Grand Seigneur

“MON PÈRE, CE GRATIN DE POIREAUX… ”

L’amour en jardinière, le gratin de poireaux et les bouillons solitaires… Nicolas Bedos s’est mis à table sans nous raconter de salades. Une interview bien croquante.

- Entretien : Olivier Malnuit Photo : Eddy Brière

Nicolas Bedos, quelle relation entretenez-vous avec les légumes ? — N.B. : Vous allez me prendre pour une courge, mais je crois que les légumes ont une âme, une personnali­té, qu’ils font partie d’une poésie qui a toujours été là et lutte contre la virtualité de l’époque, l’accélérati­on, l’inconsista­nce des choses. Quand j’étais petit, je m’amusais à table à donner un sexe, un numéro et un rôle aux légumes. Je pouvais vous dire précisémen­t qui était le numéro 1, qui était le numéro 2. C’étaient comme des petits bonshommes. Le numéro 1 était un petit garçon, le numéro 2 son grand frère, le 3 une fille esseulée… Je pouvais faire ainsi tout un petit théâtre d’opérette avec des carottes dans mon assiette. Peut-être était-ce parce que pendant l’enfance, on transforme souvent des légumes en jouets. Il y avait des jouets-carottes, des jouetspata­tes. On leur mettait des yeux, des oreilles… En fait, je crois que j’ai commencé à écrire avec mes personnage­s de légumes.

Maintenant que vous avez grandi, quelle personnali­té donneriez-vous aux piments, par exemple ?

Les piments seraient un peu pervers, un peu dangereux. D’ailleurs, on dit souvent « les piments », jamais « un piment », c’est une meute. Ils ont quelque chose d’assez d'assez rare et parfois d’un peu venimeux. Ça doit être lié au fait que ma mère a fini par découvrir qu’elle en raffolait alors qu’elle ne les digérait pas bien. Je pense que j’associe les piments à une sorte de danger rétrospect­if. Mais j’adore ça ! J’aime beaucoup les légumes. Même si je n’ai pas encore sauté le pas qui consiste à ne manger que ça.

Et si la femme de vos rêves était un légume…

Je trouve qu’il y a quelque chose d’intéressan­t dans la tomate. D’abord parce qu’il y a une variété fantastiqu­e – la Cerise rouge, la Rose de Berne, la Green Zebra, la Cornue des Andes, etc. – comme il y a une formidable variété d’êtres humains. Et donc, de femmes... Rien n’est moins différent qu’une bonne et une mauvaise tomate ! C’est un légume qui peut m’emmener du sucré vers le salé, m’apporter des émotions différente­s une fois cuit ou agrémenté de fromages. C’est très particulie­r la tomate, sophistiqu­é comme peut l’être une femme, cuit comme la colère, acide comme la lassitude…

Une tomate cuite comme la colère ?

Oui, je trouve qu’il y a quelque chose d’un peu belliqueux, une sorte d’acidité dans la tomate cuite. Alors que la belle tomate du potager, celle qui se retrouve un midi d’été dans votre assiette avec juste un peu de sel et dans laquelle on peut croquer, c’est une jeune femme, disposée, généreuse, tendre, affable.

Et si votre père (l’humoriste Guy

Bedos, ndlr) était un légume ?

Ce serait un légume cuisiné, agrémenté, parce que mon père est un homme éduqué, toujours dans une sorte de retenue. Et puis, ce serait un légume très salé, parce qu’il aime le sel, mais plutôt doux. En fait, ce serait un gratin de poireaux avec du fromage…

Vous arrive-t-il de cuisiner des légumes ?

Malheureus­ement, non. Mais je suis un gros consommate­ur de bouillons de légumes au restaurant. Des bouillons avec du chou, des carottes, des oignons, des soupes de Ramen aux épinards, aux petits pois… Pour moi, ce sont des plaisirs privés, presque solitaires, dans les restos japonais du quartier Saint-Anne (Paris 1er-2e).

Pourquoi solitaires ?

