GQ (France)

Le vibrant ADN de Maïwenn.

- PAR ÉTIENNE MENU

Dans ADN, son cinquième film, l’actrice et réalisatri­ce part à la recherche de ses origines. Un film à son image : imparfait, excessif, mais vibrant d’humanité.

SSI MAÏWENN LE BESCO est plutôt rare sur les écrans, à peine y apparaît-elle qu’elle nous semble aussitôt familière. Comme si elle avait toujours fait partie des meubles du cinéma français. Sans doute parce que son visage, sa voix et sa silhouette donnent à chacun de ses rôles une aura impossible à louper. À 44 ans, l’actrice-réalisatri­ce dégage toujours ce mélange de maladresse enfantine, d’intensité adolescent­e et de gravité sans âge. Elle ne tourne donc pas beaucoup pour les autres, et se met parfois elle-même en retrait dans les films qu’elle fait, comme dans celui qui reste son plus grand succès à ce jour, Polisse, en 2011 (près de 3 millions d’entrées), voire n’y joue pas du tout, comme dans Mon roi en 2015. Pour son cinquième film, ADN, (acheté par Netflix pour une diffusion internatio­nale), elle se place cette fois-ci au centre de l’action et se montre quasiment dans tous les plans ; mais c’est paradoxale­ment pour y raconter la perte d’elle-même, ou plutôt celle de son personnage, prénommé Neige. Elle y saisit la disparitio­n d’une identité, voire d’un corps, puis la découverte ou plutôt la redécouver­te d’une autre elle-même, à travers une origine oubliée et enfin restaurée. « Avant de tourner ce film, j’étais obsédée par des questions identitair­es, explique Maïwenn. D’où je venais, que représenta­it l’Algérie pour moi, au quotidien mais aussi dans mon âme intérieure. » C’est cette histoire, ou plutôt ce chemin que raconte ADN. Un chemin qui commence par la mort d’Emir, le grand-père adoré (Omar Marwan), puis qui décrit les expérience­s prosaïques que traverse chaque famille dans ces moments-là : le délai plus ou moins court pour quitter la chambre de l’Ehpad, le choix du bois pour le cercueil, les gens qui feront des discours aux funéraille­s... Des instants rarement captés au cinéma et que la caméra de Maïwenn a le courage de retranscri­re, quitte à ne pas toujours bien doser les émotions qui s’en dégagent.

CAR COMME SES PRÉCÉDENTS FILMS, ADN est une merveille d’imperfecti­on, de déséquilib­re, une succession de grâce et de pathos, d’élans et de trébucheme­nts – exactement comme la vraie vie, finalement. Larmes, engueulade­s, sorties de route, obsessions, cauchemars : la réalisatri­ce filme tout, et certes, on frôle à certains instants la noyade face à ce torrent d’affects – la musique en fait parfois beaucoup trop –, tout comme on peut s’enchanter, la séquence suivante, face à des miracles de jeu, au naturel digne de Maurice Pialat. « Je ne voulais pas qu’il y ait un scénario classique : les scènes étaient résumées avec des fragments de dialogues et je voulais que les comédiens se les approprien­t, que chaque prise soit une improvisat­ion très libre, explique Maïwenn. Au bout d’un moment les acteurs oublient la caméra, oublient le tournage, et je le sens dans leur jeu. Même leur voix change, ils sont plus vrais, plus gracieux, plus beaux. » On a ainsi beaucoup aimé Dylan Robert en ado des quartiers qui craque en voyant mourir son papy, Marine Vacth en soeur faussement pimbêche et Fanny Ardant excellente en mère insupporta­ble. Et on a ri comme des baleines devant chaque réplique de Louis Garrel dans le personnage de l’ex devenu meilleur ami, expert en blagues subtilemen­t débiles. « Les gens l’ignorent mais Louis est comme ça dans la vie, très drôle », commente Maïwenn. Pour cette performanc­e comme pour celles de cette dernière ou du reste du casting, et plus largement pour la générosité et la sincérité qui se dégage de presque chaque image, ADN est une magnifique réussite, malgré ses défauts. Car à une époque où le jeune cinéma français bankable joue souvent les petits malins ou les bons élèves, cela fait un bien fou de voir un film justement un peu fou, qui n’a peur ni de se tromper ni de déraper, et qui finalement reste gravé dans la mémoire.

DE ET AVEC MAÏWENN, EN SALLES

Newspapers in French

Newspapers from France