Grand Seigneur

ARRÊTEZ LA COKE, METTEZVOUS AU VIN À LA COCA !

-

Le vin Mariani, ancêtre du Coca-Cola tombé dans l’oubli au cours du XXème siècle, fait son grand retour en France. Une histoire incroyable, au casting de laquelle figurent le président bolivien Evo Morales, le neveu de Che Guevara et Christophe Mariani, entreprene­ur corse touché par la grâce.

« Levin de jeunesse qui fait de la vie, conserve la force à ceux qui la dépensent et la rend à ceux qui ne l’ont plus. » Rien que ça. En 1895, Émile Zola adresse ses « mille remercieme­nts » manuscrits à Angelo Mariani, l’inventeur d’une boisson aux vertus, semble-t-il, exceptionn­elles. L’auteur de

Germinal ne sera pas le seul à y goûter, quelque 8 000 personnali­tés feront à leur tour les louanges de ce vin « stimulant » : Jules Verne, le président de la République française Félix Faure, mais aussi William McKinley, son homologue américain, l’inventeur Thomas Edison, ou encore les papes Pie IX, Léon XII, Benoît XV… On en passe, des lettres de reconnaiss­ance signées par des people de l’époque, il y en a quatorze volumes.

Mais quelle substance ce breuvage miracle que l’on déguste partout avec autant d’enthousias­me, peut-il donc contenir ? Du vin de Bordeaux certes, mais surtout de la coca. À l’époque, la découverte de la plante aux substances actives si particuliè­res, exportée de Bolivie ou du Pérou, met le monde scientifiq­ue en émoi. La cocaïne n’a pas encore conquis l’Europe mais Anghjulu Francescu, dit Angelo Mariani,

pharmacien corse installé à Paris, a de son côté depuis 1863 élaboré une décoction à base de feuilles de coca macérées, qu’il appelle French Wine Coca. Le succès dépasse les espérances de ce communican­t avant l’heure, qui aura l’idée de développer l’image de sa marque en mettant à profit la voix des plus grands de ce monde. Aux États-Unis, à Atlanta, un autre pharmacien, John Stith Pemberton, va même jusqu’à copier la formule (il l’avouera lui-même) pour proposer le breuvage outre-Atlantique. En 1885, la Prohibitio­n le contraint à retirer l’alcool, qu’il décide de remplacer par de la noix de cola. Il colore le tout avec du caramel, ajoute des additifs… le Coca-Cola est né.

LÀ OÙ TOUT COMMENCE…

— À l’époque, l’élixir, outre son côté tonifiant, est censé traiter les problèmes digestifs, ainsi que les addictions à la nicotine ou à la morphine. La célèbre boisson gazeuse a poursuivi sa course jusqu’à nos jours, tandis que les ventes du breuvage originel ont entamé leur déclin à partir des années 20, pour se tarir totalement dans les années 60… jusqu’à l’arrivée, il y a quatre ans, de Christophe Mariani.

L’homme n’est ni préparateu­r en pharmacie, ni célébrité, ni même un lointain descendant du chimiste, comme pourrait le laisser entendre son patronyme. Depuis deux ans, il a entrepris de relancer sur le marché le vin Mariani. Et Evo Morales, le président de la Bolivie, se montre fort intéressé par l’initiative…

Tout débute le 1er avril 2014. « Qu’est-ce que c’est que cette histoire de fou, c’est qui ce mec ? Comment ça se fait que l’on ne parle pas de lui en Corse ? » Le 1er avril 2014, Christophe Mariani vient de

découvrir l’histoire du populaire « french tonic wine ». Il n’en revient pas. Quand il raconte « la grande histoire d’Angelo Mariani à travers celle de (sa) petite personne », il rejoue les scènes, reconstitu­e ses propres tirades jusque dans leur intonation.

Plonge ses yeux noirs dans ceux de son interlocut­eur pour s’assurer que ce dernier comprenne bien ce qui se passe. Qu’aucun détail ne lui échappe. Et il précise les dates, car « c’est important,

vous allez comprendre ». Avant cela, petit retour sur son parcours. L’ancien « disc-jockey », pressé de vivre, a quitté l’école à l’âge de seize ans pour s’adonner à la musique, sa passion. Il s’est ensuite consacré à l’organisati­on de tournées musicales à la recherche des « plus belles voix de Corse », sorte de

The Voice version locale, avant de songer, à trente ans, qu’il était temps de se poser.

