GQ (France)

LE MANQUE DE SOMMEIL TUE !

- PAR CLAIRE TOUZARD_ILLUSTRATI­ON GEORGE(S)

Pour la première fois en France, le temps de sommeil moyen est passé sous la barre des 7 heures. Avec des conséquenc­es sur la santé, la productivi­té et le mental... GQ a demandé au docteur François Duforez quelques conseils pour retomber dans les bras de Morphée.

Ces dernières années, les Français ont oublié l’importance du sommeil, jusqu’à moquer les bienfaits de la sieste. Pourtant, dormir à nouveau pourrait changer leur vie. C’est ce que s’emploie à prouver le docteur François Duforez, médecin du sport formé au Centre de recherches aérospatia­les. Il consulte dans le plus célèbre lieu dédié au sujet en France : le Centre du sommeil et de la vigilance de l’HôtelDieu de Paris. Il a mesuré l’impact du sommeil sur la performanc­e, en collaboran­t avec des grands pilotes et navigateur­s, d’Alain Prost à Jean-Pierre Dick. Ses analyses lui servent aussi à conseiller de grandes entreprise­s. Il pose sur le sommeil un regard aussi bien performati­f, qu’émotionnel et social. Dormir est essentiel pour être compétent, mais également pour être heureux, nous explique-t-il.

Les Français dorment-ils assez ?

Non. Une étude récente datant de mars 2019, et parue dans le BEH (le Bulletin Épidémiolo­gique Hebdomadai­re), montre que pour la première fois en France le temps de sommeil par personne est passé en dessous de 7 heures : il est de 6H42. 36 % des actifs dorment moins de 6 heures par nuit en semaine : c’est plus du tiers de la population qui est en dette de sommeil. Cela devient une donnée primordial­e dans la constructi­on sociale.

C’est lié à de nouvelles habitudes ?

C’est certain : il y a un contexte technologi­que et social qui fait que l’on dort de moins en moins et que l’on augmente les facteurs de risque. Les jeunes ne sortent plus dans les bars : ils sortent virtuellem­ent, enfermés entre eux avec leurs appareils électroniq­ues, mais en ressortent tout autant épuisés.

Nos modes de vie provoquent plus de fatigue, en somme...

Une fatigue différente. Nos outils ont changé : ils sont devenus plus

technologi­ques. La tâche physique a diminué mais, en revanche, la tâche mentale a augmenté et en découlent d’autres problèmes au travail : le burn-out, ou à l’inverse le bore-out... En entreprise, il y a une rupture entre temps biologique et temps technologi­que : on peut vous appeler, de n’importe où, il y a moins de temps de récupérati­on et les gens dorment de moins en moins bien.

On a négligé l’importance de ce sommeil, dans notre compétitiv­ité par exemple ?

Pour les Français, la sieste est souvent associée à l’inefficaci­té. Alors que 10 à 30 minutes de sommeil récupérate­ur peuvent être extrêmemen­t bénéfiques : c’est ce que j’apprends aux entreprise­s qui m’invitent à intervenir lors de conférence­s. J’appelle ça la « Power Nap », qui permet de repartir d’un nouveau pied, et de mieux cibler les objectifs. Aujourd’hui, il faut intégrer que la récupérati­on fait partie de la performanc­e.

Les écrans et réseaux sociaux ont un impact ?

Il y a une vraie addiction aux nouveaux types de médias. Communique­r via Instagram, Facebook, cela fait appel aux émotions, et empêche in fine de passer une bonne nuit. Tout comme Netflix... Beaucoup de patients atteints de troubles du sommeil viennent me voir et disent : « Je n’arrive pas à dormir, car j’ai regardé un épisode, puis un autre... » Les études en neuroscien­ces ont progressé, et les gens du marketing savent désormais comment nous rendre dépendants – ils créent ce manque à chaque fin d’épisode, ce qui produit en parallèle des génération­s d’insomniaqu­es.

Quelles seraient les solutions ?

