La cuisine des dictateurs
Soupe au ketchup et Bourgogne à la flotte… Pour les auteurs de Une journée avec, les grands tyrans n’ont pas juste affamé les peuples, ils ont aussi inventé le régime sec.
FAUT-IL SE MÉFIER D’UN CHEF D’ETAT AU RÉGIME ?
À lire Une journée avec, le dernier ouvrage collectif des Editions Perrin sur le quotidien des grands dirigeants et tortionnaires qui ont marqué l’histoire, on aurait tendance à répondre que oui ! Voyez le cas le plus signifiant en la personne d’Adolf Hitler (1889-1945). Non seulement, nous apprend l’un des auteurs (l’infatigable Claude Quétel), le Fürher aurait bien été un vegan du genre hardcore du poireau, se nourrissant essentiellement de soupe d’avoine, jus de légumes, crème de graines de lin, légumes bouillis et autres réjouissances potagères. Mais son péché mignon, celui des grands festins de la victoire, consistait en un plat de pommes de terre cuites à l’eau et arrosées d’huile de lin. Alors certes, ajoute l’historien, Adolf se rattrapait discrètement sur la Bavaroise et la génoise fourrée. Reste que le régime du dictateur était strict : pas de viande, pas de poisson et surtout pas d’alcool. Ses invités du Berghof, sa résidence secondaire de l’Obersalzberg dans les Alpes Bavaroises, étant libres de consommer de la viande à table. A condition toutefois de ne pas en abuser, eu égard au dégoût éprouvé par l’exterminateur nazi pour les abattoirs (« on y croise de jolies filles avec de hautes bottes en caoutchouc, debout dans le sang jusqu’au mollet », aurait-il confié à ses proches). Bigre.
KETCHUP GÉORGIEN
Son doppelgänger soviétique, Joseph Staline, alias « Le père des peuples » n’aurait pas non plus vécu en grand gastronome, rappelle le professeur François-Xavier Nérard - qui est également « historien du goût et des pratiques de consommation dans les cantines ouvrières de l’ex-URSS » (ça ne s’invente pas). Son plat préféré ? le Kharcho, une soupe caucasienne maigre composée d’ail, sel, poivre, riz, coriandre, oignon, huile végétale, noyer, pâte de tomates et de Tkemali (le ketchup géorgien). Un plat de général, pour le moins frugal (mais copieusement arrosé de vodka), qui corrélait inconsciemment avec la grande famine qu’il avait lui-même entretenue et amplifiée en Ukraine par sa politique de collectivisation forcée des terres et sa terrible « loi des épis » (Un grain de blé ou une patate volée ? 10 ans de goulag…).
CHAMBERTIN À L’EAU
Les tyrans seraient-ils donc des mange clous ? C’est la question que n’ose pas poser (tout en y pensant très fort) l’historienne Marie-Hélène Baylac*, dans son récit implacable de la diète asexuée du révolutionnaire Maximilien de Robespierre. Un vrai menu d’Incorruptible pour le membre du Comité de Salut Public qui se nourrissait essentiellement de fruits, légumes, d’un peu de pain et très peu de viande chez ses amis logeurs (les Duplay), domiciliés rue Saint-Honoré (Paris 1er), à deux pas du Palais-Royal, c’est-à-dire à portée de mains de la plus forte concentration de prostituées d’Europe de l’Epoque. Dans un autre genre, Napoléon Bonaparte, s’amuse le spécialiste du Consulat Thierry Lentz, mangeait comme il faisait l’amour : de manière expéditive. Bonaparte déjeunait sur un petit guéridon à fond les ballons. Les personnes reçues à ce moment-là restant debout. En cuisine, il ne fallait pas traîner - l’homme ayant un empire à édifier, donc pas le temps de s’éterniser. Au menu, poulet en fricassée, perdreau, bouchées à la reine, macaronis avec du parmesan et haricots verts, arrosés de Gevrey-Chambertin coupé à l’eau glacée, une pâtisserie et un café et hop ! Comme quoi, un tyran à la Française - 5 millions de morts quand même -, ça sait (presque) se tenir à table.