FAIT DIVERS
Rédoïne Faid propose un marché à Jacques Mariani, de la Brise de mer : sa liberté contre son ralliement.
L’autre projet fou de Rédoine Faïd.
Le détenu hypermédiatique, qui doit être jugé en appel à la fin du mois pour une attaque de fourgon blindé dans le Nord de la France, aurait nourri un projet rocambolesque : un an avant son évasion spectaculaire de la prison de Réau, Faïd préparait sa fuite d’une autre prison avec l’aide – détonante – du milieu corse.
Il avait l’intention de faire sauter les épais murs de Fresnes. Plus fort encore que lorsque les complices d’Antonio Ferrara ont pris d’assaut la vieille maison d’arrêt du Val-de-Marne. Cette évasion avait marqué les esprits mais à l’époque, le commando corso-banlieusard venu libérer le petit Italien du 94 n’avait fait sauter qu’une porte blindée, une grille et la fenêtre de sa cellule. Presque quinze ans plus tard, un autre pensionnaire célèbre, Rédoine Faïd, aurait échafaudé un plan encore plus audacieux pour s’extraire de la prison, pourtant l’une des plus sécurisées de France. C’était une année avant qu’il ne s’enfuie de la prison de Réau, le 1er juillet 2018, par hélicoptère et sans tirer le moindre coup de feu. Selon des éléments convergents recueillis par la police judiciaire parisienne, l’évasion programmée à Fresnes aurait été bien plus fracassante. Les enquêteurs ont reconstitué une partie du plan élaboré par le braqueur de l’Oise. Il consistait à faire sauter au minimum un mur, du jamaisvu dans une prison française ! Selon nos informations, Rédoine Faïd s’était aussi assuré de la complicité d’au moins un surveillant et de comparses extérieurs. Une enquête a été ouverte. Elle est toujours en cours. Ce projet semble corroboré par l’incroyable intervention d’un repenti dans une autre affaire où affleure l’ombre du grand banditisme corse. Car pour s’évader, Faïd aurait recherché de solides appuis. Celui qui aime à se faire surnommer « Le Doc », comme le personnage incarné par Steve McQueen dans le film Guet-apens (Sam Peckinpah, 1972, ndlr), n’a pas hésité à courtiser le milieu insulaire lors d’improbables rendez-vous avec un représentant de Jacques Mariani, 55 ans, fils de Francis, membre fondateur de la Brise de mer, le redoutable gang bastiais. Âgé d’une quarantaine d’années, l’intermédiaire est originaire de l’Ouest de la France, comme l’avaient révélé L’Obs et Le Monde. Un vrai personnage de film, puisque cet ancien élu local est devenu « collaborateur de justice », l’appellation officielle des repentis à la française. Dans une vie précédente, Paul (le prénom a été modifié car la loi sur les repentis impose de protéger leur anonymat) a été proche des réseaux
français de Bachar el-Assad. Mais il a été pris au piège suite à un événement qui s’est produit à des milliers de kilomètres de la prison de Fresnes : le 5 décembre 2017, sur le parking de l’aéroport de Bastia, deux séides du clan de Jean-Luc Germani, ennemi de Jacques Mariani, sont froidement assassinés. Une nouvelle manche de la guerre sanglante entre héritiers de la Brise.
DEUX FOIS PLUS PUISSANT QUE LA TNT
Interpellé avec Jacques Mariani, suspecté d’avoir été informé en amont de la tuerie de l’aéroport de Bastia, Paul est passé à table, et sans se faire prier. Il en dit même plus que ce que les enquêteurs sont venus chercher. Au fil de sa garde à vue, il assure avoir rencontré un homme qu’il affirme être Rachid Faïd, l’un des frères aînés de Rédoine. Celui-ci a été placé en détention depuis, fortement soupçonné de s’être rendu complice de l’évasion de son cadet de la prison de Réau en 2018. Un an plus tôt, au printemps 2017, Rachid Faïd, 59 ans, modeste manoeuvre dans le bâtiment, ne travaille plus mais il s’active. Toujours selon le même repenti, il joint Mariani par téléphone alors que ce dernier se trouve assigné à La Baule avec un bracelet électronique suite à sa libération conditionnelle après diverses condamnations, dont une pour assassinat. Il lui demande de rappeler un autre numéro via une « ligne sûre ». Mariani emprunte le téléphone d’une crêperie. Plus tard, Paul prend contact avec le frère de l’ex-évadé le plus célèbre de France avant de convenir d’une rencontre dans un café « un peu cosy et discret » en face de la gare Saint-Lazare, à Paris. En arrivant, il reconnaît immédiatement Rachid Faïd, car, ajoute-t-il, il « ressemble beaucoup » à Rédoine. La discussion dure une demi-heure. Rachid lui donne un petit sac avec un téléphone, « pas un smartphone », précise-t-il, mais un appareil à clapet, à l’ancienne, pour être contacté à horaires fixes, tous les jours, « entre 18 et 21 heures ». Surtout, le quinquagénaire lui remet un étrange manuscrit : douze feuilles A5 rédigées en « pattes de mouche », pliées en deux et emballées dans du film alimentaire. Un emballage spécialement prévu pour être dissimulé dans une partie intime afin d’échapper aux gardiens lors des fouilles d’avant parloir. Un document que Paul doit ensuite remettre en « main propre » à Jacques Mariani.
