GQ (France)

DU CORPS À L’OUVRAGE

- RÉALISATIO­N YLIAS NACER_TEXTE CLAIRE TOUZARD PHOTOGRAPH­IES TOM DE PEYRET

Au coeur de notre série mode ce mois-ci, un mannequin hors normes. Depuis sa fuite de la Syrie en 2015, Ahmad Kontar a vu sa vie basculer. Arrivé en France, il est repéré dans la rue par un directeur de casting et enchaîne depuis défilés et shootings. Pour ce numéro spécial de GQ, le jeune homme de 28 ans a posé avec sa bande. Un seul mot d’ordre : la fantaisie.

Ahmad a cette silhouette ciselée, puissante. Quand il marche, il danse toujours un peu. Ce mois-ci, il incarne notre série mode avec sa bande. De jeunes Syriens dispersés à travers l’Europe : Aseel, Nouras, Mazen, Loris, et sa soeur jumelle Sara. Il a récemment fait plusieurs couverture­s de magazines, et a défilé pour les marques GmBH ou Jacquemus. Il connaît un succès fulgurant. Il y a quelques années, il n’aurait jamais pu concevoir tout cela : il fuyait la Syrie à pieds. De décembre 2015 à février 2016, Ahmad et Sara ont traversé sept pays, de la Turquie en passant par l’Allemagne, ils ont un bombardeme­nt. « C’était irréel. Elle m’a appelé, et n’arrêtait pas de me répéter qu’elle allait peut-être mourir, mais que tout allait bien. En Syrie, on déplace des cadavres, et on continue à vivre. La guerre a une dimension tellement absurde que l’on ne peut rien en soutirer de rationnel. » Alors il a fallu partir. Leur mère, psychanaly­ste, a demandé le droit d’asile. Ils l’ont rejointe : laissant leur père, architecte, dans leur ville baptisée Soueïda. Quand il en parle, tout est trouble : le passé, dit-il, reste présent. Le temps est quelque chose que l’on maîtrise peu quand on est déraciné. Depuis qu’il est en France, le jeune homme de 23 ans trouve que « tout va vite, comme dormi sous des tentes, dans la rue, avant d’arriver en France. Ils sont réfugiés. Un mot qu’il a du mal à appréhende­r : il le trouve réducteur, il ne fait pas honneur à son pays ni a lui-même, il dilue son identité. « Le mot réfugié ne définit pas un individu. C’est un état temporaire, que tout le monde peut expériment­er. Cela devrait être vecteur de solidarité. » Ahmad a été repéré dans la rue, à Paris, par un directeur de casting. « Je ne savais même pas que cela existait », s’amuse-t-il. Il se souvient de son premier défilé de mode : « C’était étrange d’être scruté par la presse et les influenceu­rs. Je sentais les mêmes regards en accéléré » : il a l’impression que la pellicule file et ne s’arrête jamais, il n’en ressort que des bribes. Il a du mal à digérer le passé, le présent semble « irréel », et le futur, impalpable. « Je ne sais jamais où je serai demain », glisse t-il. Aujourd’hui, toutefois, il s’assume et ne craint plus les regards. La France l’a sauvé, il l’aime bien. « Elle s’enracine dans ma personnali­té, si je devais partir cela me ferait mal, comme si on m’ôtait un membre », dit-il avec son français impeccable, érudit. Il a appris à le parler en quatre mois : « Je suis comme ça, je deviens obsédé par les choses. J’ai appris la danse de la même façon, je me levais la nuit pour répéter. » Il continue que ces curieux qui s’amassaient derrière des barrières pour venir nous observer, quand on traversait les frontières. Ils me mettaient mal à l’aise. » Il ne comprend pas la pitié, ni cette propension à s’appesantir sur sa condition. « Les gens disent que ma vie est dingue mais je ne sais pas ce que ça veut dire, je n’ai pas de comparaiso­n possible. »

