Grand Seigneur

LES VINS DE GRAPHISTES ONT CHANGÉ MA VIE...

Dans le grand bordel des appellatio­ns viticoles, des petits malins ont créé des marques repères avec des étiquettes design et des noms rigolos (Monsieur Moustache, etc). Et pour notre reporter de bistrots Thomas Clément, forcément ça s’arrose !

- Texte : Thomas Clément Photos : Julien Liénard

Qui n'a jamais longuement hésité devant les étagères d'un caviste avant de choisir LA bouteille, celle qu'on va apporter à un dîner chez des amis ? Normal, notre image est en jeu ! Un Bordeaux, un Bourgogne, un Côtes-du-Rhône, oui mais lequel ? Et qui osera avouer que son choix final s'est joué… sur l'étiquette ! Ah l'étiquette, ce petit rectangle rassurant collé sur le flacon, avec sa jolie gravure du château, de la propriété, voire du domaine qu'il convient de montrer puisque c'est ici que le précieux nectar a été mis en bouteille. Finalement, peu importe l'appellatio­n (dont 80 % ne mériteraie­nt pas vraiment leur statut*), le millésime et toutes ces mentions savamment codées, il faut juste que ça fasse bon vin, histoire de ne pas passer pour un inculte, ou pire, pour un radin.

CODES SECRETS

Voilà sans doute pourquoi le vin est le seul produit

de grande consommati­on qui n'a jamais fait évoluer son packaging depuis le XIXème siècle ! En France, le bon vin, c'est avant tout le poids des traditions, les spécificit­és d'un terroir, le vieillisse­ment en fût de chêne, et surtout pas un truc moderne et branché ! Autant dire un vrai suicide programmé sachant que d'une part, le consommate­ur de vin ne cesse de vieillir (seulement 1 % des 20-24 ans boit aujourd'hui du vin tous les jours**) et que d'autre part, les vignerons français sont plus que jamais talonnés par les pays dits « du Nouveau Monde » qui ont inventé une nouvelle façon beaucoup plus simple de vendre et de marketer les vins à travers les cépages. Pinot, Syrah, Chardonnay et Merlot, que vous soyez en Australie, au Chili ou en Afrique du Sud, vous pourrez facilement vous repérer sur la carte. Évidemment, pour les bouteilles stars de Bordeaux et de Bourgogne que le monde entier s'arrache, aucun problème. On pourrait rajouter des codes secrets, des équations mathématiq­ues, voire des slogans salafistes sur leurs précieux flacons, qu'il s'en vendrait encore par palettes ! En revanche pour les petits vignerons, il est vital de trouver de nouvelles idées pour attirer les amateurs, et pourquoi pas sacrifier leur appellatio­n obscure au profit d'un concept facilement mémorisabl­e.

DAFT PUNK

Voilà comment une cuvée du Château RoussetCai­llau, sympathiqu­e Bordeaux rouge de l'Entre-deuxMers réalisé par Sébastien Leglise, viticulteu­r à SaintSulpi­ce-de-Pommiers (Nouvelle Aquitaine), est deve-

nue Monsieur Moustache ! Oui vous avez bien lu, un vin de Bordeaux avec une belle moustache sur le recto et plein de messages rigolos sur le verso, du « Wine More Time » hommage aux Daft Punk au « Message in the Bottle » référence à The Police, le tout avec le graphisme et les typos néo-vintages si chers aux hipsters du monde entier. Une initiative qui n'a pas échappé à Romain, Philibert et Audoin, trois jeunes Bourguigno­ns diplômés d'école de commerce qui ont décidé de promouvoir et de distribuer ce vin. En 2016, il créent la société Unexpected Wine et se fixent comme objectif de reconquéri­r la nouvelle génération avec une offre plus simple et plus fun, sans pour autant sacrifier la qualité du vin. « Pas question de tromper les consommate­urs, d'autant plus que les vins portant des étiquettes originales sont jugés avec beaucoup plus de sévérité que les vins traditionn­els », nous rassure Audoin. Dans la foulée, les trois entreprene­urs lancent aussi leur propre vin, un Bourgogne léger et gourmand à base de Gamay qui proclame fièrement sa différence avec un « Liberty of Burgundy » tagué sur un élégant papier peint motif liberty. L'ambition d'Unexpected Wine est clairement de casser les codes pour ramener le produit au centre de la discussion.

GROS BALAISE

À la Maison Popeille, qui a été l'un des premiers restaurant­s parisiens à tester ces vins, on apprécie ces étiquettes qui sont faciles à mémoriser pour les clients

et qui simplifien­t aussi le travail des serveurs. Elles sont autant de points de départ pour raconter l'histoire de ces vins aux néophytes. Car pour Audoin, si créatif soit-il, le design n'est jamais gratuit : « On doit retrouver le visuel de l'étiquette à la dégustatio­n. » À l'image de cet excellent vin espagnol Macho Man Monastrell, produit au sud de Valence et dont l'étiquette représente un gros balaise en marinière, barbu et tatoué, qui n'est autre que José Luis, le vigneron, un vrai dur au coeur tendre… comme son vin.

Un petit jeu de mots sur le cépage peut aussi donner naissance à des étiquettes encore plus osées, comme sur cet excellent vin de Loire issu du cépage Grolleau, oeuvre de la famille Pithon-Paillé à Saint-Lambert-duLattay (Maine-et-Loire). Sur l'étiquette, Grolleau devient Grololo, beaucoup plus facile à retenir, surtout si on ajoute deux charmantes naïades aux généreuses poitrines dénudées. Adrien Léonard, co-gérant du restaurant Levain à Boulogne, se félicite de sa trouvaille. Les clients le réclament direct en l'apercevant sur le comptoir, et quand le Grololo arrive sur la table, les blagues ne manquent pas de fuser (parfois un peu sexistes, il est vrai !). Prudents, les vignerons ont quand même prévu une étiquette sans lolos à destinatio­n des prudes Américains. Une précaution qui pourrait bien s'avérer inutile après la récente élection de Donald Trump, grand amateur de gros lolos devant l'Éternel !

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Monsieur Moustache, Grololo, Macho Man...
Thomas Clément chez Levain à BoulogneBi­llancourt (92) en pleine dégustatio­n de Monsieur Moustache, Grololo, Macho Man...
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