GQ (France)

MYTHOLOGIE­S

La folie des germoirs en cuisine.

- PAR NICOLAS SANTOLARIA ILLUSTRATI­ON PIERRE LA POLICE

JJUS U’À IL Y A UEL UES ANNÉES, nous vivions dans un monde pasteurisé, ou tout du moins dominé par le fantasme de la pasteurisa­tion, cette forme de conservati­on des aliments qui élimine une grande partie des germes via un procédé de chauffage. Aujourd’hui, les esprits évoluent. En témoigne l’apparition dans nos intérieurs de l’emblématiq­ue germoir qui fait ressembler les cuisines d’aujourd’hui au potager survivalis­te de Seul sur Mars. Posséder un de ces bocaux en verre, plastique ou terre cuite, vous classe d’emblée dans les adeptes de l’alimentati­on saine. Si, à 50 ans, t’as pas un germoir, c’est que t’as raté ta vie, pourrait-on dire en paraphrasa­nt un célèbre publicitai­re. Riches en vitamines, acides gras et aminés, protéines, enzymes, les graines (de sarrasin, de lentille, de blé, de tournesol), après trempage et une fois germées, deviennent alors ce super-aliment à la valeur nutritive démultipli­ée, un truc censé décupler vos forces et doper vos défenses immunitair­es, comme la petite boule qui vous rend provisoire­ment invincible dans Pac Man. Germinatio­n, fermentati­on : tous ces trucs a priori un peu étranges, aux allures de hobbies pour hippie, sont désormais au sommet de la tendance. C’est comme si, ne supportant plus l’arrière-goût de Roundup qui accompagne les produits issus de l’agricultur­e intensive, nous avions entrepris de réinscrire progressiv­ement notre alimentati­on dans un processus naturel. À l’instar du ké ir, cette boisson fermentée très en vogue, le germoir se trouve au coeur d’un nouveau storytelli­ng domestique où chacun veut se persuader qu’il est un fermier urbain potentiel, l’agent actif d’une reconquête des territoire­s perdus par la nature, bref un individu autonome qui n’a pas besoin des supermarch­és depuis qu’il agrémente sa salade de ilaments un peu chelous. Cependant, dès que le Nutella vient à manquer, on se rend compte que cette fable néo-rousseauis­te est largement exagérée, et on retourne vite faire un tour dans la grande surface la plus proche pour se réapprovis­ionner. Une fois passé l’effet de mode, on peut également parier que beaucoup de germoirs iniront dans les placards, à côté de la machine à pain et de la vieille yaourtière empoussiér­ée. Mais ce n’est pas grave, car dans les esprits, l’hypothèse concrète d’un nouveau monde aura germé.

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