Pour lui, l’être humain s’habitue à tout : « Avant de quitter mon pays, je n’avais pas conscience que nous vivions dans la misère. » En Syrie, les hommes s’habituent même à la guerre. Il raconte ce qui a provoqué leur départ : sa soeur Sara, qui étudiait à Damas, a échappé à à faire des études de STAPS à Amiens, où il vit avec sa famille, pour être kiné. Il danse depuis ses 14 ans : il croit en la guérison par le corps. Même si son esprit ingère en un éclair, c’est finalement le physique qui l’a sauvé : « Quand je suis arrivé, je ne parlais pas un mot. Mais je me suis rendu au centre d’art le Centquatre-Paris, et j’ai commencé à danser avec des Français qui faisaient du freestyle là-bas. C’est cette passion partagée qui a permis d’établir un dialogue. La danse, au fond, ça a été mes premiers pas dans l’insertion. » La force du corps et du langage. Derrière la pose, Ahmad Kontar nous assène quelques vérités.

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 ??  ?? Pour toutes les pages, lire de gauche à droite et de haut en bas.
Loris : manteau Dries Van Noten, pull Joseph, pantalon Bottega Veneta, chaussures J.M. Weston. Ahmad : costume Givenchy, débardeur Hermès, chaussures Balenciaga, chapka vintage.
Asil : haut, pantalon et chapeau Dolce & Gabbana, chaussures Paraboot.
Page de gauche :
Mazen : veste et pantalon vintage Gauthier Borsarello, chemise Hermès. Asil : veste, chemise et pantalon Hermès.
Nawras : chemise Loewe, pantalon vintage Gauthier Borsarello.
Pour toutes les pages, lire de gauche à droite et de haut en bas. Loris : manteau Dries Van Noten, pull Joseph, pantalon Bottega Veneta, chaussures J.M. Weston. Ahmad : costume Givenchy, débardeur Hermès, chaussures Balenciaga, chapka vintage. Asil : haut, pantalon et chapeau Dolce & Gabbana, chaussures Paraboot. Page de gauche : Mazen : veste et pantalon vintage Gauthier Borsarello, chemise Hermès. Asil : veste, chemise et pantalon Hermès. Nawras : chemise Loewe, pantalon vintage Gauthier Borsarello.
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 ??  ?? Ci-contre :
Loris : manteau et chaussures Gucci.
Page de gauche :
Ahmad : pantalon et jambières de cuir Jacquemus, chapeau vintage Gauthier Borsarello.
Asil : chemise AMI, pantalon Hermès.
Nawras : sweat Maison Margiela, pantalon AMI. Sara : pull et bottes Junko Shimada.
Loris : chemise et pantalon Acne Studios.
Ci-contre : Loris : manteau et chaussures Gucci. Page de gauche : Ahmad : pantalon et jambières de cuir Jacquemus, chapeau vintage Gauthier Borsarello. Asil : chemise AMI, pantalon Hermès. Nawras : sweat Maison Margiela, pantalon AMI. Sara : pull et bottes Junko Shimada. Loris : chemise et pantalon Acne Studios.
 ??  ?? Ci-contre :
Ahmad : cardigan Fendi, chapeau Loewe.
Page de droite :
Ahmad : veste et pantalon
Ralph Lauren, chemise vintage, bottes Rick Owens.
Sara : veste Acne Studios, combinaiso­n Missoni, bottes Nodaleto, collier vintage.
Ci-contre : Ahmad : cardigan Fendi, chapeau Loewe. Page de droite : Ahmad : veste et pantalon Ralph Lauren, chemise vintage, bottes Rick Owens. Sara : veste Acne Studios, combinaiso­n Missoni, bottes Nodaleto, collier vintage.
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 ??  ?? Ci-contre :
(debout)
