GQ (France)

Le bassiste jazzy et perché Thundercat sort son quatrième album.

Bassiste californie­n, Thundercat accompagne les plus grands noms du rap et de la soul, mais s’est fait un nom en sortant des disques solo touffus et funky. Il publie son quatrième album ce mois-ci.

- PAR ÉTIENNE MENU

OON PEUT PENSER CE QU’ON VEUT de la musique actuelle, mais de la confusion des genres et de la crise du disque s’extraient tout de même des choses assez fantastiqu­es, et qu’on n’aurait pas du tout pu imaginer il y a dix ou vingt ans. On pense par exemple au Californie­n Thundercat, bassiste aux dreads roses de 35 ans, au départ musicien de studio pétri de jazz (voire carrément de « jazz fusion », genre longtemps malaimé des puristes comme des branchés), qui aujourd’hui sort son quatrième album solo, intitulé It Is What It Is, et remplit les salles en posant sa voix haut perchée sur des chansons elles-mêmes perchées très haut. Si ses bases musicales (le Miles Davis électrique des années 1970, Weather Report, Chick Corea) évoquent en général au grand public solos interminab­les et instrument­istes à catogan, elles puisent aussi dans la vaste scène de Los Angeles qui a façonné le jeune homme, Stephen Bruner de son vrai nom. « Mon père était lui-même batteur de jazz fusion et j’ai toujours été entouré de musique. Il m’a très tôt montré comment jouer de la basse et j’ai vite écouté des tas de styles différents. » On entend en effet dans les albums de Thundercat (son pseudo lui vient du dessin animé eighties Thundercat­s, connu sous le titre Cosmocats en France) un cocktail à la fois clair et corsé de jazz fusion, donc, mais aussi de softrock, de rap suave et de psychédéli­sme électroniq­ue (It Is What It Is est coproduit par son grand copain Flying Lotus, qui côtoie Aphex Twin ou Autechre sur le label Warp). Soit un concentré de spécialité­s West Coast qui rendent ses disques vite très évidents, malgré leur abord un peu déstabilis­ant.

Une évidence qui a attiré sur ses projets certains grands noms, qu’il connaît en général de l’époque où il les accompagna­it sur scène ou en cabine. Son CV de side-man est presque aussi grisant que ses albums solo : Snoop Dogg, N.E.R.D., Kendrick Lamar, Erykah Badu, Janelle Monae, mais aussi, dans un registre plus inattendu, les métalleux skateurs de Suicidal Tendencies. « J’ai commencé à jouer dans Suicidal vers l’âge de 16 ou 17 ans, mon frère tenait déjà la batterie à leurs côtés. C’est un groupe qui a eu un line-up très changeant, mais j’ai dû rester presque dix ans avec eux. Beaucoup de gens m’ont demandé si j’aimais vraiment leur musique : évidemment que je l’aime ! C’est hyper formateur de jouer du metal, ça ouvre l’esprit, mais c’était surtout un vrai kiff pour moi. » Précoce, Thundercat avait déjà beaucoup appris de son prof de musique au lycée, et plutôt que d’aller poursuivre sa formation à la fac, il a préféré continuer cette carrière « pro » sans se poser de questions : « J’ai été recruté par Snoop, ensuite, pour faire partie de son live band vers 2004, 2005. Snoop est un super patron, il a été extrêmemen­t patient et gentil avec moi sachant que j’étais le plus jeune et que je finissais toutes mes soirées ivre mort à dormir au fond du bus. Mais tant que j’arrivais à me réveiller et à jouer le lendemain, il restait cool. »

PROBLÈMES DE BOUTEILLE

Au-delà de ces jobs de luxe, Thundercat est surtout devenu au fil des années l’un des principaux artisans d’un véritable renouveau du jazz et de l’ensemble de la musique afro-américaine live. Il est ami depuis l’adolescenc­e avec le saxophonis­te Kamasi Washington, auteur en 2015 de The Epic, triple album au succès critique et commercial rare pour un disque du genre, avec près de 100000 exemplaire­s vendus. « Je joue avec Kamasi depuis l’adolescenc­e et on a d’ailleurs sorti un album il y a quinze ans sous le nom de Young Jazz Giants. » Avec toute une troupe de jeunes musiciens de la région, les deux hommes ont imposé une nouvelle façon de faire du jazz, refusant l’académisme des écoles et empruntant spontanéme­nt au rap, au funk, ou à la musique électroniq­ue. Cet élan collectif vers une musique souvent très politisée a fait tache d’huile, au point d’être aujourd’hui la référence esthétique de bon nombre de rappeurs et d’artistes soul.

Bruner a ainsi été un collaborat­eur essentiel de Kendrick Lamar sur To Pimp A Butterfly (2015), devenu depuis l’un des grands classiques du rap des années 2010, et récompensé du Grammy Award du meilleur album hip-hop. « On était copains avec Kendrick bien avant de faire de la musique ensemble, parce que je travaillai­s déjà avec son beatmaker, Sounwave. Du coup, quand on s’est retrouvés en studio, ça a été très fluide. Il est vraiment hyper bosseur. Moi, j’essayais de le dérider en tentant des blagues, mais en général il me regardait un peu exaspéré genre “mec désolé, j’aimerais bien rigoler, mais pas maintenant.” »

Jadis très porté sur la bouteille – son album précédent s’appelait Drunk –, Thundercat a cessé de boire depuis deux ans, après la mort de son collègue et ami intime, le rappeur Mac Miller, des suites d’une overdose : « Ça m’a vraiment traumatisé et j’ai décidé d’arrêter de boire. Je suis devenu vegan aussi, ça fait partie de la même démarche. » Clean is the new cool ? Peut-être. En attendant, It Is What It Is est notre disque du printemps, et on ne serait pas très étonné qu’il nous fasse même l’été.

IT IS WHAT IT IS (BRAINFEEDE­R), SORTIE LE 3 AVRIL

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L’excentriqu­e Stephen Bruner, aka Thundercat.

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