« JUSTE UNE ÉTIQUETTE SUR UNE BOUTEILLE »

— Il ouvre donc A Casa Corsa, une boutique située face au port de commerce d’Ajaccio, où affluent les vacanciers qui lui achètent des saucissons, du prisuttu (jambon cru affiné ), des canistrell­i (biscuits secs), du vin corse… bref des produits identifiés

« de qualité mais pas trop chers, car on

avait une clientèle de touristes ». Ça marche bien l’été, pas du tout l’hiver. Il pense à proposer sa propre réserve de vin, qu’il pourrait vendre le reste de l’année par correspond­ance, sous forme de paniers garnis. Il trouve la cuvée, ne manque plus que l’étiquette, à orner de la silhouette de Corse ou d’une tête de Maure – « pour plaire à mes clients ». Il faut également songer à un nom. Pourquoi pas « Réserve du vin

Mariani » ? « Tu veux te monter la sega »

(te la jouer ndlr.), lui réplique sa compagne, son précieux soutien. Il sourit, vérifie tout de même sur Internet si un domaine ne porte pas déjà cette appellatio­n. « Je ne suis pas vigneron, moi, je veux juste une étiquette sur une bouteille ». C’est en tapant « vin Mariani » sur le moteur de recherche qu’il a soudain un choc.

UNE INCROYABLE COÏNCIDENC­E... OU PAS ?

— Google ne parle que d’Angelo Mariani, compile des liens sans fin, des centaines d’articles. Les yeux rougis par trois heures d’exploratio­n frénétique sur son téléphone, il se tourne vers sa compagne interloqué­e, et lui demande

la date du jour. « "Tu ne comprends pas ? Angelo Mariani est mort le 1er avril 1914, nous sommes le 1er avril 2014, ça fait cent ans pile poil !" J’en ai pleuré, j’en avais des frissons dans le dos. Je faisais les cents pas dans la maison, je postillonn­ais. “C’est quoi cette histoire ?”» Christophe Mariani, très sensible aux corrélatio­ns des dates anniversai­res entre elles, affiche un côté mystique.

Il explique que, depuis la mort de son père alors qu’il avait trois mois, il a toujours cherché un signe, qu’il avait en lui la soif de quelque chose d’indéfiniss­able. « Je ne sais pas comment le dire, ça me vient du ventre. Je suis convaincu qu’il y a quelque chose, une étoile, une force qui me guide. » Depuis cette nuit-là, il est obnubilé. Pris par le besoin de raconter « l’histoire de ce mec avec cette bouteille ».

La bouteille, il l’a. L’extirpe volontiers d’une valise qu’il transporte toujours

 ??  ?? Coup du destin : quand Christophe Mariani a voulu lancer sa propre cuvée de vin, il a découvert une potion qui portait déjà son nom... vieille de plus de 150 ans.
Coup du destin : quand Christophe Mariani a voulu lancer sa propre cuvée de vin, il a découvert une potion qui portait déjà son nom... vieille de plus de 150 ans.
 ??  ?? L'élixir qui procure « vigueur » et« force » a même valu à Angelo Mariani de recevoir la bénédictio­n des papes.
L'élixir qui procure « vigueur » et« force » a même valu à Angelo Mariani de recevoir la bénédictio­n des papes.
 ??  ??
 ??  ?? Jules Verne avance qu'il vivra« jusqu'en 2700 » grâce au vin Mariani.
Jules Verne avance qu'il vivra« jusqu'en 2700 » grâce au vin Mariani.
 ??  ?? Ci-dessous, le visage du pharmacien qui a su séduire les célébrités de son époque avec sa recette à base de feuille de coca.
Ci-dessous, le visage du pharmacien qui a su séduire les célébrités de son époque avec sa recette à base de feuille de coca.
 ??  ?? Le Pape Léon XIII envoie une médaille à son pharmacien préféré.
Le Pape Léon XIII envoie une médaille à son pharmacien préféré.
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France