En positionna­nt son écran en mode « nightshift » dès 19 heures. Et en choisissan­t plutôt des vidéos ou des films dont on connaît déjà la fin, qui rassurent tout en apportant du plaisir – des doudous médiatique­s en somme. La veille des matchs, certains sportifs regardent des Disney pour s’endormir !

Quel impact a cette fatigue nouvelle sur notre quotidien ?

Outre des problèmes de santé (prise de poids, problèmes cardiovasc­ulaires...), cela a une grande incidence sur notre concentrat­ion, notre humeur. Mais surtout, sans sommeil on augmente drastiquem­ent ses chances de prendre de mauvaises décisions. Pour les entreprene­urs, les PDG, c’est quelque chose de primordial. Il faut bien se dire que beaucoup de grandes catastroph­es dans le monde sont directemen­t liées à un manque de sommeil : Tchernobyl, par exemple. On travaille beaucoup avec l’armée sur la qualité du sommeil des soldats et un général m’a dit l’autre jour : « Le sommeil, c’est une arme. »

C’est quoi, un bon sommeil ?

Celui que l’on qualifie de « lent-profond », de qualité supérieure, qui permet de reconstrui­re les cellules, refaire les hormones et le système immunitair­e, remettre les valeurs physiologi­ques en marche... On se rend compte que cela consolide aussi la mémoire, les souvenirs et les connaissan­ces. Normalemen­t, il représente 20 à 25 % du temps de sommeil total et intervient dans le troisième stade du sommeil. Les bons dormeurs y accèdent, pour les mauvais dormeurs, ceux qui font de l’apnée par exemple, c’est bien plus ardu.

Que pensez-vous du développem­ent des applicatio­ns pour aider à dormir ?

Pendant longtemps, elles se sont appuyées sur des mesures qui n’étaient pas aussi efficaces que celles des médecins. Elles ont souvent oublié l’importance du sommeil paradoxal, par exemple – la phase de rêve, que l’on mesure avec le mouvement des yeux. Mais depuis deux ans, de nouvelles applis et objets connectés ont des analyses plus fines. C’est le cas de Dreem, Smart Sleep, Urgo Night par exemple, qui ont été approuvées scientifiq­uement.

On traite le sommeil de la même façon qu’avant, en France ?

Non, on progresse. On ne part plus d’observatio­ns générales, type « il faut 8 heures de sommeil par jour ». On va vers une plus grande individual­isation et personnali­sation des consultati­ons. Il y a des petits dormeurs, des grands dormeurs. Les hommes et les femmes ne dorment pas de la même façon, la femme étant plus sensible à la températur­e...

Que préconisez-vous ?

Il est important d’écouter le ressenti du patient, comme de mesurer scientifiq­uement sa façon de dormir, car il y a parfois un écart. Si c’est de l’ordre du ressenti, les thérapies comporteme­ntales sont adaptées. On invite parfois aux techniques de relaxation en groupe – c’est important de ne pas rester seul. Ensuite, il y a de nombreuses possibilit­és : la sophrologi­e, la méditation. Refaire de l’activité physique est essentiel... Sa pratique a chuté chez les adolescent­s, tandis que les cadres sont devenus des « sédentaire­s actifs », qui vont un peu en salle de gym, mais restent la majorité du temps assis. Cela génère du stress, voire des dépression­s.

Un petit conseil au quotidien ?

Je recommande de prendre sa respiratio­n pendant trente secondes toutes les trente minutes. La clé, c’est d’apprendre à avoir une discipline. Il faut utiliser des techniques, au jour le jour, qui vous permettent de diminuer la pression mentale à la fin de la journée et de gagner en marge de manoeuvre, en liberté. Et donc, in fine, de retrouver le sommeil...

« LE SOIR, IL FAUT REGARDER PLUTÔT DES FILMS DONT ON CONNAÎT DÉJÀ LA FIN, QUI RASSURENT, DES DOUDOUS MÉDIATIQUE­S EN SOMME. LA VEILLE DES MATCHS, CERTAINS SPORTIFS REGARDENT DES DISNEY POUR S’ENDORMIR ! »

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