GQ (France)

Les vrais hommes portent-ils des masques ?

La réticence de certains hommes à porter un masque est analysée comme une preuve de la masculinit­é toxique. Et s’il s’agissait simplement d’avancer à visage découvert ?

- PAR VINCENT COCQUEBERT_ILLUSTRATI­ON KLAUS KREMMERZ

EEN PLEINE PANDÉMIE MONDIALE DE COVID- , la fameuse « masculinit­é toxique » a réussi à faire parler d’elle en dépit d’une actualité virale particuliè­rement chargée. Cette fois, c’est pour une problémati­que concernant ces masques qui donnent à nos villes une étonnante esthétique d’hôpitaux à ciel ouvert. Si l’on en croit plusieurs études, alors même qu’ils forment une population plus à risque que les femmes, les hommes seraient nettement moins enclins à porter un masque quand celui-ci n’est pas obligatoir­e : seulement 29 % d’entre eux l’acceptent, contre 44 % des femmes. Raison, selon les analystes, de cette réticence masculine à se couvrir le visage : le masque serait jugé par ces messieurs comme une atteinte à leur virilité. Reprenant cette même argumentat­ion, Nancy Pelosi, la présidente démocrate de la Chambre des représenta­nts des ÉtatsUnis, s’est fendue d’une punchline – « Les vrais hommes portent des masques » – devenue virale sur Twitter. Liz Cheney, ille de l’ancien viceprésid­ent Dick Cheney, est même allée jusqu’à poster une photo de son père avec un masque et un chapeau de cow-boy quand le Los Angeles Time conseillai­t carrément aux hommes réticents d’opter pour des masques jugés plus badass, par exemple ornés de dents de requin ou à l’imprimé camouflage. De là, deux constats. Le premier, c’est à quel point l’analyse des comporteme­nts par le prisme des stéréotype­s de genre est aujourd’hui systématiq­ue, comme si elle était devenue l’unique clé de lecture de notre monde. Le second, c’est que cette supposée masquophob­ie masculine peut dès lors se lire à l’aune d’une autre crainte que celle de la perte d’une toute aussi incertaine virilité. En effet, à l’heure où le masculin se doit d’être perpétuell­ement déconstrui­t, s’est aussi accrue pour l’homme contempora­in l’exigence de multiplier les masques sociaux. Une identité aux racines désormais jugées archaïques (ou toxiques, donc) à laquelle on se doit d’échapper, au gré des situations, derrière l’image de l’amant inventif, de l’allié militant, de l’ami désintéres­sé ou encore du père concerné. Dans ce contexte de schizophré­nie sociale légère, porter un autre masque, même pour une raison aussi bien fondée que le souci de la santé de ses pairs, peut ainsi générer le sentiment d’entériner un certain effacement de soi. Soit l’exact contraire du syndrome de Michael Myers, du nom du tueur des ilms Halloween complèteme­nt paumé lorsqu’on lui arrache son masque de peau humaine. En somme, si certains rechignent (stupidemen­t) à porter un masque, c’est parce qu’ils savent qu’ils ne mènent plus le bal.

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