SI Y’A DU PAIN, C’EST QUE TOUT VA BIEN !
Farcis à la viande, fourrés au fromage et gorgés de Béchamel ou de Nutella, les « pains à partager » et autres « baguettes magiques » peuvent-ils remplacer les rôtis et les cacahuètes ? La réponse est oui. Surtout si vous arrivez à trouver du bon pain...
Et si le pain, l'indispensable accompagnement d'un bon repas, en devenait soudain le plat de résistance, le festin vedette, la star incontestée de la table ? Un « pain à partager », farci de lard, de fromage, de viande hachée, de légumes, de figues, de sauge, de pesto et d'aromates. Une « baguette magique » truffée de cheddar, de poulet à la mexicaine, de saumon à l'aneth, de champignons, de tartiflette, de sardines, de pissaladière et de Roquefort aux noix. Un rêve de casse-croûte ? Une orgie céleste ? Un mirage culturel… C'est pourtant ce que proposent, recettes à l'appui, deux nouveaux petits recueils de cuisine boulangère qui méritent peut-être beaucoup plus que de simples gueuletons.
COURONNE AU CAMEMBERT
Le premier des deux, Pains à partager (Larousse), signé Bérengère Abraham et mis en images par notre ami Charly Deslandes, est une sorte de remix glouton de la Sainte Eucharistie (« Prenez et mangez-en tous… »). Le rendez-vous des morfalous de la messe, le bûcher des vanités de la pénitence, un banquet gaulois avec d'immenses tourtes paysannes et pré-tranchées, dégorgeant de Pecorino et de tomates aux olives en guise de sanglier. 25 recettes de « Pain Hérisson » (avec une croûte éclatée comme des épines), de buns aux lardons et aux noix, de « Pains Soleil » (en spirale avec une boule fourrée au centre), de « Couronnes au Camembert » (avec deux claquos fondants à l'intérieur), de pain brioché au lard et au Comté, de pain à effeuiller à la Mozzarella et de « Pain roulé décalé » (préparé en quinconce) à la banane et pâte à tartiner.
TORNADE DE CHAMPIGNONS
Soyons francs, chacune d'entre elles sonne comme une invitation aux amusegueules des géants. Un apéro-musette chez Gargantua à l'époque bénie des précepteurs en boustifaille où l'on n'avait pas encore inventé les chips et les olives... « Le Pull-Apart Bread, ou “pain à arracher”, va devenir l'incontournable des apéritifs dînatoires, explique Bérengère Abraham. Ultra fondante et régressive à souhait, c'est la recette réconfortante par excellence. » Ne cherchez pas trop la genèse du Pull-Apart en miche de machin-chose, ce n'est ni plus ni moins que la version bobo du frichti boulanger ou du sandwich à l'omelette des grands mangeurs d'Espagne. Mais la recette du « Pain Hérisson Reine Blanche » (une boule de pain de campagne aux noix avec trois Mozzarella di Bufala s'il vous plaît, quatre tranches de jambon aux herbes et une tornade de champignons de Paris à l'intérieur) vaut largement sa médaille du mérite du casse-dalle, tout droit sorti du four. Idem pour le « Pain Hérisson Figue et Chèvre » (avec des noisettes hachées, de la ciboulette et des fruits secs), le « Pain Hérisson Scamorza, Sauge et Pancetta » (la Scamorza est un fromage italien à pâte filée, ndlr) ou même la très allumeuse « Couronne à la vanille farcie à la compote de pommes ». Encore une petite bouchée pour la route ?
HOT-DOG GASTRONOMIQUE
Baguettes magiques pour l'apéritif (Larousse), le second manuel du parfait picoreur de boulange porté sur la bouteille, est signé Pauline Dubois avec de remarquables images en croûtes et pleines de miettes de Fabrice Veigas. « Des re-
cettes qui nécessitent peu de préparation pour un maximum de goût », prévient d'emblée l'auteure. Et c'est vrai que, de la « Baguette magique forestière » (sauce Béchamel, champignons et lardons poêlés) à la « Baguette magique au saumon, aneth et Munster » (avec de la crème fraîche, de la ciboulette et des baies), en passant par la « Baguette magique façon Flammekueche » (crème fraîche et vin blanc) et la simple « Baguette magique au Nutella » (aux amandes effilées)… Le côté baguettefourrée-jusqu'au-trognon donne soudain des envies de hot-dog gastronomique et de petits canapés à la parisienne (du fromage frais, des oeufs durs, des dés de jambon et des cornichons). Basé sur un principe de garniture en tranches (on vide la mie, on remplit et on réchauffe au four), le livre repousse même gentiment les frontières du sandwich cuisiné avec une alléchante « Baguette magique à la mexicaine au Guacamole » (filet de poulet, cheddar, crème fraîche, piments, poivrons, etc).
TOURTE DE SEIGLE
Et après ? « Choisissez votre pain : classique, tradition ou à la farine de sarrasin, creusez votre baguette, garnissezla selon vos envies, puis laissez dorer au four quelques minutes », conseille Pauline Dubois. Seulement, voilà ! Et si, comme pour une majorité de Français, on n'a qu'un seul boulanger à se partager pour 1 800 habitants (et pas forcément le meilleur) ? Et si, à la différence des Parisiens qui croulent sous les boulangers millionnaires (Eric Kayser, Dominique Saibron & Co), on vit dans un monde sans tourte de seigle au pavot, ni boule bio, ni baguette au curry ? On partage quand même ? Plus que jamais, le pain – surtout farci comme une pintade – se retrouve au coeur du divorce national. Vénéré par 79 % des Français qui ne peuvent plus casser la graine sans lui*, le pain de qualité (farine bio, fermentation longue, etc.) reste toujours difficile d'accès quand on n'a le choix qu'entre des pétrins supersoniques et des biscottes hors d'âge au supermarché. Mais le jour où nous aurons tous du bon pain, nous saurons quoi faire avec.