GQ (France)

PIMP MY LIFE

Vie de bureau, sexualité, parentalit­é... libérez le meilleur de vous-même !

- ILLUSTRATI­ONS TOM FROESE

AU DÉBUT DES ANNÉES 2000, telle une graine transporté­e d’openspace en open-space, une nouvelle mode s’est développée en entreprise (non, pas la culture de ficus en hydroponie) : l’attrait pour les soft skills. Le dictionnai­re d’Oxford donne la définition suivante de ces nouvelles qualités stratégiqu­es : « Caractéris­tiques personnell­es qui permettent à chacun d’interagir de manière efficace et harmonieus­e avec d’autres personnes. » Vues jusqu’alors comme marginales, ces compétence­s relationne­lles s’envisagent en opposition aux hard skills (bagage technique, diplôme universita­ire, vitesse de frappe sur un clavier, maîtrise des langues étrangères), lesquelles focalisaie­nt jusqu’alors l’attention lors des recrutemen­ts. « Notre société est en transition, à cheval entre un monde du travail où l’organisati­on de référence était “l’entreprise” traditionn­elle, pyramidale et structurée autour du lien de subordinat­ion avec ses compétence­s techniques, et un nouvel écosystème agile, responsabl­e, en perpétuell­e adaptation aux grands changement­s du monde moderne », peut-on lire dans Le réflexe soft skills. Les compétence­s des leaders de demain (Dunod, 2014). Pour le dire autrement, aujourd’hui, on a moins besoin de savoir-faire spécifique­s que de méta-compétence­s permettant de répondre à une situation structurel­lement hyper fluctuante. Si les soft skills ont le vent en poupe, c’est notamment parce que l’intelligen­ce artificiel­le rebat profondéme­nt les cartes en entreprise et que, dans ce contexte, personne ne sait à quoi ressembler­a le monde du travail de demain : d’après une étude publiée par Dell et l’Institut du futur, 85% des emplois de 2030 n’existent pas encore. Ce qui est sûr, en revanche, c’est que même quand nos vies de bureau ressembler­ont à un remake du Cinquième Élément, on préfèrera toujours avoir affaire à un collègue qui est prêt à vous dépanner d’une dosette de café (soft skill), plutôt qu’à un type tirant une tête de six pieds de long parce qu’il transpire sur un process ultra-complexe dont il est le seul à maîtriser les subtilités (hard skill). La confiance, l’intelligen­ce émotionnel­le, la capacité à résoudre des problèmes, la créativité, l’audace, la vision, le sens du collectif, l’opiniâtret­é, l’empathie : autant d’aptitudes douces qui, demain, feront la différence. Dans ce contexte où c’est votre sourire sur le CV qui fera pencher la balance en votre faveur (et pas seulement votre MBA), le salarié n’est plus considéré comme un composé de compétence­s profession­nelles interchang­eables, mais comme un individu singulier, avec des habiletés particuliè­res. L’entreprise étant le domaine de l’emphase, s’est donc développée une nouvelle rhétorique associant ces soft skills aux super-pouvoirs des héros de comics, comme si le type un peu gris de la compta s’était soudain transformé en Black Panther. « Sans acte rien n’existe. Et si votre première action était de découvrir de quels [super] pouvoirs votre équipe est dotée ? » écrit sur LinkedIn Chrystelle Chatelain, spécialist­e en communicat­ions interne, externe et en développem­ent de soi. À l’instar des personnage­s de Marvel ou de DC Comics, chacun aurait donc un petit truc enfoui au plus profond de lui, une singularit­é qui lui permettrai­t de booster la marche en avant de l’entreprise. Avec ses griffes d’acier, Wolverine pourrait, par exemple, être affecté à l’ouverture du courrier. Sans aller jusque-là, c’est parfois la simple capacité à répondre à un mail quand tout le monde fait mine de l’ignorer (ou à apporter des viennoiser­ies le matin), qui pourra constituer votre super-pouvoir. Alors que certains prennent cette métaphore au pieds de la lettre (Elon Musk, le Tony Stark du monde réel, a longtemps été persuadé qu’il pouvait prendre des décisions éclairées sans dormir), on peut se demander quelle est la fonction réelle de cette nouvelle rhétorique qui tente de faire passer le moindre collègue à peu près fréquentab­le pour un demi-démiurge. La réponse se trouve peut-être dans cette fameuse réplique du film Spider-Man : « Un grand pouvoir implique de grandes responsabi­lités », dit l’oncle de l’homme-araignée. Et si, dans une époque où les boîtes comptent de plus en plus de geeks dans leurs rangs, on était tout simplement là face à un nouveau mode de mobilisati­on des salariés, une sorte de super-héroïsatio­n du quotidien profession­nel sous-tendue par des visées productive­s ? « Tous les super-héros modernes sont des êtres profonds et lourds, assumant leur mission comme un fardeau – le fardeau de la responsabi­lité accompagna­nt leurs talents surhumains, et les obligeant à faire le bien de ceux qui n’en disposent pas, quoi que ceux-ci en pensent », écrit le philosophe Laurent de Sutter, dans Vies et morts des super-héros (Presses universita­ires de France, 2016). Dans ce contexte, un conseil : n’oubliez pas la distributi­on de Tickets Resto, sinon le gars de l’informatiq­ue risque de se transforme­r en Hulk.

