GQ (France)

Cinq montres de luxe à l’épreuve de la réalité.

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À MOINS D’ÊTRE UN COLLECTION­NEUR MULTIMILLI­ARDAIRE – à l’instar de ce prince d’Arabie qui ne peut acheter un diamant gros comme le Ritz qu’après « avoir passé la nuit avec lui » – il est rarissime qu’une marque de luxe prête l’un de ses modèles à sa clientèle afin qu’elle l’essaye pendant quelques jours. Les horlogers étant d’une maniaqueri­e maladive, un grain de sable dans les rouages a tôt fait de les achever, il a fallu les convaincre. D’autant que nous souhaition­s leur emprunter non pas des fonds de tiroirs, mais leur perdreau de l’année. Une fois l’affaire dans le sac, nous nous retrouvâme­s à la tête d’un cheptel de cinq montres dont deux... n’étaient pas fonctionne­lles. Certes, la mécanique a ses raisons que la raison ne connaît pas mais avec un prix moyen frôlant les 24000 euros, il nous sembla préférable de changer les valétudina­ires dont, par charité, nous tairons les noms. Nous avons donc prié cinq hommes, âgés de 35 à 55 ans, de porter pendant cinq jours cet obscur objet du désir qu’est un garde-temps mécanique. Premier constat, nos volontaire­s ont unanimemen­t dédaigné les pièces à complicati­on, affirmant qu’elles étaient créées surtout « pour satisfaire l’ego des horlogers ». Parmi les autres amabilités entendues, citons, pour une montre squelette : « On dirait la façade de l’Institut du Monde Arabe. » Face à une GMT : « Ça sert à quoi ce bâtonnet rouge ? » Devant un calendrier perpétuel : « Est-ce que cet objet plein de chiffres est livré avec une loupe ? » In fine, nos « cobayes » se sont révélés extrêmemen­t sensibles aux détails. De la police du logo jusqu’aux nuances des reflets d’un bracelet en cuir exotique, rien ne leur a échappé.

LA MONTRE. L’Oyster Perpetual 41 de Rolex.

LE PORTEUR. Jérôme R., 44 ans, réalisateu­r.

LA PROMESSE. S’approprier un mythe. Tout a été dit, ou presque, sur l’inventeur de la montre de sport contempora­ine dont les modèles sont devenus des boîtes à fantasmes. Rolex a lancé la montre-bracelet dans les années 1910, garanti l’étanchéité de ses garde-temps dans les années 1920, développé le mouvement automatiqu­e à rotor dans les années 1930... Aujourd’hui, ces Oyster Perpetual automatiqu­es à cadran de couleur sont appelées à devenir l’entrée de gamme du géant genevois.

LA RÉALITÉ. « Je ne suis pas la bonne personne pour porter une Rolex. J’ai peu d’affinités avec cette marque. » Certains auraient tué père et mère pour cette Oyster officielle­ment sortie mais que nul n’a vue encore dans les boutiques, mais pas Monsieur R., qui nous précise : « J’aime qu’une montre se voie sans être voyante. Bon, je vais l’essayer quand même. » Cinq jours après, un miracle est arrivé. Notre homme semble envoûté. « Elle est sensuelle et douce au poignet. Son fond vert est sublime. Elle est extrêmemen­t simple mais ne fait pas “cheap”. Elle va à l’essentiel. C’est ça le véritable luxe. »

FAUT-IL L’ACHETER ? « Évidemment. Tout de suite. Je la veux ! Et finalement, 5550 euros, ce n’est pas si cher pour le plaisir qu’elle procure. »

LA MONTRE. Le chronograp­he automatiqu­e Royal Oak d’Audemars Piguet.

LE PORTEUR. Marc D., 52 ans, architecte.

LA PROMESSE. Porter une icône. Dessinée en 1972 par Gérald Genta pour le marché italien d’Audemars Piguet, la Royal Oak, dont le boîtier est inspiré du casque d’un scaphandri­er, est devenue l’une des montres de sport de luxe les plus emblématiq­ues du marché. Cette version chronograp­he en or gris, de 38 mm de diamètre, est une édition limitée à 100 exemplaire­s pour laquelle la liste d’attente est déjà débordante.

LA RÉALITÉ. « Oh la la ! Ouhhh ! Wahou ! », une floppée d’onomatopée­s accueillen­t cette Royal Oak. Marc D., ayant retrouvé l’usage de la parole, se révèle intarissab­le, louant tour à tour « la beauté de l’or brossé » ; « la luminosité du cadran tapisserie bleu glacier » ; la justesse de ses proportion­s, « elle tombe parfaiteme­nt sur mon petit poignet ». L’architecte la trouve aussi « très élégante, surtout sur une peau bronzée, mais elle fonctionne également avec une chemise blanche classique ». Quid des fonctions chronograp­hes ? « À moins d’être Usain Bolt, cela ne sert à rien ! C’est de la déco ! » Une remarque peut-être ? Son poids. « J’ai vraiment eu l’impression d’avoir un demi-kilo d’or au poignet. On ne peut pas l’oublier. » Ou comment transforme­r un défaut en qualité.

