GQ (France)

Le San Vicente Bungalows est un club ultra secret à Los Angeles, qui offre quelques heures de tranquilli­té aux stars.

- PAR ALEX BHATTACHAR­JI ADAPTATION VALERIA COSTA-KOSTRITSKY PHOTOGRAPH­IES JOE SCHMELZER

À Los Angeles, la première règle du club « San Vicente Bungalows » est : il est interdit de parler du club San Vicente Bungalows. Et surtout pas à la presse. Car ici, les stars peuvent faire la fête en toute discrétion à l’abri des smartphone­s. Et une fuite, ou le moindre écart de comporteme­nt, provoque l’exclusion immédiate. Bienvenue dans la forteresse SVB !

Le responsabl­e de la fuite court toujours, mais les enquêteurs se rapprochen­t. « On a une liste de trois suspects, dit Jeff Klein, qui dirige la chasse à l’homme. L’un des trois noms est très choquant. Je ne veux pas dire de qui il s’agit. On va trouver. Tout finit toujours par se savoir dans ce genre d’environnem­ent. » Nous sommes dans la bulle de pouvoir de San Vicente Bungalows, le club privé de Klein à West Hollywood, un terrain de jeu réservé à environ 750 membres triés sur le volet et à leurs invités. En mars, un invité a enfreint la règle numéro 1 du club : il est interdit de parler du club. La fuite, à savoir une rencontre entre Steven Spielberg et Ted Sarandos, le responsabl­e du contenu chez Netflix, a été publiée dans la rubrique people du New York Post, créant l’émoi dans le monde du spectacle et sa capitale. Le tête-à-tête entre deux éminences rivales de Hollywood – son plus illustre réalisateu­r et son dirigeant le plus puissant – s’est tenu à San Vicente Bungalows précisémen­t parce que la réputation et les règles du club reposent sur la discrétion et le respect de la vie privée. Pas étonnant, dès lors, que Klein ait fait appel aux services secrets pour débusquer le mouchard. « Oui, j’ai vraiment fait appel au Mossad », dit-il en riant, avant de lever son verre : « Santé ! » La soirée ne fait que commencer dans le bar des Bungalows. Le teint hâlé, vêtu d’un costume Boglioli, Klein dégage une aisance qui se

reflète dans l’ambiance des lieux : confort chaleureux mâtiné de glamour californie­n à l’ancienne. « C’est très beau en haut, merci ! » s’exclame une blonde en faisant un hug à Klein. Il s’agit d’Aerin Lauder, héritière milliardai­re de l’empire cosmétique et directrice image d’Estée Lauder, qui reçoit à dîner.

Si la fuite « Spielberg-Tarandos » est une défaillanc­e rare, elle est aussi une preuve éclatante de l’attrait du lieu, car Klein a toujours espéré que San Vicente Bungalows devienne précisémen­t le genre d’endroit où deux pontes en quête de discrétion viendraien­t déjeuner et tenter un rapprochem­ent. Et que les rares personnes au courant de la rencontre voudraient tout savoir de ce rendez-vous. « Ça ne fait pas partie de ma stratégie marketing, dit-il, mais, c’est vrai, je tiendrais absolument à voir l’endroit où ils se sont rencontrés. » En créant son propre club, Klein a cherché à privilégie­r la sphère privée autant que la sociabilit­é. « La vie privée est devenue le luxe ultime », dit-il. À cet égard, son club incarne le nec plus ultra de Los Angeles, voire des États-Unis. Au moins, la fuite n’était pas accompagné­e d’une photo. Elles sont interdites ici. Les membres encourent des sanctions s’ils utilisent leur téléphone, et les invités sont contraints de présenter leur téléphone à leur arrivée pour que la caméra soit recouverte d’un autocollan­t. « Mon fantasme ultime ce serait que Jennifer Aniston ait rendez-vous avec Brad Pitt, dit Klein. Tu imagines ? Ils viendraien­t ici et personne ne pourrait rien dire, rien faire, ni prendre une photo. Peut-être est-ce déjà arrivé… dans mes rêves. » Hormis ces interdicti­ons, San Vicente Bungalows, qui recèle nombre de recoins confortabl­es ainsi que neuf chambres d’amis, est un endroit où à peu près tout ce qui est légal est permis. « On n’est pas dans le jugement, dit Klein. Viens avec ta femme un soir, avec ta maîtresse le soir suivant, avec ton amant le soir d’après. »

ADES HOMMES À MOITIÉ NUS

ncien spa gay, la propriété fut pendant longtemps un lieu de rencontres, baptisé le San Vicente Inn. Jeff Klein l’a rachetée il y a six ans. Ce New-Yorkais s’est fait connaître avec un autre projet de réhabilita­tion : en 2004, il acquérait le très délabré hôtel The Argyle sur Sunset Boulevard avec des associés (il en est à présent le seul propriétai­re) et le rebaptisai­t Sunset Tower. « J’adore les ruines, dit-il. On peut s’amuser. » Klein a su faire de la Sunset Tower, merveille art déco, une destinatio­n à part entière. L’hôtel a accueilli la soirée de Vanity Fair (groupe Condé Nast) après les Oscars pendant plusieurs années. Le Tower Bar (le restaurant, où les photos sont interdites) est devenu un sanctuaire pour les célébrités et les décideurs, dont beaucoup sont aujourd’hui membres de San Vicente Bungalows.

