GQ (France)

Vie de bureau, sexualité, parentalit­é... libérez le meilleur de vous-même !

Pour des rapports harmonieux au travail, le sens de l’observatio­n et de la déduction est un outil essentiel. Cultivez-le vôtre.

- PAR NICOLAS SANTOLARIA

SI VOUS REGARDEZ LA TRÈS RECOMMANDA­BLE série Sherlock, créée par Mark Gatiss et Steven Moffat, vous connaissez certaineme­nt cette scène emblématiq­ue, qui revient d’épisode en épisode. Le détective privé de Baker Street, interprété par Benedict Cumberbatc­h, reçoit un client ou une cliente et lui dresse un pro il psychologi­que ultra-précis alors qu’il ne l’a jamais vu(e). Tout part souvent de simples détails, une tache sur un vêtement, une attitude, une odeur qui font faire à Sherlock des digression­s paraissant insensées au commun de mortel. Mais Sherlock n’est pas un surhomme, juste un type dont l’oeil est aussi tranchant qu’un laser. « Vous voyez, vous ne savez

pas observer, c’est tout », s’énerve-t-il d’ailleurs régulièrem­ent contre son brave acolyte Watson. Ce sens bluffant de la compréhens­ion intuitive des situations est ce que les Coréens nomment le « nunchi ». Soit « l’art subtil de déterminer l’état d’esprit et le ressenti de l’autre pour construire une relation harmonieus­e basée sur la con iance et l’échange », peut-on lire dans l’ouvrage d’Euny Hong, Le Pouvoir du nunchi (Éditions Hugo, New Life, 2019). S’il y a bien un endroit où cette capacité est essentiell­e, c’est au bureau, un univers où les nondits et les faux-semblants imposent de développer au maximum votre sens déductif (« Robert s’est fait faire un tatouage maori sur le mollet et a investi dans un nouveau déodorant à la fleur de monoï, c’est donc qu’il brigue le poste de responsabl­e des achats pour la zone AsiePaci ique »). « Le nunchi est absolument crucial dans le cadre profession­nel parce qu’on vous dira rarement ce qu’il se passe exactement. Par peur de procès ou d’une réaction de panique, les entreprise­s sont souvent peu loquaces sur les informatio­ns sensibles qui risquent de vous affecter directemen­t, par exemple une éventuelle vague de licencieme­nts », explique Euny Hong. Pour bien comprendre à quoi vous expose une absence de nunchi dans le cadre profession­nel, il suf it de regarder la série britanniqu­e The Of ice. Le boss, David Brent (Ricky Gervais), y est toujours à côté de la plaque, ne comprenant rien au malaise que ses interventi­ons provoquent. « Une fois, ma chef discutait avec la responsabl­e d’une agence partenaire et elle lui a sorti : “Alors, vous êtes enceinte depuis quand?” Son interlocut­rice était juste un peu ronde et l’a très mal pris », explique Steve, qui travaille dans le conseil en transforma­tion digitale. Si votre absence d’à-propos peut vous faire chuter, à l’inverse, votre maîtrise du nunchi de bureau vous permettra de débloquer à peu près n’importe quelle situation. Pour cela, faire le vide dans votre esprit permet d’éviter les « a priori » et de « lire » (ce sont les termes employés par les spécialist­es) une pièce de manière fluide, sans y projeter vos propres névroses ou attentes, comme vous détailleri­ez une scène de crime. Si vous n’êtes pas occupé par une prise de parole, les réunions sont un excellent moment pour développer cette capacité : en sachant observer, avec calme et distance, l’existence de clans, les af inités sentimenta­les, les véritables enjeux narcissiqu­es vous apparaîtro­nt rapidement comme évidents. Autant de données sensibles utilisable­s ensuite. « Un employé avec un bon nunchi regarde toujours au-delà de son propre rôle et de ses seules ambitions personnell­es. Il prend en compte l’entreprise dans son ensemble et articule ses objectifs avec la stratégie globale, pour en tirer avantage », explique Euny Hong. Le nunchi n’est donc pas une simple instrument­alisation de votre sens de l’observatio­n à des ins personnell­es, mais une harmonisat­ion de vos visées avec celles de votre environnem­ent de travail. C’est, à bien des égards, une forme d’écologie relationne­lle. « Moi, j’avais un chef un peu rigide et j’ai vite compris que, pour arriver à mes ins, je devais lui donner le sentiment que les idées venaient de lui, même si elles venaient le plus souvent de moi ou d’un autre collègue. Ça pourrait paraître un peu tordu dit comme ça, mais c’était le meilleur moyen pour que les choses avancent. En revanche, je ne sais pas si on peut parler de nunchi. Je dirais plutôt que c’est une intelligen­ce de la situation », nuance Edgar, concepteur-rédacteur, qui se méie de l’engouement aveugle pour tout ce qui vient d’Asie. Au-delà du débat terminolog­ique, les Coréens, eux, quali ient ce type d’ultrasensi­tivité de nunchi « rapide ». Capacité pouvant également servir à la cantine lorsqu’il faut analyser en un clin d’oeil l’offre du jour et foncer vers le saumon à la plancha avant que tout le monde ait eu la même idée que vous.

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