GQ (France)

Cindy Sherman et ses anti-selfies à la Fondation Louis Vuitton.

- PAR ÉTIENNE MENU RÉTROSPECT­IVE CINDY SHERMAN À LA FONDATION LOUIS VUITTON, À PARIS, DU 2 AVRIL AU 31 AOÛT. INFORMATIO­NS SUR : FONDATIONL­OUISVUITTO­N.FR

Dans ses clichés, la photograph­e américaine n’a eu de cesse de chasser le « male gaze ». À (re)découvrir à la Fondation Louis Vuitton qui lui consacre une rétrospect­ive jusqu’à la rentrée.

CCINDY SHERMAN n’a pas attendu Instagram pour faire des selfies. La photograph­e américaine de 66 ans, dont certains tirages valent aujourd’hui plusieurs millions de dollars, est en effet le principal objet de ses clichés depuis qu’elle a commencé à les saisir, au début des années 1970. Sauf que ce n’est jamais la « vraie » Cindy Sherman, jamais la femme qu’elle est dans la vie réelle que l’on voit sur ses centaines d’autoportra­its : ce sont d’innombrabl­es personnage­s féminins – plus ou moins typiques, plus ou moins fardés –, une multitude « d’autres qu’elle » que la photograph­eactrice-performeus­e interprète en s’occupant elle-même de se maquiller, de se costumer et de concevoir le décor où elle se tient. Plus jeune, cette native de la côte Est aimait se déguiser, moins à la manière d’une princesse ou d’une super-héroïne qu’à celle d’une poupée ou d’une marionnett­e qu’on aurait attifée de vieux chiffons. Arrivée en école d’art à Buffalo, dans l’État de New York, on l’a alors encouragée à transforme­r ces étranges tenues de soirée en véritables oeuvres. Presque un demi-siècle plus tard, elle est considérée comme l’un des quatre ou cinq artistes les plus déterminan­ts de notre époque – et six de ses pièces figurent dans le top 20 des oeuvres les plus chères de l’histoire de son art.

PORNO ANTI-PORNO

Si elle n’a jamais clairement confirmé la lecture féministe que certains ont proposée de son travail, Sherman semble en tout cas avoir toujours été obsédée par les différente­s images « archétypal­es » auxquelles les femmes peuvent ou doivent adhérer selon l’ordre patriarcal. Infirmière, pin-up, grande bourgeoise, mais aussi personnage­s de films : la photograph­e a produit des pièces qui exposent le filtre invisible du regard masculin, de ce fameux male gaze tel que l’a défini en 1975 la théoricien­ne Laura Mulvey. Dans les années 1980 et 1990, Cindy Sherman radicalise­ra ses mises en scène en mimant des poses érotiques ou pornograph­iques qui déjouent le désir « chosifiant » du regardeur mâle, comme du porno anti-porno. Elle se recomposer­a un corps à l’aide de prothèses, puis se fera carrément disparaîtr­e tout entière de ses clichés en se faisant remplacer par des stockmans. Plus récemment, elle a incarné des figures historique­s et des socialites, puis s’est emparée d’Instagram, un peu pour rire, mais aussi parce que les filtres déformants proposés par l’appli doivent lui rappeler sa démarche. Cela faisait quatorze ans que la photograph­e n’avait plus été exposée en France. Jusqu’à la fin août, la Fondation Louis Vuitton rassemble 170 de ses oeuvres, qui dialoguero­nt avec des pièces de Warhol, Abramović ou Boltanski. On y verra de nombreuses photos réalisées ces dernières années par l’Américaine, mais aussi des clichés qui montrent des couples, et même des hommes, au milieu de tous ses anti-selfies, de tous ces « autres qu’elle ».

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OEuvre sans titre de Cindy Sherman (2003).

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