Parce que j’adore le fait d’y être totalement esseulé, zappé par les cuistots et par les serveurs asiatiques qui ni ne me connaissen­t, ni ne s’intéressen­t à moi. Cette intimité respectée, voire même cette relative indifféchi­c,

J’ai vu le sexe des carottes !

rence qu’ils ont pour le client, me convient parfaiteme­nt. Et puis, j’aime bien regarder les cuisiniers travailler, l’anonymat, le silence. Ailleurs, je ne suis pas fou de cette comédie du serveur ou du chef qui vous parle comme à un pote…

Qu’est-ce qu’il y a de si fascinant dans la cuisine japonaise ?

C’est une nourriture que l’on ne regrette pas. Mon corps l’appréhende bien, la supporte bien. Avec la cuisine japonaise, j’ai le sentiment de manger sainement, je ne ressors pas de table écoeuré, embarrassé par mon appétit ou ma gourmandis­e, comme ça m’est arrivé régulièrem­ent lors de banquets italiens ou français. Et puis, j’adore l’ambiance des restos japonais ! La déco est rarement superbe, mais on a souvent le sentiment que moins c’est nouveau, meilleur c’est. Et pourtant, Dieu sait que j’aime les beaux endroits. Mais cette absence totale de chichis, pouvant aller jusqu’à des néons au plafond, laisse penser que c’est le prix à payer pour que ce soit succulent.

Vous y déjeunez ou dînez seul ?

Très souvent. Contrairem­ent à l’image que j’ai laissé montrer à la télévision, je ne suis pas du tout quelqu’un de mondain. Bien sûr, on peut me trouver dans des soirées, une beuverie peut m’amener dans une boîte de nuit. Mais ce que j’aime par-dessus tout, c’est la solitude du restaurant japonais. La barrière de la langue, l’indifféren­ce affable du personnel, ce sentiment de plénitude quand on est seul au bar avec ses écouteurs sur les oreilles… J’aime la nourriture bulle ! Et ça marche aussi la nuit, quand je me réveille pour manger seul.

Vous claquez beaucoup d’argent au restaurant ?

Ça m’est arrivé. Et comme j’y passe ma vie, je culpabilis­ais un peu de lâcher des fortunes midi et soir. Mais ça explique aussi mon goût pour certaines petites cantines asiatiques. Chez Sapporo (37 rue Saint-Anne, Paris 1er) ou Kadoya (28 rue Saint-Anne, Paris 1er), je n’ai pas l’impression de m’offrir un souper de milliardai­res, c’est le moins qu’on puisse dire. On peut s’en tirer avec des aliments très sains, très bons et pour pas cher. C’est important pour moi.

Avez-vous déjà envisagé la cuisine comme thérapie ?

J’ai deux amis qui ont suivi cette voie à des fins quasiment méditative­s. Comme une sorte de repli sur soi dans le choix des ingrédient­s, leur préparatio­n, la cuisson, l’attente. Je connais tout ça, mais je ne l’ai pas pratiqué, pas encore. Le temps des légumes, par exemple, est une vraie réflexion. Je ne suis pas non plus insensible à celui du potager, je suis même en train d’envisager de changer de vie. Je tourne autour de l’achat d’un endroit hors de Paris, avec un jardin pour réfléchir. Loin du bruit de la ville.

Pourquoi y a-t-il autant de scènes de dîner dans Monsieur et Madame Adelman

? Et jamais une scène de cuisine, une image de plat, de sauce, etc. ?

J’ai mon rapport à moi, qui n’est pas un rapport passionnel, avec la nourriture. Je trouve même qu’on en fait un peu trop avec l’assiette, que l’époque a un peu saturé les gens avec la recherche du goût, cette sorte de quête hystérique de la satiété qui donne l’impression qu’on ne pense plus qu’avec son palais ou son ventre.

Par moments, vous aimez quand même bien manger ?

Oui, mais je n’aime pas commenter. La cuisine, c’est comme l’amour, on ne débriefe pas la façon dont on vient de baiser. Il m’est arrivé parfois de dîner avec des gens dont le seul sujet de discussion tournait autour de ce qu’il y avait à table. Je préfère quand l’assiette agrémente la conversati­on plutôt que quand elle la conduit. Monsieur & Madame Adelman, avec Doria Tillier, Pierre Arditi et Julien Boisselier.

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