GQ (France)

Paul Smith.

- PAR CHARLOTTE BRUNEL

C« CETTE PASSION, JE LA DOIS À MON PÈRE, Harold. Photograph­e amateur, il avait fondé le « camera club » de Beeston, la ville où j’ai grandi. À l’âge de onze ans, il m’a offert mon premier appareil et m’a tout appris : comment faire une image, la développer, l’imprimer. Nous passions des heures dans le grenier qu’il avait aménagé en chambre noire », se souvient Paul Smith. À quoi ressemblen­t ses premiers clichés ? « À des paysages de campagne anglaise. Adolescent, je m’entraînais à devenir cycliste profession­nel et j’emportais mon Kodak sur mon vélo. » À 21 ans, alors que le Swinging London bat son plein, le futur créateur travaille même comme photograph­e pour des magazines comme Arena Homme Plus, Casa Vogue ou AD. Parmi les références de cet amoureux du noir et blanc et de ses textures les plus granuleuse­s, « voire quasiment pointillis­tes », se trouvent la simplicité joyeuse d’un Jacques Henri Lartigue (dont il a exposé le travail en 2018), la fantaisie exotique d’un Peter Beard mais aussi l’onirisme d’une Sarah Moon.

SI PAUL SMITH LE CRÉATEUR DE MODE a longtemps signé ses propres campagnes publicitai­res, il a su aussi débaucher les plus grands talents de son époque : Bruce Weber, Miles Aldridge, Viviane Sassen, et surtout David Bailey, qui signe en 1994 un catalogue mettant en scène des « vrais mecs », dont l’acteur John Hurt. « David est un immense portraitis­te et j’aime particuliè­rement la manière dont il photograph­ie les hommes. Il ne cherche pas la beauté comme avec les femmes, mais la vérité sans fard. C’est aussi quelqu’un qui a révolution­né la photo en faisant sortir la mode des studios pour l’emmener dans la rue. » Capturer la spontanéit­é de la vie, l’émotion d’un instant, c’est aussi l’intention des images que Paul Smith réalise depuis tant d’années. Parmi la dizaine de milliers de clichés, on trouve beaucoup de souvenirs de vacances retraçant les voyages de ce curieux au Chili, au Japon, ou l’été dans sa maison de Toscane : « Je possède cinquante ans d’albums de vacances, c’est colossal. » Mais aussi des objets du quotidien, chinés dans les marchés aux puces ou issus de ses innombrabl­es collection­s, des détails d’architectu­re, de fleurs, un collage du graphiste anglais Alan Fletcher, une ombre poétique... Aujourd’hui, ce « journal intime visuel » comme l’appelle Paul Smith, est shooté à l’iPhone et diffusé sur son compte Instagram sous le hashtag #takenbyPau­l. Et il nourrit toujours autant sa mode ! Par exemple, les tons terracotta de ses paysages de Toscane sont à retrouver sur les tissus du printemps-été 2021. Il ne faudrait pas oublier que, dans les années 1990, Paul Smith a été le premier créateur à faire imprimer des photos sur ses chemises : plats de nouilles ou pommes vertes, devenus des icônes de la mode pop. Autant de preuves d’amour et de créativité débridée à retrouver dans sa nouvelle monographi­e au fil d’images de vêtements, de campagnes et de son premier appareil : un Kodak Retinette. Touchant.

Le créateur anglais fête le demi-siècle de sa maison avec une monographi­e qui fait la part belle à l’image. L’occasion de l’interroger sur son amour débordant pour la photo.

PAUL SMITH , PHAIDON, 264 PAGES, 65 €

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