À lire : Le réflexe soft skills,

UN JOUR, NOUS RACONTERON­S à nos petitsenfa­nts combien l’idée de faire un date en visio avec une target rencontrée sur une appli nous semblait, avant mars 2020, tout à fait absurde. Et qu’ensuite, tout le monde s’est décoincé. Comme Virginie, 35 ans, qui a rencontré un garçon juste avant le début de la quarantain­e : « Il a insisté pour qu’on fasse un visio parce qu’il avait envie de me voir. Sauf que moi ça me mettait hyper mal à l’aise. Je me disais : “Olala cet écran entre nous deux, là... Ce sera juste hyper gênant” » Effet con inement oblige : elle s’est laissé convaincre, comme beaucoup. Parce que le recours à ce moyen de communicat­ion est devenu plus naturel, à force de visionconf pro et d’apéros live. À titre d’exemple, le média américain CNet annonçait dès la mi-mars que le nombre d’appels vidéo passés via Messenger avait augmenté de 70% d’une semaine sur l’autre. Et que le temps passé pour ces appels avait doublé. Alors aucune raison que le dating n’échappe au phénomène. Voici donc quelques règles à ne pas oublier.

Ne pas improviser

Carmina, « pornogra ière » (à la fois réalisatri­ce de ilms et camgirl), précise pour commencer : « Un date en visio, ça se prépare. » Elle conseille ainsi de s’exercer avant le moment T. « Les interfaces permettent de faire une vidéo test avant le vrai coup de il. Du coup, on peut observer son cadrage, la lumière, la décoration et même dans l’éventualit­é où le date dérape, les positions dans lesquelles on est à l’aise, celles où l’on se sent sexy. » Pourquoi ? Parce qu’en visio, on a accès qu’au visuel. Pas de diversion possible avec le toucher ou le reste. « On est donc dans une forme de représenta­tion, un genre de spectacle », dit Carmina.

Soigner la lumière

Pendant le con inement, Sacha a fait des visios tous les soirs avec Jean, un garçon qu’il avait rencontré sur Grindr. Avant de le retrouver, Sacha allumait des bougies et des lumières délicates. « Pas question d’avoir une lumière blanche et froide », concède le jeune homme de 27 ans, qui tenait à être sublime. C’est aussi exactement ce que conseille Carmina, avant d’ajouter : « Évitez de mettre la lumière par endessous, sinon ça fait ilm d’horreur. Quand on la met au-dessus, ce n’est pas génial non plus parce que la lumière vous écrase. »

Choisir le bon cadre

A-t-on envie, dans un moment de séduction ou de fricotage, de voir traîner un slip sale ou votre vieille assiette de pâtes au ketchup que vous n’avez pas débarrassé­e ? Non ! Nos intérieurs sont un indice important de qui nous sommes. Dans La Mise en scène de la vie quotidienn­e (Éditions de Minuit, traduit en France en 1973), le sociologue américain Erving Goffman décrit déjà les individus comme des acteurs en représenta­tion devant un décor, avec accessoire­s, meubles et décoration... En visio, ce jeu est à son climax et vous enverrez, malgré vous, des signaux sur votre identité. Ce n’est pas la même chose de se ilmer devant une bibliothèq­ue ou devant un écran plat. Maxime, biologiste de 35 ans, suggère aussi que la visio peut être « un peu boring quand on s’en tient à la 2D. Avec deux caméras, ce n’est pas deux fois mais mille fois plus fun ». Et inutile d’investir dans du matos de réal : « Sur Zoom, par exemple, on peut tout à fait se connecter avec son téléphone et son ordinateur », remarque ce petit malin.

Se faire beau comme un date IRL

« Si l’idée est de séduire, cela implique de se mettre un chouia en condition », dit Sacha. Avec Jean, il n’a pas fait les choses à moitié. « La première fois, on avait dit rendez-vous à 20h30. J’ai pris une douche à 20 heures, j’ai mis un T-shirt propre et du parfum. » Pour lui, cela va de soi : « C’est une façon de se mettre dans les conditions mentales d’un date normal. » Considérez donc la porte de la pièce où aura lieu le date en visio (votre salon, votre chambre, votre cuisine) comme celle d’un bar. Et Carmina de rappeler que « la ille en face va à coup sûr faire un effort pour s’habiller. Du coup, je ne pourrais que suggérer aux hommes d’en faire autant. » Petit conseil supplément­aire de la camgirl, qui pense à la suite des événements : « Ne pas mettre des habits trop dificiles à enlever, cela crée des gênes inutiles. » Au-delà des vêtements, votre confort est essentiel. Evitons donc les positions qui créent de petites douleurs et tout ce qui pourrait vous conduire à ne pas être concentré sur les beaux yeux de votre date.

Jouer avec le « malaise »

La première fois que Virginie et Joël se sont vus en visio, elle ne voulait pas lui montrer son visage. Mais, raconte-t-elle, l’homme en face d’elle fut très inspiré : « Il a ri de moi, qui n’était qu’une femme tronc, puis il m’a demandé de lui montrer mes livres. Et après je lui ai fait visiter mon appartemen­t. Tout ça m’a détendue et ensuite, c’était normal de lui montrer mon visage... et même mon soutien-gorge. » Sacha, de son côté, raconte avoir trinqué contre l’écran. Ce qui dit quelque chose de très simple : l’écran est là. Il ne disparaîtr­a pas. Autant en faire un jeu.

Penser à s’oublier

Un des aspects désagréabl­es du visio est qu’on regarde l’autre autant qu’on se regarde soimême. Ce miroir n’est absolument pas naturel. « C’est une sorte d’autosurvei­llance permanente, con ie Virginie. T’es là, à te mettre du côté de ton bon pro il, à faire des mimiques qui te font te sentir belle, les mêmes que tu fais dans la salle de bain... Et en fait, c’est un peu relou. » Dans un bar ou au restaurant, quand vous rencontrez votre « match », vous vous oubliez pour vous concentrer sur elle ou lui, non ? Alors autant garder ces bonnes habitudes.

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