Et si Manchester était plus cool que Londres ?
Après avoir connu son heure de gloire dans les années 1980 puis une légère traversée du désert, la ville anglaise détrône Londres sur la carte du cool.
LA SCÈNE SE DÉROULE EN 2024. Dans le premier épisode de la série d’anticipation britannique Years and Years (Canal+), Fran, la nouvelle voisine de Daniel Lyon, l’un des héros, a quitté Londres pour vivre à Manchester. Parce que dans la capitale, « le café coûte 12 livres et que certaines zones comme Kensington sont clôturées. On ne peut y accéder qu’après avoir passé des tests de ressource financière. » Aujourd’hui, Kensington n’est pas fermé mais l’exode des Londoniens vers Manchester a lui bel et bien commencé. C’est le cas de DJ Anz, qui a connu le succès en 2019 avec son titre « Invitation 2 Dance ». « J’ai déménagé à Manchester car Londres est trop cher et qu’ici, la scène musicale est bien meilleure », raconte cette jeune Londonienne rencontrée lors du festival The Warehouse Project, qui se tient dans The Depot, ancienne gare vestige de l’âge d’or de l’industrie textile convertie en salle de concerts et d’expositions et qui peut accueillir jusqu’à 10000 personnes. Symbole du renouveau culturel et architectural de la ville, où de nombreuses maisons de briques rouges et de friches industrielles, abandonnées après les années de désindustrialisation sous l’ère Thatcher, sont petit à petit réhabilitées depuis le milieu des années 2000 : le Northern Quarter. À dix minutes à pied du centre-ville, c’est l’attraction des noctambules, avec son adresse phare : Wolf at the Door, un restaurant-bar réputé pour ses cocktails parfumés imaginés avec des produits de saison. Sur le même trottoir, un peu plus bas, le club Soup Kitchen voit passer les meilleurs DJ’s et rappelle les riches heures du « Madchester » des années 1980 et du mythique club house L’Haçienda, dont l’histoire est retracée dans le film 24 Hour Party People (2002). Teki Latex, tout juste sorti d’un set au Warehouse Project, raconte : « Les soirées sont démentes ici. Manchester est dans mon top 5 des villes pour mixer. » À quelques encablures, Crazy Pedro est un club de fin de soirée pour se requinquer et dans lequel on peut manger des parts de pizza aux garnitures farfelues. De jour, les concept-stores et shops s’enfilent sur Thomas Street, comme Oi Polloi et son vestiaire masculin idéal (marques japonaises très techniques, pulls écossais, workwear haut de gamme). Au coeur du Northern Quarter, le food court Mackie Mayor est le lieu idéal pour déjeuner sur le pouce un savoureux sandwich au pastrami. Et voir Manchester vivre son « revival ».
Le réveil de la ville est d’abord le fruit d’une volonté politique. En 2004, le gouvernement annonce son souhait de voir la BBC quitter Londres. Le nouveau siège du service public audiovisuel s’installe sur les docks et est vite rejoint par ITV, son concurrent privé. Ce secteur devient officiellement MediaCityUK en 2006.
C’est aujourd’hui le pôle de broadcasting le plus important d’Europe, fournissant des milliers d’heures de programme par an. L’arrivée massive de Londoniens occupant des emplois dans les médias reconfigure ainsi la démographie de la ville et son attractivité. Alors qu’elle connaissait un déclin de sa population depuis les années 1990, Manchester voit sa population augmenter dans les années 2000, plus 19% entre 2001 et 2011, pour atteindre en 2017 une population de 545500 habitants intra-muros et 3,2 millions en comptant le Greater Manchester, sa grande banlieue.
Parmi les nouveaux arrivants, de nombreux Français. Installée depuis trois ans, Sabrina, 30 ans, a fait ses études supérieures de commerce en Australie. À son retour en France, elle décide de passer quelques week-ends en Angleterre pour continuer à pratiquer son anglais. Après son deuxième séjour à Manchester, elle ne repartira pas : « Ici, les gens sont très ouverts, le centre-ville est agréable et très sécurisé, on peut tout faire à pied. Les loyers sont bas par rapport aux grandes villes européennes. Et il y a du travail. » Outre l’expansion démographique, Manchester voit les investissements afflués depuis plus de dix ans. Le 1er septembre 2008, M. Suleïman al-Fahim, représentant d’un groupe d’investissements des Émirats arabes unis, rachète le club de football de Manchester City. À coups de transferts faramineux de joueurs et d’entraîneurs stars, les Citizens remportent le championnat en 2012, après quarante-quatre ans de disette. Le rayonnement footballistique participe de l’attractivité de la ville, des fans du monde entier venant assister au derby entre City et United, dans une ambiance chaude mais toujours cordiale. Les lendemains de match, les joueurs des deux clubs se retrouvent d’ailleurs sur un autre terrain : le 20 stories, un restaurant-bar-club au sommet d’une nouvelle tour moderne avec vue panoramique sur l’ensemble de la ville. On y observe le ballet des grues de chantier au milieu des tours de verre et des immeubles typiques du Nord de l’Angleterre. C’est aussi à la vue de ce spectacle que l’on se dit que Manchester n’est définitivement plus la prolétaire révoltée des années 1980, ni la ville désabusée des années 1990 incarnée par les frères Gallagher de Oasis. Non, Manchester « doesn’t look back in anger ».