Dans ce mystérieux courrier, Rédoine Faïd fait allégeance au Corse avec qui il dit partager une « philosophie de la vie, des valeurs communes et une éthique du grand banditisme ». « Le message était que Jacques pouvait faire confiance à Rédoine car ils étaient pareils », rapportera le repenti à la police. Dans ce long et riche courrier, Faïd annonce qu’un contrat pèse sur la tête de Mariani et sur sa famille. Ce qui ne peut pas laisser le Corse insensible. Le détenu graphomane, déjà auteur d’une autobiographie en 2010 (Braqueur : Des cités au grand banditisme, La Manufacture de livres), va lui proposer un marché : sa liberté contre son ralliement. Faïd a aussi dressé une « liste de courses » non moins détonante afin de recouvrer la liberté : « 2 ou 3 kalachnikovs, 3 ou 4 pistolets Glock, 5 ou 6 grenades offensives et défensives »… et surtout : « 10 kg d’explosifs type PEP 500 yougoslaves ».
Depuis une vingtaine d’années, le « plasticini eksplosiva pentritski », produit au Monténégro au plus fort de l’affrontement Est-Ouest, fait le bonheur des braqueurs hexagonaux. Cet explosif militaire à base de pentrite est presque deux fois plus puissant que la TNT. Les experts notent que le PEP 500 « peut être utilisé dans des conditions climatiques extrêmes : +50 °C et -30 °C ». Il est souvent conditionné en pains de 500 grammes et sa manipulation et son transport sont « sûrs », selon ses fabricants. La substance « n’explose pas en tombant d’une hauteur de 10 m sur un socle en béton, qu’elle soit non protégée ou dans son emballage d’origine ». Particulièrement adaptée pour perforer des structures métalliques, elle a largement servi lors d’attaques de fourgons blindés. Elle a l’avantage de pouvoir être utilisée par des quasi-néophytes et n’entraîne qu’un faible effet de souffle.
80 000 EUROS POUR LE SURVEILLANT
Cet explosif, Rédoine Faïd l’a manié avec une certaine maestria, si l’on ose dire, lors de sa première évasion, celle de Lille-Sequedin en avril 2013. Il avait successivement fait sauter cinq portes blindées. Le PEP 500 était conditionné dans une boîte de cornflakes... Questionné par le juge Stanislas Sandraps sur la substance utilisée, Rédoine Faïd s’était fait modeste : « Je ne suis pas spécialiste. C’est une matière malléable. » Le magistrat voulait connaître la quantité. « Maximum l’équivalent de six pains, il me semble », lâchait un Faïd approximatif qui annonçait : « Si c’était à refaire, je ne le referais pas. » Un voeu pieux ? Du coup, les dix kilos demandés à Jacques Mariani ont de quoi étonner. Une telle quantité permet d’en fabriquer vingt pains ! Bien plus que ce qui avait été utilisé par Antonio Ferrara et ses complices pour faire exploser une porte blindée, une grille et la fenêtre de sa cellule... Dix kilos, cela représente une véritable fortune, plus de 30 000 euros sur le marché parallèle.
