GQ (France)

Le colvert et la zone grise

Si la cane a une intimité labyrinthi­que, c’est pour se défendre des vilains petits canards peu soucieux du consenteme­nt.

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D’un aspect à la fois élégant et mignon, le canard colvert glisse sur les eaux, l’air de cultiver une vision mesurée de l’existence. Mais détrompez-vous : sous ses abords respectabl­es, le colvert mâle est un harceleur de premier ordre, pour ne pas dire un apôtre de la culture du viol. Les éthologues affirment en effet qu’environ 35 % des rapports sexuels entre canards sont forcés. Contrairem­ent à la plupart des volatiles, le garçon canard possède un vrai phallus, et pas n’importe lequel. Cet étrange organe, interne au repos, surgit presque d’un seul coup dans les moments d’excitation

– c’est ce qu’on appelle dans le jargon une érection « explosive ». Et attention, car il affiche une taille tout à fait disproport­ionnée, entre

20 et 40 cm de long ! Un peu comme si nous les hommes étions équipés d’une troisième jambe. Mais le plus perturbant, c’est que ce méga-sexe a une forme de... tire-bouchon. À l’instar d’un ressort qui ferait jaillir un diablotin de sa boîte, le pénis du colvert se déploie ainsi vers le vagin de la femelle, en forçant le passage dans un tiers des cas. Sympa. Mais c’est là que l’évolution darwinienn­e fait des miracles. Les scientifiq­ues qui ont étudié cette curieuse morphologi­e se sont ensuite intéressés à celle des victimes. Ils ont découvert qu’elles aussi avaient un vagin en spirale. Mais alors que le sexe des agresseurs suit le sens des aiguilles d’une montre, le leur tourne à l’inverse. Après observatio­n, les chercheurs se sont aperçus que cette anatomie féminine servait de moyen de défense contre les pénétratio­ns surprise des affreux personnage­s un peu trop convaincus d’être des partenaire­s désirés. Pas exactement une ceinture de chasteté, donc, puisque l’orifice reste accessible, mais disons une sorte de piège à pénis, de traquenard à brute en rut. Le fourreau de chair se fait labyrinthe, étau, chicane, il réussit même à ménager des culs-de-sac afin de coincer le phallus dans sa course à la toute-puissance. Les mâles finissent bien souvent par se décourager et renoncent à leur projet coïtal, laissant la femelle infécondée libre de choisir pour ses enfants un géniteur plus à son goût, et surtout plus éveillé sur la question du consenteme­nt. Si le domaine de l’accoupleme­nt n’est jamais vraiment simple chez les animaux, il prend chez le canard un tour sinon guerrier, en tout cas stratégiqu­e à l’extrême. L’expérience et la trace de la souffrance ont concrèteme­nt transformé le corps des femelles : l’évolution leur a imposé de se métamorpho­ser.

Une victoire de la raison face aux pulsions qui mériterait presque de se fêter au champagne – et ça tombe bien, ça s’ouvre sans tire-bouchon.

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PAR ÉTIENNE MENU

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