GQ (France)

FLORENCE FORESTI

Avec son dernier spectacle Épilogue, carton de 2019, Florence Foresti a prouvé qu’elle régnait encore sur l’humour français. Comment fait-elle pour rester au top depuis près de quinze ans ?

- PAR THIBAUD MICHALET

EN SE FAISANT DISCRÈTE

« Tant que je n’ai rien à dire, je ne fais pas de spectacle. Ça peut durer des années, mais au moins je ne me force pas à faire de mauvaises vannes. » Le public aura donc attendu près de quatre ans pour retrouver l’humoriste sur scène avec Épilogue, l’un des shows les plus drôles de ces dernières années. Pendant cette période d’hibernatio­n (« une retraite grotesque durant laquelle je ressemble à une vieille de 80 ans »), elle a surtout fait du coloriage, de la couture et de la broderie, pendant que les autres comiques égratignai­ent leur image dans « Vendredi tout est permis » : « Il y a quand même eu des moments où j’ai eu peur de ne plus jamais rien avoir à dire. C’est difficile, avec le temps, avec l’argent, de garder un regard amusé sur les choses. Et puis mon entourage, à qui je raconte tous mes déboires, m’a assuré que j’avais de la matière pour revenir. Ils m’ont clairement poussée, car j’aurais pu traîner encore jusqu’en 2025. » Pour Épilogue, elle a également choisi de diminuer le nombre de représenta­tions (trois fois moins de dates et seulement deux shows par semaine) : « J’ai une petite nostalgie pour les débuts, je ne m’en cache jamais. Je voulais retrouver les frissons de ma période café-théâtre, et surtout ne jamais arriver sur scène en étant blasée. »

EN ÉVITANT LE SYNDROME « TCHAO PANTIN »

« J’ai toujours voulu être humoriste et je le serai jusqu’au bout. Le jour où je ne fais plus rire... bah je meurs ! Car dans mon cas, il n’y a pas de reconversi­on possible. » Contrairem­ent à beaucoup de ses confrères qui, une fois devenus des stars de la comédie, veulent soudaineme­nt être pris au sérieux, Florence Foresti n’a jamais ressenti ni exprimé le besoin de s’éloigner de son objectif principal : se marrer et faire marrer. « Oui bon, ok, avoue-t-elle, moi aussi j’ai fait du cinéma... Mais c’est parce que je faisais trop de coloriage. Il fallait que je m’occupe. Ce n’était pas une priorité, je l’ai peut-être même un peu trop dit (rire), même si c’est toujours un plaisir de jouer avec des gens que j’admire. » Épilogue, malgré ce que le nom semblait indiquer, n’était donc pas son dernier spectacle, loin de là : « Promis, je ne vous ferai jamais le coup de la “Tournée d’adieu” ! » Dans la vraie vie, une fois le rideau baissé, l’humour reste la priorité : « Après, je peux être sérieuse quelques minutes, comme dans une réunion de copros. Je tiens un peu, et puis il y a un moment où je vais lâcher “bon, entre nous, la gueule des boîtes aux lettres, on s’en branle un peu, non ?” Et là, si ça ne rit pas, je ne suis pas bien et je disparais. Sans blague, la vie me navre. »

EN NE LAISSANT AUCUNE PLACE AU HASARD

« Parfois, évidemment que j’ai envie d’aller sur scène les mains dans les poches. De commencer par un petit : “Vous avez remarqué dans le métro...” Mais en fait tu ne peux pas. J’y ai cru à un moment, mais j’ai très vite compris que c’était kamikaze. Il faut travailler, apprendre et répéter. Même quand tu as quinze ans de métier. » Sur scène, la machine Florence Foresti ne déraille effectivem­ent jamais. Gestuelle, débit, chorégraph­ie, tout est réglé au millimètre et remarquabl­ement maîtrisé, même les silences. Pour éviter de casser le rythme, elle improvise d’ailleurs très peu et évite au maximum les fameuses interactio­ns avec le public : « J’ai horreur de ça. Et le pire, c’est avec les enfants. Parce qu’un adulte tu peux l’envoyer bouler dès que ça dure un peu ou que tu es mal à l’aise, mais un enfant... » On ne la verra jamais non plus tester des blagues en avantpremi­ère dans les comedy clubs à la mode, où certaines stars comme Gad Elmaleh ou Élie Semoun s’offrent régulièrem­ent des passages de cinq minutes pour présenter des nouveaux sketchs : « Si ça rit peu, tu te retrouves comme un petit garçon en slip à l’école. J’aime le danger mais pas au point d’être malheureus­e. Et entre nous, je ne vais pas prendre le risque d’être moins drôle qu’une petite gamine qui débute alors que moi j’ai des années de carrière (rire) ! »