Pourtant, Rédoine Faïd ne plaisante pas à l’heure de préparer une évasion. Et il connaît très bien Fresnes. C’est ici qu’il a été incarcéré pour la première fois en décembre 1998, pendant près de deux ans. À en croire les policiers parisiens, il y avait déjà imaginé un plan pour s’en « arracher » : il s’agissait de faire venir à Paris un Franco-Israélien démineur dans le génie de Tsahal, « ce qui lui donnerait facilement accès à des explosifs », notait la brigade de répression du banditisme (BRB). Mais Faïd sera transféré avant de pouvoir mettre son projet à exécution. « C’est bien beau d’avoir un sac avec un pistolet et des explosifs, c’est autre chose de sortir de la maison d’arrêt », avait-il professé devant son juge d’instruction lillois. Il sait que cela nécessite en outre des complicités sûres à l’extérieur. Obsédé par les histoires de grands bandits, Rédoine Faïd ne peut pas ignorer le rôle capital joué par les Corses dans l’évasion de Ferrara. Ni que, selon la rumeur du Milieu, la Brise de mer a aidé le petit Italien de la banlieue sud parce qu’il avait accepté quelques années plus tôt, alors qu’il était libre, de participer à un commando destiné à libérer Jacques Mariani. L’opération avait été annulée mais les Corses avaient renvoyé l’ascenseur.
Les années ont passé. Dans son courrier à Mariani, le candidat à la fugue précise que son évasion de Fresnes doit avoir lieu durant l’été 2017. Faïd dit qu’il dispose de « collusions dans la prison », ce que les enquêteurs ont effectivement vérifié. Il propose aussi à Mariani de le faire héberger chez sa famille, dans l’Oise, si le Corse venait à se mettre en cavale. Il donne une adresse à Creil, son fief, et un mot de passe, « Francis », le prénom du défunt père de Jacques Mariani. En contrepartie toujours, Faïd propose de se mettre au service du Corse dans sa guerre contre Jean-Luc Germani et ses affidés, « qu’il peut atteindre même en prison sans plus de précision ». Selon le repenti, Mariani est alors « partant » pour cet échange de bons procédés. Il est même « enthousiaste ». Un rendez-vous est organisé dans la foulée. Le Corse et l’intermédiaire Paul viennent chercher le grand frère Faïd à la gare de Nantes et ils prennent un café ensemble dans un bar face à la cathédrale. Rachid annonce la couleur : il leur faut « 80 000 euros pour le surveillant à Fresnes, qui doit se charger de faire rentrer un Glock et les explosifs pour faire péter les portes et un mur ». Mais aussi « 80 000 euros pour chacun des membres du commando extérieur, soit trois personnes ». Et c’est au Corse de « supporter ces sommes ».
Le plan est plutôt simple d’apparence : « Un des membres du commando [doit] se charger d’être le chauffeur pour récupérer Rédoine. » Les « deux autres » feront, eux, « diversion armée sur une guérite opposée de la sortie prévue de Rédoine », selon la lettre du candidat à l’évasion. Trois complices, c’est trois fois moins de personnels que le gang qui a fait évader Ferrara des mêmes lieux. Mais ce n’est pas la
seule difficulté. Jacques Mariani répond à Rachid Faïd qu’il manque de liquidités pour l’heure mais « attend une première rentrée d’argent de 100 000 euros avant l’été ». Et pour faire des économies, il se propose de faire partie des « libérateurs ». Pourtant, selon le repenti, « Rachid refuse que Jacques fasse partie du commando ». Puis, « Jacques salue Rachid en lui disant qu’il le tiendrait au courant pour la liste de courses ».
Le frère de Faïd et le futur repenti se revoient une nouvelle fois, mais sans Mariani, en juin 2017 à Paris, au restaurant Garnier, face à la gare Saint-Lazare. L’homme de confiance de l’héritier de la Brise annonce que ce dernier n’a pas encore trouvé le matériel mais demande à Rachid d’ouvrir un compte bancaire à l’étranger. Lors d’une nouvelle rencontre, cette fois au Starbucks de Montparnasse, Rachid lui remet un RIB d’une agence de la banque Standard Chartered, à Hong Kong. Et un numéro de téléphone : celui que Rédoine Faïd détiendrait à Fresnes, en toute illégalité. Ce dernier veut en effet « accélérer les choses », selon Paul, qui, lui, temporise en expliquant que les explosifs sont « difficiles à trouver ».
TRANSFERT À RÉAU
En réalité, il semble que son mentor, Jacques Mariani, soit plus intéressé par certains détails de la lettre de Faïd que par l’évasion elle-même. Dans sa missive clandestine, « Le Doc » dresse en effet un panorama des voyous hexagonaux à qui Mariani peut ou non faire confiance. Un véritable Who’s Who du banditisme : il évoque par exemple les frères Bouabbas, ex-complices de Ferrara, le trafiquant de drogue Kamel Berkaoui, alias « Virenque » en référence à ses mollets de cycliste, des Corses, ou bien encore un certain Manu Dahan, voyou parisien investi dans le racket des escrocs à la taxe carbone. Des informations de première main ou des ragots colportés par « radio prison » ? Difficile à dire.
