GQ (France)

Les trois plats fétiches de Mory Sacko.

- PAR MARINE DELCAMBRE

Après un passage remarqué dans la dernière saison de « Top Chef », Mory Sacko vient d’ouvrir à Paris son premier restaurant, MoSuke. Et derrière chacune de ses réalisatio­ns, il y a toujours une histoire.

Une cuisine d’auteur ARIS, RIVE GAUCHE. aux multiples influences, ambiance omotenashi (l’art de l’hospitalit­é à la japonaise). « Ma cuisine unit trois territoire­s : la France, l’Afrique et le Japon, raconte le chef de 27 ans. Ils se retrouvent dans l’assiette à travers trois points forts : le produit, l’assaisonne­ment, la technique. Tout se complète. La cuisine africaine, par exemple, a beaucoup de goût mais n’est pas très esthétique. La cuisine japonaise, très rigide, va lui apporter le côté harmonieux qui lui manque. » Après avoir squatté le parvis du Palais de Tokyo cet été – aux manettes d’Edo, projet street food multicultu­rel –, Mory Sacko, ancien second de Thierry Marx et candidat remarqué de l’émission « Top Chef », sur M6, trempe les couteaux dans le grand bain d’huile, façon gastronomi­e bien pensée. Il vient d’ouvrir MoSuke, dans le 14e, à Paris, pour lequel il espère déjà une étoile. Mo pour Mory, Suke pour Yasuke. Il raconte : « La légende de Yasuke fait partie des histoires que l’on aime conter. Déraciné de ses terres africaines, l’homme arrive au Japon en tant qu’esclave. Grâce à sa force et à son intelligen­ce, il devient samouraï. Il est le premier et le seul Africain élevé à ce rang. »

PLe poulet yassa (de sa maman)

« Ma mère et mes soeurs cuisinaien­t, je préférais manger. De ma naissance à mon départ du foyer, je n’ai mangé quasiment que de la cuisine africaine. Ça a été assez drôle, arrivé à l’école hôtelière, quand on m’a demandé de travailler des produits qui m’étaient inconnus, comme l’artichaut ou le fenouil. Ma mère est née de parents maliens en Côte d’Ivoire et a grandi entre là-bas, le Sénégal et le Mali. Elle faisait une cuisine typique de l’Afrique de l’Ouest, de l’attiéké au thiéboudiè­ne en passant par le poulet yassa, mon préféré. Elle en faisait surtout pour moi, et je me demandais toujours ce qu’elle allait me réclamer en échange. C’est un plat à base de riz, du blanc ou du cassé – une variété plus collante, plus digeste, au parfum particulie­r. Le yassa, c’est la sauce : on fait revenir du poulet avec des oignons et on déglace au citron avant d’ajouter de la moutarde. Le tout mijote pendant trois heures dans les épices. Je n’en mange que chez ma mère. J’ai essayé tout seul mais ça n’avait pas le même goût et elle m’a disputé parce que je n’avais pas mis le citron au bon moment. Du coup je vais chez elle et je repars avec des tupperware­s. »

Le homard au miso et piment (ci-dessous)

« Une recette inventée pour MoSuke selon la méthode “produit, assaisonne­ment, technique” : du homard français, du piment qui rappelle l’Afrique et une cuisson japonaise, au barbecue. Dans le menu imposé de cinq ou huit plats, il arrive en deuxième. Il a une forte puissance aromatique, une longueur folle en bouche. Le homard breton est plongé rapidement dans l’eau chaude pour le faire sortir de sa carapace, puis cuit à la flamme avec du beurre de homard – le beurre coule sur les braises et flambe, la flamme saisit le homard. Dans le fond de l’assiette, un miso à la tomate. Ensuite, il y a les piments végétarien­s du maraîcher bourbonnai­s Pierre Gayet qu’on fait lacto-fermenter. Ils ont un goût très marqué mais ne piquent pas et développen­t un goût fumé qui s’associe parfaiteme­nt avec le reste. On agrémente d’une tomate cerise marinée dans du vinaigre balsamique, d’une autre gélifiée, puis, devant le client, on arrose le tout d’une bisque très sapide avec du paprika fumé. »

L’oeuf façon carbonara sans pâtes et sa crème acidulée au cumin

« Épreuve de la dernière chance (à chaque fin d’émission, un candidat est éliminé, ndlr), une heure pour cuisiner un plat que je n’avais jamais fait. Les blancs coagulaien­t mais je n’étais pas sûr de réussir à les rouler comme des tagliatell­es. Je ne connaissai­s pas le temps de cuisson. J’ai recommencé trois fois et j’ai dû casser au moins 90 oeufs. Mais le plat a beaucoup plu aux chefs. J’intellectu­alise beaucoup la cuisine, comme Paul Pairet et contrairem­ent à des chefs qui oeuvrent à l’instinct sans être capable d’expliquer leurs choix. “Top Chef” est une aventure unique. Je n’ai rien appris techniquem­ent, mais j’ai compris comment penser une assiette. Chaque élément d’un plat doit être en adéquation avec les autres. »

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