EN S’INSPIRANT DE CE QU’ELLE CONNAÎT LE MIEUX

« Je ne peux pas mentir, donc mon spectacle ressemble à ce que je suis au moment où je le joue. Je gagne beaucoup d’argent, mais j’aime toujours autant aller chez Ikea, donc dans mon dernier spectacle je parle d’argent et d’Ikea. On est obligé de faire évoluer son discours par rapport à la vie qu’on a. » Surtout, Florence Foresti n’a jamais souhaité rire d’autre chose que d’elle-même, ce qui, en plus de nous la rendre naturellem­ent sympathiqu­e, lui assure un minimum d’inspiratio­n jusqu’à la fin de sa vie : « Avec Motherfuck­er, mes producteur­s craignaien­t que je me mette à dos une partie de mon public. Même moi, j’avais eu des doutes, mais je ne pouvais pas faire autrement car mon actualité du moment, c’était que je venais d’avoir un enfant. Dix ans plus tard, j’ai des réflexions et des observatio­ns complèteme­nt différente­s, et ce sont elles que je partage sur scène aujourd’hui. » Pour éviter d’être trop hors-sol ou complèteme­nt déconnecté­e de son public, celle qui avoue avoir du mal avec « les artistes qui font croire qu’ils galèrent avec les gonzesses alors qu’ils ont le choix de coucher avec qui ils veulent », dispose d’une technique infaillibl­e : re-puiser dans la faille narcissiqu­e d’enfance : « Moi à 45 ans, avec un enfant, un mec ou pas, du succès ou pas, j’ai toujours la blessure de la gamine qui n’était pas la jolie blonde de la classe. C’est ce qui fait que je peux encore être humoriste. »

EN VIVANT AVEC SON TEMPS

« Si j’avais commencé aujourd’hui, ça aurait été l’enfer, horrible. Avec ce que je faisais chez Ruquier (une galerie de personnage­s fantasques dans “On a tout essayé” puis “ONPC”, ndlr), tu te rends compte du nombre d’insultes que j’aurais reçues ? J’ai échappé à tout. La chance de ma vie, c’est d’être passée à travers les gouttes des haters tout en bénéfician­t des débuts du partage de vidéos. De 30 à 36 ans, j’ai pu faire des bides dans mon coin sans qu’on puisse me jeter aux loups ! » Si, aujourd’hui, Florence Foresti ne compte aucune véritable sortie de route sur son CV

« La chance de ma vie, c’est d’être passée à travers les gouttes des haters tout en bénéfician­t des débuts du partage de vidéos. J’ai pu faire des bides dans mon coin sans qu’on puisse me jeter aux loups ! »

(« si, il y a eu cette fameuse fois à Ramatuelle où on a dit que j’étais une diva capricieus­e, alors que je bouffais du poulet par terre avec les technicien­s. Horrible. C’est un journalist­e qui n’avait pas eu son interview et qui était fâché... »), c’est aussi parce qu’elle maîtrise parfaiteme­nt les codes de l’humour YouTube, où elle s’affiche aux côtés des meilleurs du genre (coucou le Palmashow), et ceux des réseaux sociaux, ce qui n’est pas le cas de tous ses confrères (coucou Élie Semoun). « Les réseaux, confie-t-elle, je les ai adaptés à ma vie. Mon chien me fait rire donc je le filme. En fait, je mets en scène ce qui m’amuse. C’est la seule chose que je tolère de diffuser. Mais en vrai, si j’estime que j’ai un truc très drôle à faire, je ne le partage ni sur Instagram, ni sur Facebook, ni sur le web. Je le garde pour la scène. » Tant pis pour ceux qui pensaient un jour la détrôner.

 ??  ?? VESTE, TOP ET PANTALON PERSONNELS. CHAUSSURES SEBAGO. COIFFURE FRANÇOIS LALY. MAQUILLAGE FAUSTINE-LÉA VIOLLEAU.
VESTE, TOP ET PANTALON PERSONNELS. CHAUSSURES SEBAGO. COIFFURE FRANÇOIS LALY. MAQUILLAGE FAUSTINE-LÉA VIOLLEAU.
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