GQ (France)

JEAN IMBERT

À 38 ans, il prend la tête de La Case, le restaurant du Cheval Blanc St-Barth Isle de France. Une consécrati­on pour cet ancien de « Top Chef », ami des stars mais avant tout fan de sa petite mamie !

- PAR MARINE DELCAMBRE

« Je sais que tout peut s’arrêter en six mois. J’ai l’énergie d’un survivant. Rien n’est acquis. » C’est ce qui fait sa force, il en est persuadé. Jean Imbert nous exhorte à commencer rapidement l’interview : il est pressé, et n’a pas que ça à faire (il le dira plus poliment). Pas question de raccourcir sa nuque pour les photos, il a le même coiffeur depuis dix ans, ce serait le trahir – il prend quand même la carte du nôtre, « juste au cas où l’autre mourrait subitement ». On rigole. Pressé parce que bien occupé : un restaurant dans le 16e arrondisse­ment de Paris (Mamie), un concept culinaire avec le boulanger Éric Kayser (Les Bols de Jean) et deux adresses aux ÉtatsUnis (Swan et Encore). Mais aussi des soirées mondaines, une émission de télévision sur France 5 (« 4 Saisons »), un livre paru en novembre aux éditions du Chêne (Merci Mamie), et, à la rentrée dernière, sa nomination à la tête du restaurant du Cheval Blanc St-Barth Isle de France. Sans oublier ses obligation­s envers l’industrie agroalimen­taire (« Je ne veux pas qu’on ferme les yeux sur les 85 % de Français qui font leurs courses au supermarch­é »), sa cabane écologique en Bretagne avec Voyageurs du monde et ses apparition­s au Refettorio

Paris, le restaurant solidaire de Massimo Bottura et JeanFranço­is Rial, « pour faire parler du lieu ». Pressé, surtout, parce qu’il fait tout avec engagement : « En France, les gens vivotent. Ils ne font pas les choses avec conviction. Quand je décide d’être cuisinier, c’est plus un hobby qu’un métier. Je donne tout, je m’engage à fond, sinon je choisis une autre voie. » Il jure qu’avec tout ça, il a encore le temps de cuisiner : « Je ne vais pas mentir, je n’épluche pas les carottes le matin et ça fait longtemps que je n’ai pas désarêté un poisson. Mais cuisiner, oui ; goûter, me projeter dans un plat, choisir une vaisselle… » Chez lui, il continue à recevoir ses copains célèbres, qu’il envoie ouvrir la porte quand des voisins se plaignent du bruit – il adore ça. Jamais blasé, il a encore la boule au ventre à l’idée de rater le plat de Beyoncé. Jusqu’à maintenant, il réussit tout ce qu’il entreprend. De quoi rendre fière sa maman qui, au début, l’aidait en salle et disait aux clients, les larmes aux yeux : « C’est mon fils en cuisine. »

1. SON PREMIER GÂTEAU

Sur la photo d’Instagram, « Petit Jean » (son surnom puisque son père s’appelait aussi Jean), vêtu d’un slip de bain imprimé, porte fièrement sa première création sucrée. « Pourtant je n’aimais pas les gâteaux, je faisais du salé. C’est drôle, un enfant qui fait des gâteaux, on dit “cool, il fait des gâteaux.” Alors que s’il fait un carré de veau, c’est qu’il “veut être cuisinier”. » C’est naturel, une vocation. « Je savais déjà que ça allait être ma vie. Sûrement mon environnem­ent, où on achetait

des produits frais qu’on préparait. Les livres de cuisine de ma mère me passionnai­ent. »

2. SON PREMIER (FAUX) RESTAURANT

« À 10 ans, je cuisinais pour la famille des repas de chef, avec mon frère en serveur. À 14 ans, des amis de mes parents m’engageaien­t pour leurs dîners. » Son père, désemparé, répète que son fils « va monter de la mayonnaise dans la vie ». Lui a dans la tête son avenir tout tracé. « Je dis que j’ai créé mon premier restaurant à 10 ans. J’ai collé sur les murs de mon bureau les menus de l’époque. Ça ressemble à ce que je fais aujourd’hui. Comme si j’étais le même gamin. »

3. SON PREMIER STAGE

« Un 2-étoiles en Bretagne, chez Jean-Pierre Crouzil, pendant que les autres étaient en vacances en août. J’avais le droit de goûter, mais je me faisais dégommer pendant le service. Une fois, j’ai parlé, je me suis fait lyncher, je m’en souviendra­i toujours. Mais c’était agréable de savoir ce qu’était la réalité d’un grand restaurant. Ça ne m’a pas fait peur. »

4. SES PREMIERS DIPLÔMES

« À 15 ans, j’ai voulu faire l’Institut Paul Bocuse. Il fallait un bac général, j’avais un an d’avance et j’étais fort en maths. Donc bac S à 17 ans... puis Bocuse. Dans ma classe, ils avaient tous 25 ans. » À 19 ans, il est le plus jeune diplômé de l’histoire : « À cet âge-là, personne n’y va. Quand on évoque Paul Bocuse, on imagine une cuisine à l’ancienne. C’est surtout une certaine idée de la France, du patrimoine. Peut-être que je voulais me mettre en danger en quittant ma famille. C’était à Lyon, il fallait prendre un appart, faire ses courses... »