Dimitri Dimitrov, émigré macédonien que tout Hollywood appelle désormais par son prénom, a été maître d’hôtel au Tower Bar pendant quatorze ans, avant de suivre Klein à SVB. Sa courtoisie et son flair ont plutôt contribué au succès du club. « Ce fut un acte de foi, dit-il. J’ai fait : “Jeff, pourquoi m’as-tu emmené dans un endroit plein d’hommes à moitié nus ?” Il m’a répondu : “Je viens de l’acheter. C’est à nous”, se souvient-il en riant. Il avait une vision. » Les lieux de rencontres comme San Vicente Bungalows sont essentiels à Los Angeles, une ville dont le climat pourrait faire oublier aux habitants leur isolement et le temps passé dans leur voiture. Dix ans après que Soho House a ouvert ses portes dans une sorte de grand cube en verre à deux pas de SVB, L.A. accueille beaucoup de clubs privés. Avec le soutien de

“ON N’EST PAS DANS LE JUGEMENT, DIT LE PROPRIÉTAI­RE. VIENS AVEC TA FEMME UN SOIR, AVEC TA MAÎTRESSE LE SOIR SUIVANT, AVEC TON AMANT LE SOIR D’APRÈS.”

Gwyneth Paltrow, le Arts Club de Londres va construire une énorme antenne à West Hollywood à moins d’un kilomètre de SVB. Beaucoup d’autres clubs sont des espaces de coworking, comme The Wing et AllBright, réservés aux femmes, et le gigantesqu­e Spring Place à Beverly Hills. À San Vicente Bungalows, démarchage et networking sont interdits. Les vrais rapports humains y sont tout aussi importants que le respect de la vie privée.

3 800 EUROS PAR AN

Le public de SVB est représenta­tif de l’élite de Los Angeles, composée en grande partie de personnes « invitées ». Mais certains visiteurs prestigieu­x se satisfont de cette situation. Bradley Cooper, qui vit principale­ment à New York, est venu plus d’une dizaine de fois. Malgré tout, l’attrait est tel qu’un nombre croissant d’habitants de New York ou de Londres cherchent à devenir membres, même s’ils sont rarement à Los Angeles. La tâche n’est pas mince, et toute personne ayant adopté la maxime de Groucho Marx

(« Jamais je ne voudrais adhérer à un club qui m’accepterai­t pour membre ») n’a aucun souci à se faire. S’il faut être nominé par un membre rien que pour postuler, seulement dix pour cent des candidatur­es sont acceptées. Le processus de candidatur­e, qui se fait en ligne, est simple, mais la sélection est plus mystérieus­e. Le comité d’adhésion, un groupe secret de quatorze personnes, a toute autorité. Klein en a nommé les membres (la rumeur veut que Julia Roberts en fasse partie), mais ils sont libres de rejeter des candidatur­es qu’il soutient, ce qui est déjà arrivé.

Jeff Klein se hérisse à la mention du terme « exclusif ». « Ce mot, en particulie­r quand il est associé à un club, tend à signifier que l’endroit ne compte que des hommes blancs et riches, dit-il. Et ce n’est pas notre cas. C’est même le type de candidatur­e qu’on refuse le plus. » Au sein du club, c’est un véritable mélange d’origines, de religions et d’orientatio­ns sexuelles, avec à peu près autant d’hommes que de femmes. Et s’il faut pouvoir se permettre des frais d’adhésion s’élevant à 3 800 euros par an, et 1 600 euros pour les moins de 35 ans, être riche n’offre cependant aucune garantie. Dimitrov résume : « Faites ce que vous voulez mais faites-le bien, avec classe, avec style, et (il claque des doigts) voilà, vous serez membre. »

À San Vicente Bungalows, les membres sont tenus de se porter garants de leurs invités et risquent l’expulsion si une personne qu’ils ont invitée se comporte mal. Jusqu’à présent, deux membres ont été expulsés : l’un avait abordé des personnes qu’il ne connaissai­t pas, le second, une femme, avait manqué de respect à Dimitrov. Malgré l’indifféren­ce des médias locaux qui se sont vu refuser l’entrée, l’effervesce­nce autour de SVB a grimpé dans la nonchalant­e Californie du Sud. Pour les connaisseu­rs de la Cité des Anges, le club est devenu un sujet de conversati­on incontourn­able, un endroit qu’il faut au moins avoir vu une fois. Klein estime que les membres du club ont amené des dizaines de milliers d’invités, voire une centaine de milliers, dans les premiers mois ayant suivi l’ouverture fin 2018. Certains se contentent d’une visite – et pestent en découvrant les restrictio­ns qui pèsent sur l’usage du portable, l’accord qu’ils doivent signer en entrant et l’ambiance sécuritair­e à l’entrée.

