GQ (France)

Jamais sans ma « work wife »

Dès que vous vous croisez, l’open space s’illumine. Complicité, con iance et amour platonique... votre « work wife » vous rend plus heureux et plus productif. Alors pour que cette (b)romance profession­nelle rime avec éternel, entretenez la flamme !

- PAR NICOLAS SANTOLARIA

« ON EST UN PEU COMME dans le film Le Chat de Granier-Deferre, un vieux couple qui a vécu tellement de choses qu’il ne se parle plus. Mais dans le fond, on s’aime. » Cette confidence d’un employé de bureau quadragéna­ire illustre de manière ironique et presque jusqu’au-boutiste le phénomène de la « work wife ». La work wife, qui n’est d’ailleurs pas forcément une femme et peut aussi bien avoir les traits joufflus d’un type à chemisette avec un stylo multicoule­urs dans la poche, c’est, littéralem­ent, votre « femme de bureau ».

Lorsque vous croisez son regard le matin, vos yeux s’illuminent et l’open space se transforme soudain en film de Claude Lelouch. Comme cet amour de bureau est essentiell­ement platonique, cela lui donne une force particuliè­re. L’absence de sexe (en général, hein, un dérapage est toujours possible) place la relation sur le terrain de la complicité pure, de l’affectivit­é cristallin­e. Parfois, ce sentiment de connexion profonde naît au premier regard, comme un coup de foudre. « Elle était plus âgée que moi. Dès qu’on s’est parlé, j’ai tout de suite su que c’était elle, comme une évidence », confie Damien, qui travaille comme modéliste dans une maison de couture parisienne. Cette work wife, avec qui vous pouvez aussi bien partager le récit de vos soirées Netflix que vos peines de coeur, c’est le pilier indéfectib­le de votre vie d’entreprise. Vous savez qu’au moment d’aller à la cantine, vous ne courrez pas le risque infamant de vous retrouver seul face à votre assiette de lasagnes aux épinards car elle sera là pour partager les bonnes surprises (ce saumon à la plancha idéalement snacké) comme les mauvaises (l’interminab­le semaine mexicaine avec burritos à volonté et chapeaux ronds en option).

Le premier avantage de la work wife, c’est sa fiabilité. Dans le monde complexe du tertiaire où dominent les faux-semblants, vous pouvez lui faire une confiance aveugle. « Dès qu’on se retrouvait, on sortait des ragots sur tout le monde. On savait qu’on pouvait tout se dire, qu’il n’y avait aucun risque que l’un ou l’autre aille répéter quoi que ce soit. Il faut d’ailleurs faire attention car cet excès de confiance peut être dangereux : il y a souvent des oreilles qui traînent », poursuit Damien. En cas de coup dur, après une réunion irritante, votre work wife est là pour recueillir vos plaintes avec une mine compréhens­ive. « Comme elle était plus âgée que moi, ma work wife me défendait quand les autres employés critiquaie­nt mon travail », explique Christophe, qui travaille dans la publicité. Pouvoir être sincère, évacuer ses émotions négatives, tel est le luxe offert à celui qui entretient une relation avec une « moitié » corporate. Car « entretenir » est bien le terme qui convient. Un tel lien, pour perdurer, doit être nourri quotidienn­ement, parfois même en dehors des heures de travail. « Nous, on se voyait beaucoup après le boulot. Il connaissai­t mon frère, ma soeur, mes parents.

Il était au courant de tous les événements de la famille », confie Nabil, à propos de Thomas, sa work wife. Un phénomène loin d’être anodin, car, contrairem­ent à ce que l’on pourrait penser, on va moins au travail pour gagner de l’argent que pour tenter d’y intensifie­r sa vie sociale. Selon un sondage OpinionWay, 93 % des Français pensent ainsi que l’entreprise est un lieu où l’on se fait des amis, ceci contribuan­t à l’instaurati­on d’une bonne ambiance. Une étude réalisée par l’Institut Gallup auprès de 5 millions de travailleu­rs vient confirmer que l’amitié au travail est un facteur capital pour la satisfacti­on, mais également pour la productivi­té des salariés. En résumé, si vous souhaitez que votre boîte tourne à plein régime, pensez à encourager la création de couples de bureau, en multiplian­t les lieux d’intimités et les occasions de rencontres – à quand les slows à la fin des réunions ? Néanmoins, les choses peuvent devenir extrêmemen­t problémati­ques lorsque votre amour de bureau déçu devient le figurant désagréabl­e d’un mauvais vaudeville climatisé. En pareille circonstan­ce, se « séparer » de votre work wife exige, parfois, un reposition­nement douloureux dans la géographie de l’open space. Malgré cela, et même si vous avez réussi à vous arranger pour savoir qui aura la garde de l’agrafeuse, celle qui connaît tout de vous devient alors une menace potentiell­e avec laquelle il faudra apprendre à vivre.

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