CYRIL DION
Il a cofondé le mouvement Colibris, coréalisé le docu Demain, participé à l’action L’Affaire du siècle, et a même chuchoté à l’oreille de Macron. Son prochain film ? Le rapport au vivant de deux jeunes ados proches de la cause animale.
À quoi tient le charme ? À une foule de détails indicibles dont on ne retient souvent que le plus évident. Celui qui saute aux yeux. En l’espèce, aux oreilles. Grave et suave, la voix de Cyril Dion a des vertus hypnotiques. Elle sonne juste, alors on l’écoute. Même si ce qu’il raconte n’a rien d’une chanson douce, même s’il rend compte sans filtre de la gravité de la situation climatique. Comment expliquer que ce quadra aux cheveux ébouriffés, écrivain et réalisateur, qui fut tour à tour acteur, réflexologue, organisateur de congrès israélo-palestiniens, ou bien cofondateur du mouvement Colibris, soit davantage compris que des experts scientifiques qui, pendant cinq décennies, ont hurlé dans le désert ? Surtout, comment Cyril Dion a pu convaincre Emmanuel Macron de créer une convention citoyenne pour le climat dont le pouvoir de modifier la loi et la constitution française est inédit et pourrait aboutir à un résultat historique ? Le charme ne fait pas tout.
S’il assure qu’expliquer et convertir à la cause écolo « l’assèche », il n’est pas dénué d’atouts pour convaincre. La grande force de persuasion de ce garçon discret réside dans sa compréhension fine du contexte (le type est intelligent), une faculté d’observation (il est patient), un don pour raconter des histoires (sa voix, toujours) et une gestion très maîtrisée de son ego (ne pas brouiller le message en faisant le mariole). Enfin, il utilise l’émotion comme canal de transmission. Pas la culpabilisation ni le pathos. Juste l’émotion. « Dans son livre L’Espèce fabulatrice (Actes Sud, 2008, ndlr), Nancy Huston explique que la fiction est notre façon d’être au monde. Que nous racontons des histoires pour donner du sens à ce petit intervalle entre la naissance et la mort. J’en ai fait mon métier. J’écris des livres et des films, et même lorsque je donne des conférences, tout ce que je raconte passe par des histoires. La sécheresse des rapports d’experts me fait chier, j’ai besoin d’être ému, d’avoir peur. Alors quand un scientifique me parle et me touche, j’essaye ensuite de retraduire son message. C’est un peu comme avec la musique. Lorsque tu joues, tu émets une vibration, une fréquence, une pulsion de vie et tu espères qu’elle atteindra quelqu’un, quelque part. C’est ce que j’essaie de faire lorsque je parle du climat. »
LE SMS DE MACRON
En février 2019, en plein mouvement des Gilets jaunes, et trois mois après avoir attaqué en justice le gouvernement avec L’Affaire du siècle pour lui enjoindre de respecter ses engagements climatiques, Cyril Dion se retrouve à l’Élysée, face au chef de l’État. « Après notre passage à la matinale d’Inter, Macron a envoyé un SMS à Marion Cotillard, il voulait la voir. Elle a d’abord pensé que c’était un fake. Je lui ai demandé si elle avait beaucoup de copains qui pourraient se faire passer pour Macron. Elle a rigolé et répondu “J’en ai plein !” » La rencontre fut non officielle, pas de photo, pas de journaliste, pas de plan com’. « J’ai accompagné Marion et j’ai fait l’état des lieux de la situation en expliquant que les choses allaient beaucoup plus vite qu’il ne l’imaginait. Si nous ne faisons rien et que nous laissons les événements arriver à nous, alors nous nous exposons à l’avènement de régimes plus autoritaires, à cause de l’immigration et de tous les autres chocs. Macron connaît “intellectuellement” la réalité de la situation mais je ne pense pas qu’il l’ait intégrée. Il semble qu’il bouge progressivement sur le sujet, grâce aux briefs mais aussi, et surtout, parce que l’opinion publique bouge. »
Le projet de Convention citoyenne pour le climat est
« Macron sait que prendre des décisions radicales pour le changement climatique serait un suicide électoral. Si ça vient des citoyens, ça change tout... et il pourra quand même marquer l’histoire. »
