, justement. Je n’ai pas besoin qu’on rajoute un suffixe, un « e » ou un accent aigu quand on parle de moi. Que ce soit dans mes relations ou dans mon intimité, je ne me définis jamais par le genre. Je ne sais pas ce que signifie être une femme. J’entends les autres débattre sur le sujet et je comprends que la question ne s’est jamais posée pour moi : je ne me dis pas que je suis une femme, ni que je suis un homme, mais que je suis une personne.

Bien sûr, quand j’ai eu des enfants, c’est moi qui ai accouché, mais honnêtemen­t, je m’en fous. Ça ne me définit pas, ni dans mon travail, ni avec mes amis.

L’idée de « féminité » ne signifie rien pour vous ?

Je le crains. Il y a beaucoup de femmes que j’admire mais je ne sais pas si c’est leur féminité, leur virilité ou tout simplement leur chemin qui me plaît. Je vois très bien de quoi on parle quand on évoque la position de la femme dans la société, je l’ai moi-même subie, mais c’est comme si les autres m’imposaient leurs questionne­ments et leurs réponses. Seule, je ne me poserais même pas la question de la place de la femme. Est-ce qu’un être humain est capable de vivre sans groupe ? Je ne sais pas. Mais je ne ressens pas le besoin de me définir par rapport aux autres. De même, je me fiche que la femme en face de moi porte une burqa ou se balade à poil. Ce n’est pas mon problème.

Et la solidarité féminine, ça vous parle ?

Je me sens solidaire avec plein de gens qui sont souvent très différents de moi. Je n’ai pas besoin de me reconnaîtr­e en eux pour me sentir solidaire. Par exemple, je peux être touchée par des histoires de transgenre qui me sont pourtant étrangères. On parle aussi beaucoup de PMA et de GPA en ce moment, je n’ai pas besoin d’avoir moi-même vécu les mêmes choses pour être solidaire des personnes concernées. En l’occurrence, je suis pour qu’on légalise tout. Quand Simone Veil s’est battue pour légaliser l’avortement, la pratique était tellement répandue que les femmes étaient de fait en danger. Il se passe la même chose aujourd’hui : les enfants nés de PMA existent, ils sont là, et c’est moralement insupporta­ble qu’ils ne soient pas reconnus. Le législateu­r ne peut pas être en retard sur la société, sinon ça veut dire qu’il ne fait pas son métier. On ne peut pas penser le monde uniquement par rapport à son nombril, ce serait extrêmemen­t déprimant.

Pensez-vous que le fait d’être comédienne a contribué à vous détacher de cette question d’identité ? Jouer à être autre que ce que vous êtes, c’est votre métier…

Jouer introduit de la souplesse dans la vision que l’on a de l’être humain. Le cinéma nous invite à poser notre regard sur des gens qu’on ne regarderai­t pas d’habitude. Nous autres, acteurs, sommes le vecteur de ce regard. On porte la parole des metteurs en scène et l’intérêt qu’ils ont pour

telle ou telle personne. Si l’acteur se met à juger le personnage qu’il interprète, il se place au-dessus de lui, et alors il ne peut plus jouer. En ce sens, être acteur développe une forme d’empathie qui a quelque chose de vertueux. Ça élargit les horizons.

Dans Les Idoles, la pièce de Christophe Honoré, vous avez joué le rôle d’un homme, l’écrivain Hervé Guibert. Jouer un homme, est-ce différent de jouer une femme qui ne vous ressemble pas ?

Dans la pièce d’Honoré, ce n’était pas le sujet, parce que je ne jouais pas seulement un homme, je jouais surtout un pédé qui était en train de crever du sida. Je n’ai pas voulu faire semblant d’être malade, j’ai connu de vrais malades du sida et par respect pour leur calvaire et leur souffrance, je ne pouvais feindre d’être dans leur état. Je pèse 50 kilos, ils en pesaient 36, donc c’était de toute façon impossible. Comment jouer ce qui est si loin de ce que je suis ? J’ai dû faire appel à mon imaginatio­n pour tenter de combler l’espace qui me sépare d’une réalité que je ne peux pas incarner. Et c’est finalement sur le registre émotionnel que j’ai pu rejoindre Guibert. Je suis une femme d’une autre génération, pas du tout homo, pas du tout écrivain, je n’ai pas sa culture, je n’ai pas son histoire, mais j’ai trouvé dans le registre émotionnel un lien qui me rapprochai­t de lui.

« Pas homo », « pas écrivain »… Vous vous définissez par ce que vous n’êtes pas. Et s’il fallait vous trouver des attributs ?

Ils seraient paradoxaux. Me définir, c’est me contredire : je viens d’un milieu ex-soixante-huitard, cosmopolit­e, avec des origines multiples, mais aujourd’hui je suis parisienne. Ma famille était intello de gauche, tranquille­ment bourgeoise, mais aujourd’hui j’ai du pognon, ce qui me rend libre. Je suis un produit de l’immigratio­n mais je suis actrice, donc j’ai du pouvoir. Et je suis juive, ce qui induit un rapport à l’histoire et à la minorité encore différent. Si bien que, de toutes ces caractéris­tiques, je ne sais pas laquelle mettre d’abord en avant. Peut-être actrice, parce que de toutes ces manières de vivre, pour moi, c’est la plus sexy.

Êtes-vous hantée par votre image ?

J’avoue avoir une part « exhib » qui m’a libérée dans l’exercice de mon métier. Dans la vie, je ne crois pas. Moi, j’aime quand ça tourne, je n’aime pas me regarder. Mais être regardée... Je serais malhonnête si je vous disais que ça me pose un problème ! Au contraire même, c’est de ne pas être regardée qui me poserait un problème. C’est sans doute névrotique, mais je m’en fous, je l’assume. Quand je fais des photos ou que je suis en promo, je ne suis pas du tout détachée de mon image, et en même temps, j’aime ça, là encore je suis paradoxale. J’aime faire des photos, j’aime être fringuée, j’aime la mode.

Pourquoi la mode ?

J’ai toujours aimé la fringue. Quand j’étais ado, j’allais au marché Saint-Pierre avec ma copine Pascale Granger, on se faisait des fringues...

C’est un jeu ? Une armure ? Une libération ?

Je ne sais pas. J’aime bien regarder les gens lookés dans la rue, observer ce qu’ils choisissen­t de montrer. Ce n’est pas forcément un attribut de classe ou une affaire de pognon, il y a beaucoup de gamines qui se fringuent hyper bien chez H&M. Et puis la mode, c’est aussi une culture. J’ai la chance d’être copine avec des gens très talentueux, Julien Dossena et Nicolas Ghesquière, ce sont des gens qui font une mode qui pense.

Vous avez la vie dont vous rêviez ?

J’ai une très belle vie… avec ses moments relous.

Il vous manque quelque chose ?

Évidemment. Il me manque tout ce que je n’ai pas encore fait !

« Être regardée ne me pose aucun problème. Au contraire, c’est de ne pas être regardée qui m’en poserait un. C’est sans doute névrotique, mais je m’en fous, je l’assume. »

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 ??  ?? ROBE LOUIS VUITTON. BOOTS CELINE PAR HEDI SLIMANE. COIFFURE : PAOLO FERREIRA @ CALLISTE. MAQUILLAGE : AYA FUJITA @ CALLISTE.
ROBE LOUIS VUITTON. BOOTS CELINE PAR HEDI SLIMANE. COIFFURE : PAOLO FERREIRA @ CALLISTE. MAQUILLAGE : AYA FUJITA @ CALLISTE.

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