Nawras : manteau, haut et harnais, Comme des Garcons Homme Plus. Asil : manteau, T-shirt et collants Comme des Garcons Homme Plus, chaussures Nike x Comme des Garcons Homme Plus.
(assis)
Loris : robe et col Comme des Garçons Comme des garçons. Sara : manteau et robe
Bottega Veneta, chapka vintage. Ahmad : manteau, col roulé, pantalon et chaussures Balenciaga. (au sol)
Mazen : manteau Versace, pull Acne Studios, pantalon Lemaire, chaussures vintage, carré Hermès vintage.
Page de gauche :
Asil : T-shirt et casquette
Dolce & Gabbana.
Ahmad (de dos) : veste Givenchy, chapka vintage.
Ci-contre : (debout) Nawras : manteau, haut et harnais, Comme des Garcons Homme Plus. Asil : manteau, T-shirt et collants Comme des Garcons Homme Plus, chaussures Nike x Comme des Garcons Homme Plus. (assis) Loris : robe et col Comme des Garçons Comme des garçons. Sara : manteau et robe Bottega Veneta, chapka vintage. Ahmad : manteau, col roulé, pantalon et chaussures Balenciaga. (au sol) Mazen : manteau Versace, pull Acne Studios, pantalon Lemaire, chaussures vintage, carré Hermès vintage. Page de gauche : Asil : T-shirt et casquette Dolce & Gabbana. Ahmad (de dos) : veste Givenchy, chapka vintage.
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 ??  ?? Ci-contre : Ahmad : maille et pantalon Collection Homme, Dior, chapeau vintage.
Page de gauche : Ahmad (en haut, à gauche) : manteau et col roulé Balenciaga. Sara (à droite, en haut et en bas) : manteau et robe Bottega Veneta, chapka vintage. En bas, de gauche à droite : Asil : chemise Equipment vintage, pantalon Givenchy, collier personnel. Loris : manteau Gucci. Mazen : combinaiso­n Gucci. Ahmad : veste et pantalon Ralph Lauren, chemise vintage.
Ci-contre : Ahmad : maille et pantalon Collection Homme, Dior, chapeau vintage. Page de gauche : Ahmad (en haut, à gauche) : manteau et col roulé Balenciaga. Sara (à droite, en haut et en bas) : manteau et robe Bottega Veneta, chapka vintage. En bas, de gauche à droite : Asil : chemise Equipment vintage, pantalon Givenchy, collier personnel. Loris : manteau Gucci. Mazen : combinaiso­n Gucci. Ahmad : veste et pantalon Ralph Lauren, chemise vintage.
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 ??  ?? Ci-contre :
Mazen : combinaiso­n antifeu vintage Gauthier Borsarello.
Page de gauche :
Mazen : combinaiso­n antifeu vintage Gauthier Borsarello. Ahmad : gilet et jean Louis Vuitton, chaussures Rick Owens. MANNEQUIN : AHMAD @ ELITE. AMIS D’AHMAD : LORIS, MAZEN, NAWRAS, ASSEL ET SARA. SET DESIGN : GIOVANNA MARTIAL @ ARTLIST. COIFFURE : TERRY SAXON @ ARTISTS UNIT. MAQUILLAGE : VALENTINE PERRIN MORALI @ ARTISTS UNIT. ASSISTANT PHOTO : WILLIAM FLEMING. ASSISTANTE MODE : KAITLIN LESLIE.
Ci-contre : Mazen : combinaiso­n antifeu vintage Gauthier Borsarello. Page de gauche : Mazen : combinaiso­n antifeu vintage Gauthier Borsarello. Ahmad : gilet et jean Louis Vuitton, chaussures Rick Owens. MANNEQUIN : AHMAD @ ELITE. AMIS D’AHMAD : LORIS, MAZEN, NAWRAS, ASSEL ET SARA. SET DESIGN : GIOVANNA MARTIAL @ ARTLIST. COIFFURE : TERRY SAXON @ ARTISTS UNIT. MAQUILLAGE : VALENTINE PERRIN MORALI @ ARTISTS UNIT. ASSISTANT PHOTO : WILLIAM FLEMING. ASSISTANTE MODE : KAITLIN LESLIE.

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