Le gilet jaune, habit de toutes les réflexions.

Accessoire utilitaire devenu symbole de lutte sociale et récupéré par la mode, de quoi le gilet jaune est-il vraiment le nom ?

AAUTREMENT DÉNOMMÉ gilet de « haute visibilité », le gilet jaune est devenu l’emblème d’un mouvement social apparu spontanément en France en octobre 2018, en réaction à un projet d’augmentation de taxe sur le prix des carburants. À côté d’une vieille carte Michelin, d’un rouleau de papier toilette et d’un Opinel, cet objet anonyme dormait jusque-là dans la pénombre des boîtes à gants, depuis qu’un décret en avait rendu la détention obligatoire pour les conducteurs de véhicules moteurs à quatre roues. Dans le but d’inciter les gens à s’équiper, en 2008, Jocelyn Berthat, de l’agence de publicité Lowe Strateus, imagine une campagne géniale où l’on voit Karl Lagerfeld avec ledit gilet sur les épaules, le tout assorti d’un slogan totalement karlesque : « C’est jaune, c’est moche, ça ne va avec rien, mais ça peut vous sauver la vie. » À l’époque, cet incroyable coup marketing avait sorti le gilet auto-réfléchissant de l’anonymat, avant qu’il n’y retourne aussi sec. Il aura donc fallu cet incroyable mouvement social aux prémices de jacquerie diesel pour que l’objet se voie soudain doté de deux majuscules, soulignant son changement de statut : Gilet Jaune. Trônant désormais dans les imaginaires aux côtés du bonnet phrygien, chanté par le rappeur Kopp Johnson, récupéré un peu partout dans le monde, le gilet jaune désigne donc tout à la fois un objet utilitaire, un individu qui fait cramer des palettes pour se réchauffer aux abords d’un rondpoint, et un mouvement populaire inédit, aux contours volontairement informes. Porté par les enfants en sortie scolaire, cet accessoire, dont la biographie s’est subitement épaissie en quelques mois, a aussi été récupéré par la mode, porté par Bella Hadid lors d’une soirée Vuitton et servant d’inspiration à la collection automne-hiver 20192020 de Marine Serre. La beauté du gilet jaune repose inalement dans sa capacité à « réfléchir » presque toutes les obsessions de l’époque, à dire tout et son contraire à la fois. Seul hic : avec tous ces niveaux de lecture, on se demande si l’on peut encore faire du vélo avec un gilet jaune sans être assimilé à un activiste anti-Macron, et si l’on peut participer avec sa chasuble à l’Acte 126 des Gilets Jaunes sans être soupçonné de vouloir passer en douce pour un hipster.