GQ (France)

La chronique britanosta­lgique d’Andrea Petrini.

Brexit oblige, nous nous devons de réaffirmer tout l’amour que nous portons aux chefs anglais. Voici donc trois adresses de restaurant­s londoniens qui dépotent.

- PAR ANDREA PETRINI

BYE-BYE UK. Nous nous sommes tant aimés. Mais là, c’est fini. Cela faisait longtemps qu’il n’y avait plus d’appétence entre nous. Une indifféren­ce polie tout au plus. Pourquoi ça n’a pas marché ? Comment as-tu pu laisser tomber ta si swinguante liberté ? Et pour quoi ? Pour l’ubérisatio­n du travail, le culte du profit, du succès immédiat, T’as presque tout foiré : les gastropubs, les farms to table, le bistrotism­e de bon aloi, les tapasserie­s rapportées. Même le fine dining a foutu le camp. À sa place, des restos hybrides, mi-électro mi-énergies fossiles, plus tout à fait d’hier mais pas encore d’aujourd’hui. Des tables de classe(s), à chacun la sienne, les vieux croûtons à Mayfair, les hipsters dans leurs ghettos de Shoreditch et Chiswick.

Pour les enfants, c’est dealé avec l’avocat, ce sera la garde partagée. Ils vont bien, pour l’instant. Douglas a fini par déménager de Brighton à Londres, le grand saut est fait. On cause de lui, dans les journaux, son livre Silo : The Zero Waste Blueprint est un best-seller du mouv’ anti-gaspi. Zéro déchet, mais pas que dans l’assiette. À défaut de devenir architecte, le fiston s’est construit un univers à lui où tout est pensé, recyclé : viandes, poissons, légumes conçus et apprêtés différemme­nt. T’as goûté son Fish & Fungus à la pâte miso ? Ça fait un tabac. Au lieu de se gargariser avec le mot sustainabi­lity, tous les copistes et les suivistes de la planète feraient mieux d’aller voir de près ce qui se trame dans ses fourneaux du Silo. On n’est pas peu fiers de lui. Et Lee ? Il file le parfait amour avec Kate. Il ne boit plus, ne clope presque plus. Pourtant, dès le jour J, on se faisait du souci pour lui. Depuis qu’il avait arrêté de bosser pour Fergus Henderson au Saint John et ouvert BAM, son lab de kebab übercore dans le quartier turc collé à Highbury. Avec les tronches de Kiss graffitées sur son four à pain, du trash metal à fond la caisse, des tonnes de cochon et des Red & Hot & Chili Peppers à l’échelle maximale de la panique hémorroïda­le, il ne pouvait faire plus hérétique. Souviens-toi, en 1989, l’ami Salman, à l’époque des Versets sataniques, s’est chopé une fatwa pour bien moins que ça. Et ça, ce sont les spicy Chicken Wings à la Danny Bowien, les Queuesde-cochon farcies aux crevettes (la bonne bourre !) ou les Flatbreads façon pizza aux joues de porc que Lee débite à tire-larigot. Ça, ça fait hurler tous les ayatollahs du gastronomi­cally correct. Puis il y a Jeremy. Il parle sept langues, est diplômé de Princeton avec une thèse sur Barthes et Wittgenste­in et, chez Ikoyi, à deux pas de la City, mijote une cuisine singulière, d’ici et d’ailleurs, inspirée des produits de l’Afrique occidental­e. Au début, personne ne l’a pris au sérieux. Pourtant, la frontalité rouge Rothko de son Plantain épicé à la poudre de framboise, les vagues marines sans fin de son Riz Jollof au crabe fumé ont fini par marquer les esprits. Même Michelin a succombé, c’est tout dire. Aujourd’hui, notre Jeremy fait partie, avec Redzepi et Andoni Luis Aduriz, des rares hérauts d’une pensée culinaire qui ose dire son nom. On ne va pas le crier sur les toits, mais quelle gemme, le Jem’ ! Et même si, ô perfidissi­me Albion, t’es désormais maquée avec Boris Johnson et ses décérébrés, on prendra régulièrem­ent de tes nouvelles. T’as peut-être rien pigé au monde. Mais, sûr et certain, les nouvelles génération­s te survivront. So long for now UK.

« SILO » DE DOUGLAS McMASTER (SILOLONDON.COM) « BAM » DE LEE TIERNAN (BLACKAXEMA­NGAL.COM) « IKOYI » DE JEREMY CHAN (IKOYILONDO­N.COM)

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Vue du Silo, le restaurant de Douglas McMaster.
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