5. SON PREMIER (VRAI) RESTAURANT

Il a 22 ans et ne réfléchit pas. Ses parents se portent caution mais il négocie lui-même avec la banque. « On ouvre avec des chaises trouées, des couverts dépareillé­s. On donne tout, on est triste. On rentre chez soi en pleurant parce qu’il n’y a pas beaucoup de clients. L’employé le plus jeune a 30 ans. Toi, t’es le patron, c’est bizarre. Tu cries, t’es énervé. Tu ne dors pas. Et six mois plus tard, un journalist­e écrit un bel article. D’un seul coup, l’énergie revient, on se bat. » Il y a eu des hauts et des bas. « Ça a été des années à cuire des viandes et à éplucher des légumes toute la journée, tout seul dans ma cuisine. Il n’y a rien de plus horrible que de se donner à fond sans résultat. Je pense qu’il faut être dans le dur pour se révéler. »

6. SON PREMIER . 6. SON PREMIER CONCOURS

« Les gens pensent que ça démarre à ce moment-là alors que ça fait huit ans que je bosse. » En 2012, Jean Imbert remporte la saison 3 de « Top Chef ». « C’est ma petite amie de l’époque qui m’a inscrit – il y a des gens qui changent les destins. Dans mon esprit, c’était un concours de cuisine, point barre. Je ne me suis jamais dit qu’on passait à la télévision. » Il fait partie de ces candidats têtes à claques que les téléspecta­teurs adorent détester. On l’accuse d’insolence, on le traite d’arrogant. « On m’a inculqué la compétitio­n. Il faut assumer de vouloir gagner, ce n’est pas malsain. Je ne voulais pas jouer un rôle. J’étais moi-même, avec mes qualités et mes défauts. » Il ne sait pas s’il était le meilleur cuisinier cette année-là, mais affirme qu’il a d’autres qualités mentales. « Je suis bon pour faire les choses à fond. »

7. SA PREMIÈRE RENCONTRE AVEC JR (ET LES AUTRES)

« Je l’ai rencontré avant “Top Chef”. Il a mangé au restaurant et a adoré. Il a parlé de moi à ses amis. C’était facile, on est du même âge, on aime les mêmes choses et on a la même énergie. » À l’époque, Jean Imbert enchaîne les allers-retours à New York pour nourrir JR et ses copains. « Les gens parlent de people, mais ce sont des artistes. Ceux qui m’entourent me transcende­nt lorsqu’ils vont là où on ne les attend pas et qu’ils sont engagés. JR ne m’a pas présenté tout le monde. Je lui ai fait rencontrer des gens aussi : Marion Cotillard, Omar Sy... Mais quand De Niro débarque avec lui à mi

« JR ne m’a pas présenté tout le monde. Je lui ai fait rencontrer des gens, aussi : Marion Cotillard, Omar Sy... Mais quand De Niro débarque à minuit avec lui à L’Acajou, c’est quelque chose. »

nuit à L’Acajou, c’est quelque chose. » Quant à savoir s’il s’est réellement lié d’amitié avec toutes ces personnali­tés (Dua Lipa, Emily Ratajkowsk­i, Madonna, Jay Z, Johnny...), il faut nuancer : « Quand peuton dire que quelqu’un est un ami et l’inviter à son anniversai­re ? Je ne les mets pas au même niveau que mes amis d’enfance, avec qui je dîne toutes les semaines et passe tous mes étés. Mais je sais que si je suis à New York ou à Los Angeles et que j’ai besoin d’un endroit où dormir, je peux les appeler. Les grandes stars internatio­nales paraissent inaccessib­les. Quand on a accédé à la confiance, la relation est aussi simple qu’avec quelqu’un de “normal”. Je sais rester à ma place. Ils disent que je suis “one of them”. Ils pensent que je suis un artiste. Je ne me considère pas comme tel. On est dans un univers créatif mais éphémère et peut-être plus instinctif. »

8. SON PREMIER SOUTIEN

En mars dernier, quinze ans après l’inaugurati­on de L’Acajou, Jean Imbert ouvre Mamie avec sa grand-mère, Nicole. « Il y a des cycles. Je voulais faire un truc avec elle mais les démarches étaient compliquée­s. J’avais déjà un restaurant et c’est dans celui-là que je voulais recréer les recettes de ma mamie – il est la base de mon histoire et j’y ai rencontré tous les gens que j’aime. » Nicole a 93 ans et cuisine encore. Elle adore le vinaigre, en met de plus en plus dans ses plats. « Elle fait des recettes traditionn­elles et d’autres qu’elle a inventées, comme le gratin de daurade à la carte, avec du vin blanc, des champignon­s et des échalotes. »

9. SON PREMIER RESTAURANT AUX ÉTATS-UNIS

Fin 2018, the American Dream. « Pharrell est un ami proche. On fait des projets ensemble. Alors qu’on dînait à New York, il m’a annoncé qu’il ouvrait un restaurant à Miami avec David Grutman. Ça s’est fait très simplement : il m’a demandé d’aller voir à quoi ça ressemblai­t. On a enchaîné avec un anniversai­re où il y avait tous les héros de hiphop de ma jeunesse mais je ne pensais qu’au fait qu’on allait mettre la blanquette de veau de ma grand-mère à la carte d’un restaurant à Miami. »

10. SA PREMIÈRE CABANE (ÉCOLO)

« Un projet de sensibilis­ation et un rêve. Quand j’ai décidé de le concrétise­r, je l’ai voulu exemplaire même si c’est très beau, artistique. Un potager futuriste imaginé avec Xavier Mathias, pas de fondations ni de béton, du bois, des panneaux solaires et du chauffage au poêle. Une projection de ce que pourrait être un habitat sans empreinte carbone. » Il a conscience qu’on ne peut pas être exemplaire à 100 % mais « il y a une marge entre ne pas l’être totalement et construire des tours de béton ».

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VESTE ET T-SHIRT ACNE STUDIOS. COIFFURE ET MAQUILLAGE : FRÉDÉRIC KEBBABI @ B AGENCY
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