Pour appâter un peu plus Mariani, engagé dans une lutte sans merci contre les autres héritiers du gang fondé par son père Francis, Faïd a un autre argument : il lui transmet une liste de hauts fonctionnaires de la police qui pencheraient pour le clan Germani. Le prisonnier cite ainsi un ancien directeur du renseignement intérieur, un ex-préfet de police, un patron de la PJ à la retraite, un ancien chef du RAID et même le nom d’un exdirecteur général de la police nationale ! Il y ajoute aussi des fonctionnaires de l’office central de lutte contre la criminalité organisée (OCLCO), présentés comme « approchables » par Mariani. En réalité, il s’agit de deux enquêteurs qui ont eu Faïd en garde à vue après son évasion de Lille-Sequedin. Jacques Mariani va utiliser la « liste Faïd » quelques mois plus tard. Au cours de l’été 2017, il reçoit un journaliste au restaurant Le M, à La Baule. Le caïd corse veut montrer à cet interlocuteur qu’il est « en danger » en lui communiquant la lettre du
détenu le plus surveillé de France. Le journaliste prend des notes et semble très intéressé par les noms des policiers qui y figurent. Un autre rendez-vous pourrait avoir eu lieu à Paris, mais Mariani aurait cessé les relations, car, dit-il, « il n’est pas une balance ».
Le Corse passe à autre chose, selon le repenti. En effet, l’arrestation d’un proche semble alors le mobiliser davantage. Quant à l’émissaire Rachid Faïd, selon des « renseignements convergents » obtenus par la PJ, il s’est « mis au vert depuis que la presse a publié des articles sur un possible projet d’évasion de son frère Rédoine en collaboration avec le nommé Jacques Mariani, membre du grand banditisme corse ». Surtout, pour Rédoine Faïd, les choses se gâtent à Fresnes, où il profère des « menaces » envers deux agents de la maison d’arrêt, selon un rapport de détention. Des « circonstances qui ne permettaient pas d’envisager son maintien sur cet établissement ». Le 17 novembre 2017, le voilà transféré à Réau, en Seine-et-Marne. Là, la direction note qu’il est « content de quitter Fresnes » et qu’il se trouve dans « de bonnes dispositions », se montrant « courtois » avec les surveillants. Il n’en est pas moins placé en surveillance renforcée, « compte tenu de sa dangerosité avérée et de ses antécédents d’évasion ». Des mesures qui se révéleront insuffisantes. Dix mois plus tard, deux complices découpent des portes et des grilles de la prison seine-etmarnaise à l’aide d’une disqueuse thermique. En quelques minutes, Rédoine Faïd retrouve l’air libre avant de s’envoler à bord d’un hélicoptère détourné par ses complices. Il est repris trois mois plus tard, à Creil. L’enquête sur cette nouvelle cavale continue. Les policiers ont intercepté des curieux SMS échangés par le fugitif avec ses proches peu avant son arrestation. Il est question notamment d’un personnage surnommé « Le Serpent » ou « Le C », c’est-àdire « Le Corse »... Ce n’était pas Jacques Mariani, qui avait été réincarcéré entre-temps, mais un rendez-vous semble avoir eu lieu à Paris avec ce mystérieux insulaire. Les proches de Faïd auraient alors récupéré « les 15 000 et le matos ». De l’argent, sans doute et peut-être des armes et/ou de l’explosif, pensent les policiers. Peut-être du PEP 500 ?
Depuis son arrestation, Faïd est à l’isolement total dans une cellule de Vendin-le-Vieil (Pas-de-Calais) et se plaint de ses conditions de détention. Concernant le projet de Fresnes, Me Hugues Vigier, l’un des avocats de Rédoine Faïd, s’étonne : « Mon client n’a jamais été convoqué et encore moins entendu pour un tel projet d’évasion. Je n’ai aucun commentaire à faire si ce n’est que personne n’est blâmable à vouloir recouvrer la liberté. » Quant au défenseur du caïd corse, Me Yassine Maharsi, il fustige « des inepties qui servent à créer des liens inexistants. Jacques Mariani n’est nullement concerné par cette affaire. C’est une hallucination contagieuse transmise par fantasmes ! »