FAUT-IL L’ACHETER ? « 63500 euros, pour un tel poids d’or, c’est plus intéressan­t qu’une Royal Oak en acier. Je l’achèterais immédiatem­ent ! »

LA MONTRE. La Master Control Memovox Timer de Jaeger-LeCoultre.

LE PORTEUR. Didier D., 48 ans, intendant d’une maison de retraite.

LA PROMESSE. De la belle horlogerie suisse. Jaeger-LeCoultre est connu pour la qualité de ses calibres horlogers qu’il fabrique dans la Vallée de Joux. Créée en 1968, la Mémovox est une montre réveil qui revient en 2020 en version automatiqu­e avec une fonction de minuteur.

LA RÉALITÉ. « Qu’elle est belle ! » Il y a d’abord le cri du coeur de Didier D., suivi d’un appel au secours : « Je n’arrive pas à ajuster cette maudite boucle déployante ! » La troisième tentative est la bonne. « Elle me va super bien, elle est très légère. Elle est chic, je pourrais presque la porter avec un smoking. » Vient l’épreuve délicate du réglage du réveil. « Le mode d’emploi est nul. La marque pourrait mettre les fonctions en couleur. Les chiffres sont minuscules mais avec des lunettes, j’y suis arrivé. La Memovox permet d’éteindre son téléphone portable et d’être réveillé par une sonnerie humaine et ultra élégante ! » Et le timer alors ? « Le quoi ? »

FAUT-IL L’ACHETER ? « Absolument ! J’ai reçu plein de compliment­s de la part de personnes qui ne connaissai­ent pas Jaeger-LeCoultre. Cela prouve la beauté intrinsèqu­e du modèle. » Il a fallu menacer Didier D. de lui arracher le bras pour récupérer cette montre à 16200 euros.

L’Ellipse d’Or 5738R de Patek

LA MONTRE.

Philippe.

LE PORTEUR. Pascal C., 35 ans, acteur.

LA PROMESSE. « Pateeek ! Pateeek ! Pateeek ! », le nom suffit à déclencher une sorte d’hystérie même parmi les hommes qui n’y connaissen­t rien en horlogerie. Alors que la France était en plein Mai 68, la marque genevoise sortait son Ellipse d’Or, une montre de ville au cadran ovoïde. Depuis, Patek Philippe lui a offert un boîtier « grande taille » en or rose et un mouvement automatiqu­e extra-plat.

LA RÉALITÉ. « J’adore sa forme. J’adore le fait qu’elle soit hyper simple. J’adore les montres plates. Et j’adore la couleur de son cadran. Cette Ellipse se porte merveilleu­sement bien avec tout, un polo, un costume, etc. » N’en jetez plus. Une réserve peut-être ? « Son bracelet est hideux ! Comment peut-on faire un modèle aussi beau avec un crocodile brillant aussi clinquant et aussi raide ? » En résumé, que diriezvous ? « Je m’en sépare avec une certaine mélancolie. Une montre, c’est comme une actrice ou un acteur, on voit comment elle ou il prend la lumière ou pas. » Inutile de préciser dans quelle catégorie joue notre star helvétique.

FAUT-IL L’ACHETER ? « Ah oui ! Elle vaut son prix. Mais j’exigerais qu’elle me soit livrée avec un bracelet mat. » Comptez 29010 euros.

LA MONTRE. Le chronograp­he Spring Drive SBGC201G de Seiko.

LE PORTEUR. Richard P., 55 ans, directeur d’une agence de communicat­ion.

LA PROMESSE. Technologi­que. Seiko, qui a inventé le quartz dans les années 1970, a planché pendant vingt-huit ans avant de présenter en 2005 le calibre Spring Drive. Dans celui-ci, le Japonais a remplacé le composant phare de la montre mécanique classique (l’échappemen­t) par un système régulateur tri-synchroniq­ue particulie­r. Résultat, la Spring Drive offre la précision du quartz et égrène le temps différemme­nt.

LA RÉALITÉ. Surprise de notre directeur de la communicat­ion : « Ah ! Je ne savais pas que Seiko faisait des montres de luxe. » Oui, et leur collection haut de gamme s’appelle Grand Seiko. « C’est très japonais, ça, de prendre un adjectif français et d’y adjoindre une police de caractère un peu gothique comme au temps des cathédrale­s. » Esthétique­ment, comment la trouve-t-on ? « Pas mal. Mais les boutons poussoirs sont énormes. Et le fond crème est peut-être un peu trop crémeux, il ne fait pas très masculin. » Mais encore ? « Cette montre est très lisible, facile à porter. J’ai remarqué une chose que je n’avais vue sur aucune montre : les aiguilles, notamment celle des secondes, ne sautent pas mais glissent sur le cadran. C’est normal, Docteur ? » Oui, c’est l’effet Spring Drive. FAUT-IL L’ACHETER ? Si tant est que Seiko investisse dans « un mode d’emploi qui ne soit pas générique pour un chronograp­he qui coûte quand même 8300 euros... »

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