Grand Seigneur

C’ÉTAIT TOUT ÇA, OLIVIER MALNUIT

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« On va se le taper encore longtemps, le prof d'allemand ? »

Je me souviens encore de la fois où Olivier Malnuit, flamboyant fondateur de Grand Seigneur disparu en décembre dernier, me lança cette phrase. C'était pour se plaindre d'un secrétaire de rédaction recruté par mes soins pour corriger les fautes d'orthograph­e, pourtant aussi rares que les grands amours, dans les pages du magazine. Un type un peu zélé du Bescherell­e, figé dans sa veste en tweed et sa morgue, picoreur silencieux de carottes râpées à l'heure du déjeuner. Quelques instants auparavant, le bougre lui avait demandé pour la huitième fois de la journée pourquoi il mettait des majuscules aux noms de « produits alimentair­es ». Olivier avait répondu, avec flegme et débonnaris­me* (j'écris ce que je veux, le prof d'allemand), qu'il trouvait ça plus joli d'écrire Camembert avec un –C.

Toute la philosophi­e Malnuit, et son incommensu­rable sens de la formule,

parfois assassine, résumés en une anecdote. L'appétence face à l'indigence, l'empathie face aux intrigues de machine à café, la générosité face aux manoeuvres de bougnat, le Brie de Meaux truffé face au Chou Kale, les baskets à 19 € du boulevard Barbès face aux Berluti, Henry Mancini face à la morosité, le bordel face à la rigueur prud'hommale (et allemande), les chemises façon bâches de chantier face aux costumes cintrés, le dernier coup pour la route face au bouclage maîtrisé, les bouchers face aux anémiés, John Fante face au monde entier…

C'était tout ça (et bien plus), Olivier Malnuit.

L'inventeur du « journalism­e d'appétit », concept fondateur du magazine que vous tenez entre les mains, et le défenseur du manger parfois trop bien, trop riche, trop longtemps. Parce que « l'orgasme en cascades d'un Bleu des Causses avec un verre de Pinot gris, ou l'émotion du Pélardon au Miel d'acacia, c'est comme l'amour à cheval, ça ne s'explique pas, ça se vit ».

* 1 Débonnaris­me : art de se montrer débonnaire, dans San Antonio - Les Huîtres me font bâiller, de Frédéric Dard

THOMAS LE GOURRIEREC, RÉDACTEUR EN CHEF

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