“JE POURRAIS LES TAILLADER, LES DÉPECER, LES CISAILLER… ”
Repas sur scène et critiques assassinés en live… Le comédien Julien Boisselier a surpris tout le monde cet été avec 12 millimètres, un spectacle aux limites de la folie sur le show-biz des chefs. Grand Seigneur l’a cuisiné à la sortie du théâtre !
Julien Boisselier, c’était quoi ce show de malade sur les chefs ? — J.B. : Cela faisait longtemps que je voulais m'essayer au one-man-show ! Mais surtout, j'avais une envie féroce de cuisiner sur scène, d'interpréter un de ces chefs en pleine action. J'ai toujours été fasciné par leur dimension dramatique. Ces gens sont totalement habités par leur métier, par les cuissons, les saisons, etc. Et je trouvais ça intéressant à développer au théâtre. Comme préparer un repas devant le public, par exemple.
C’est vrai que c’est assez peu courant…
J.B. : C'est même très étonnant, vous voulez dire ! Il y avait une interaction naturelle quand je me mettais à travailler les matières. Je voyais la réaction des gens au moment de découper la volaille, de travailler les oignons, les échalotes,
de faire chauffer le beurre, « l’huile d’olive de Provence qui nous donne envie de pécho des cagoles entre les cagettes d’anchois » (il prend l’accent de Cyril Lignac comme dans la pièce). Tout ça participait à un show visuel qui donnait aux gens l'impression d'avoir vu quelque chose d'un peu différent, de revenir de voyage. Votre chef Jean-Jacques est totalement parano et suicidaire, c’est votre idée du métier ?
J.B. : Évidemment non. Mais j'ai quand même l'impression qu'on est dans un milieu très dur avec un langage militaire, une organisation, une rigueur. On parle de général de brigade, de chef de cuisine, on a inévitablement une violence qui se dégage de tout ça. Mais le plus drôle, c'est que les gens rient beaucoup de la noirceur de ce spectacle et du pathétique du personnage. Quant à ma vision personnelle du sujet, c'est bien simple : je suis un dingue de bouffe. Si je mange mal le midi, ma journée est gâchée. La critique gastronomique prend très cher dans la pièce. À votre avis, un chef craint-il plus la critique qu’un
comédien ?
J.B. : Une critique négative fait toujours mal, qu'on soit acteur ou chef. Mais je pense que c'est encore plus douloureux en cuisine, parce qu'un chef peut tout perdre en une soirée : son étoile, son commerce, sa clientèle… Alors que chez un acteur, un spectacle chasse l'autre. Dans la pièce, cette pression explique sans doute la violence de mon personnage à l'égard de ces critiques : « Je pourrais les taillader, les cisailler, les dépecer, les hacher, les émincer, j’en ferais de fines lamelles que je laisserais sécher au soleil en ayant pris soin auparavant de laisser la chair reposer dans une marinade à base de persil plat, de coriandre et de galanga (pour le petit côté exotique). » Et pendant que je dis ça, on projette une vidéo où je mets un sac plastique sur la tête de la critique gastronomique et je commence à l'étrangler. C’est quoi pour vous le plaisir à table ? J.B. : Un bon verre de vin en début de soirée, les potes qui se réunissent dans la cuisine – comme d'hab', parce que ça finit toujours dans la cuisine. On est tous aux fourneaux et puis, une heure après, on passe à table et on partage le même plaisir. En plus, maintenant j'ai la chance de vivre à la campagne. Donc, quand les
potes viennent, ce n'est pas juste pour dîner. En général, je leur ai envoyé le menu la veille, ils savent qu'on va travailler sur telle matière, tel produit. Ils arrivent à la maison avec les bonnes bouteilles de vin, il y a une vraie interactivité, un vrai partage, l'apéro qui démarre à 18 heures avec un mini « frometon », le petit Rocamadour sarthois affiné par le fromager Stéphane Torché à La Ferté-Bernard. Ensuite une petite mise en bouche et on enchaîne sur l'entrée selon les saisons. Récemment, j'ai un pote qui est venu avec des asperges blanches qu'il avait chopées je sais plus où. Il nous les a préparées à l'ancienne, vous savez avec l'oeuf qu'on effrite par-dessus, la petite sauce et tout… J'aurais du mal à développer une amitié profonde avec une personne qui n'aime pas manger. Alors, tomber amoureux d'une femme qui n'aime pas manger, ça ne pourrait pas fonctionner ! D'ailleurs ma femme (Clémence Thioly) est comédienne et… chef à domicile. Qu’est-ce qu’on mange si on passe vous voir dans le Perche ?
J.B. : Alors, pour faire connaissance, si je ne veux pas rater mon coup et qu'on est dans la bonne période des truffes, je vous préparerais des Linguine aux truffes… avec un petit Pinot noir. Tout simplement ! Et puis si on a envie de manger un peu léger le lendemain, je vous ferais un petit bar en croûte avec un beurre blanc que mon père réussissait magnifiquement bien : vous faites revenir les échalotes dans le vinaigre, ensuite vous mettez votre beurre et la crème, ça s'épaissit naturellement, vous cassez la croûte, ouvrez un filet de bar, je vous mets ça dessus, tout va bien se passer !