« SHALLOW » EN CHOEUR

Une fois à l’intérieur, ce n’est plus un problème. L’équipe, vêtue de vestes rayées de club d’aviron, est aux petits soins. Voyant que Corey Hawkins, l’acteur qui a incarné Dr. Dre dans NWA : Straight Outta Compton, avait un petit rhume, un membre du staff lui a apporté un médicament. S’il est charmant avec tous, Dimitrov sait murmurer à l’oreille des stars. « Johnny Depp est tellement célèbre qu’il ne peut pas aller faire du shopping. Il a organisé une fête ici et il avait peur d’aller en bas, se souvient-il. Je lui ai dit : “Johnny, ce jardin est à ta dispositio­n, tu n’as pas à t’inquiéter. On a vérifié tout le monde. Tu es en sécurité.” » Preuve s’il en fallait de la théorie de Klein selon laquelle le droit à la vie privée est le luxe ultime.

L’acteur Armie Hammer (Call Me by Your Name, The Social Network...) confie : « L’idée ce n’est pas “on est là pour être vus” mais plutôt “on est là pour s’amuser avec des amis et ne pas être vus”. Tu peux boire un ou deux cocktails de trop sans t’inquiéter des conséquenc­es. Personne ne va te fixer bêtement ou tenter de te prendre en photo à la dérobée alors que tu te vautres dans ta voiture. »

L’unique histoire – hormis celle du mois de mars –, qui a filtré dans la presse, remonte à février dernier, quand Warner Bros a privatisé le club après les Oscars. La rumeur parle d’une interpréta­tion passionnée de « Shallow », la chanson thème du film A Star Is Born, qui venait de gagner l’Oscar de la meilleure chanson originale. Dimitri Dimitrov s’enflamme : « Irina, la petite amie de Bradley Cooper (Irina Shayk et l’acteur se sont séparés depuis, ndlr), a commencé à chanter, se souvient-il. Bradley Cooper a continué, puis Lady Gaga a repris, et une centaine de personnes les ont rejoints. C’était encore plus magique que leur show lors de la cérémonie. Si quelqu’un avait filmé, la vidéo aurait fait le tour du monde. » Ce ne fut pas le cas, évidemment. « Tu ne trouves pas ça plus fort ? demande Klein. Le fantasme n’estil pas plus puissant que la réalité ? » Quand on mentionne la performanc­e de Lady Gaga, il hoche la tête d’un air complice, avant de révéler sans le savoir qu’un autre duo de rêve s’est formé cette nuit-là : « Oh, tu parles du moment où elle a chanté avec Mick Jagger ? »

“ICI, TU PEUX BOIRE SANS T’INQUIÉTER DES CONSÉQUENC­ES. PERSONNE NE VA TENTER DE TE PRENDRE EN PHOTO ALORS QUE TU TE VAUTRES DANS TA VOITURE.” L’ACTEUR ARMIE HAMMER

 ??  ?? À l’entrée du SVB, une pastille est minutieuse­ment collée sur les objectifs des smartphone­s. Discrétion assurée.
À l’entrée du SVB, une pastille est minutieuse­ment collée sur les objectifs des smartphone­s. Discrétion assurée.
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 ??  ?? Dimitri Dimitrov, le maître d’hôtel, dans les bras de Jeff Klein, le propriétai­re du SVB.
Dimitri Dimitrov, le maître d’hôtel, dans les bras de Jeff Klein, le propriétai­re du SVB.
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 ??  ?? De haut en bas : Eddie Redmayne et Hannah Bagshawe au Sunset Tower de Jeff Klein, en 2013. Même lieu, même année, avec Catherine Zeta-Jones et Michael Douglas. Asap Rocky au SVB en 2019. En bas, le bar extérieur du SVB.
De haut en bas : Eddie Redmayne et Hannah Bagshawe au Sunset Tower de Jeff Klein, en 2013. Même lieu, même année, avec Catherine Zeta-Jones et Michael Douglas. Asap Rocky au SVB en 2019. En bas, le bar extérieur du SVB.
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 ??  ?? Le SVB comporte neuf bungalows et une salle de projection privée. Chic !
Le SVB comporte neuf bungalows et une salle de projection privée. Chic !
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