Grand Seigneur

L’HOMME QUI MURMURE À L’OREILLE DU PÂTÉ EN CROÛTE...

Champion du monde de pâté en croûte (2015), ce chef de Bruxelles (Brasserie Bozar) continue de nous épater avec un pâté si frais et léger qu'il se met à chanter en moins de deux jours...

- KAREN TOROSYAN Texte : Thomas Clément Photo : Christophe Da Silva

Quel est le secret d’un grand pâté en croûte ? Depuis son retour en grâce, il y a quelques années, à l'initiative de quelques fines gueules lyonnaises (le roi de la chambre à coucher Gilles Demange, le concepteur de cuisines Arnaud Bernollin, le chef Christophe Marguin, etc.) et de la maison de vins M. Chapoutier*, le pâté en croûte n'en finit plus de se décliner sous toutes ses formes (au poulet de Bresse, à la pintade chaponnée) et de s'exposer dans les vitrines des charcutier­s comme des sacs à main Gucci ou des oeuvres d'art, sans qu'on sache toujours précisémen­t ce qui en fait toute la magie et la modernité… Est-ce le dessin de la pâte ? L'orgie de la farce (perdreau, colvert, etc), son poids de compétitio­n (jusqu'à 32 kilos**), les arômes utilisés (certains le préfèrent à l'alcool de sapin) ? Le chef Karen Torosyan, Champion du monde de pâté en croûte 2015, que nous avons pu rencontrer dans sa cuisine de la Brasserie Bozar (3 rue du Baron Horta, Bruxelles), livre une tout autre explicatio­n, des plus étonnantes : « La maigreur » !

SEULEMENT 25 % DE GRAS

« Toute la difficulté consiste à marier au même moment le croustilla­nt de la pâte et le goût de la

farce », explique le toqué d'origine arménienne qui vient de décrocher sa première étoile au Michelin. « Le problème, c’est que comme la farce a besoin de travailler deux semaines au frigo pour libérer toutes ses saveurs, la pâte s’humidifie, elle se ramollit, elle perd en croquant. Or, un pâté en croûte, c’est un peu comme un macaron. » C'est-à-dire ? « Il faut une vraie caresse au coeur et une grande baffe à l’extérieur ! C’est pour ça que je compose une farce avec seulement 25 % de gras, elle a déjà un goût prononcé dès les premières 48 heures, ce qui évite les trop longs séjours au frigo. » Son secret ? « Je travaille sur le gras de la poitrine du porc, entre la couenne et sa partie maigre, que je mélange avec celui de l’épaule qui a beaucoup plus de muscle. Ça pourrait sembler un peu sec pour un pâté en croûte, mais ensuite je lui donne un côté moelleux, vraiment très riche en bouche, avec un jus de viande à base de carcasses et parures. »

COMME DU BEURRE

Et après ? « C’est un compromis, reconnaît

Karen Torosyan. Mais tout repose sur la sélection des morceaux de porc : un bon gras mais jamais de gorge, parce que c’est lourd, ça colle le palais, c’est écoeurant. Plutôt de l’épaule de porc noir de Bigorre ou du porc basque de Pierre Oteiza (Saint-Jean-Piedde-Port), c’est un excellent gras, très au-dessus de la mêlée… Avec le couteau, on peut le tartiner comme du beurre sur ses tartines, ça donne un joli marbré sur la tranche. » La touche de fin ? « Lui chuchoter à l’oreille qu’on a envie de lui ! » Parce qu'on a vraiment envie de le manger tout de suite…

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(Bozar, Bruxelles), en pleine conversati­on avec son pâté en croûte prêt à manger en 48 heures…
Le chef Karen Torosyan (Bozar, Bruxelles), en pleine conversati­on avec son pâté en croûte prêt à manger en 48 heures…

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