dans l’air, Cyril Dion profite de l’occasion inespérée qui lui est donnée pour s’en faire le relais. Il travaille sur le sujet depuis plus de huit ans et le connaît sur le bout des doigts. Petit-fils d’un général ami d’enfance de Mitterrand, fils de banquier, élevé au Vésinet, on l’imagine pas trop mal à l’aise sous les ors de la République. Au cours de cette entrevue secrète sans tambour ni trompette, il expose au président le projet d’une assemblée délibérative constituée de citoyens tirés au sort. Sa mission ? Présenter un corpus de propositions pour lutter contre le réchauffement climatique. Pas de filtre étatique, les conclusions de cette assemblée indépendante seront, selon les cas, mises en application directement, soumises au vote du Parlement, ou l’objet d’un référendum. Avec cet exercice de démocratie directe, on est loin du très cosmétique Grand Débat. Cyril se prend à rêver… Et si les citoyens allaient plus loin, plus vite que les politiques et les militants? Et si par l’action de cette Convention citoyenne, la France pesait vraiment dans la bascule vers une transition énergétique mondiale ? « Emmanuel Macron nous a écoutés, fait répéter, je lui ai parlé de l’exemple irlandais (en 2015, l’Irlande a voté, par voie de référendum, une loi autorisant le mariage homosexuel proposée par une assemblée citoyenne, ndlr), j’ai vu que quelque chose percutait. Il sait que d’un point de vue électoral, prendre des décisions radicales pour le changement climatique – décroissantes, par exemple – serait suicidaire. Que ces propositions soient émises par des citoyens et non par un gouvernement change tout. Et puis il a sans doute compris que c’était une opportunité pour marquer l’histoire. Si la France réussit à faire passer des lois courageuses sur le climat grâce à un processus de démocratie directe et délibérative, ça aura une résonance dans le monde entier. C’est un président, il veut laisser sa trace. »
« À QUOI SERT L’HUMAIN ? »
2019 fut décisive et passionnante. Comme le monde entier, notre activiste de l’année a vu émerger une figure de proue singulière, inattendue, qui a réussi à imposer la question du réchauffement climatique au centre des débats internationaux en un bref discours à la COP24. Le phénomène Greta Thunberg a fait germer en lui l’envie de raconter une nouvelle histoire. « Qu’une ado s’en prenne aux chefs d’État en leur expliquant qu’ils sont en train de lui voler sa vie ainsi que celles de leurs enfants, c’est barge. Lors de sa venue à Paris, il y avait une douzaine de jeunes venus de toute l’Europe et… 250 journalistes ! On se serait cru au Festival de Cannes. Je me suis dit qu’il y avait sans doute là une bonne histoire à raconter. »
Alors que la Convention citoyenne a été constituée après quatre mois de négociations et qu’elle planche sur ses propositions, Cyril Dion fait une diète médiatique pour se lancer dans une tout autre aventure. Il tourne Animal, un documentaire-fiction sur le rapport au vivant à travers le regard de deux jeunes ados vegan et proches de la cause animale, Bella et Vipoulan. « J’avais envie de raconter comment cette génération est différente de la mienne. Ces ados se définissent par le fait qu’à l’âge adulte, ils vivront dans un monde qui sera partiellement inhabitable, peut-être à feu et à sang. Ils doivent grandir à une vitesse folle et sont confrontés très tôt à des questions métaphysiques, c’est-à-dire à leur propre mort. Et même si pour l’instant tout cela est encore virtuel, ils doivent définir aujourd’hui une autre modalité pour habiter cette planète dans le siècle à venir. Peuton continuer à penser que des solutions technologiques nous sauveront ? Comment trouver sa place avec le reste du vivant ? Et finalement, à quoi sert l’humain ? » Cette dernière question, Cyril Dion se l’est posée – et se la pose encore – lorsqu’il était adolescent. Quand on a 16 ans aujourd’hui, que l’on s’appelle Greta, Bella ou Vipoulan, elle résonne très fort avec le réchauffement climatique.