LE COEUR DU SUD
Au centre de l’Inde du Sud, l’État du Karnataka possède à lui seul tous les reliefs du Deccan avec une bande côtière bordée par une chaîne de collines boisées qui se prolonge par le plateau méridional. Le Karnataka, c’est Bangalore, le centre high-tech de
Peu connu en regard de ses voisins, le Kerala et le Tamil Nadu, le Karnataka est pourtant un pays à l’échelle du subcontinent. Avec une superficie de 191 773 km2 et 61 millions d’habitants recensés en 2011, c’est le huitième État de l’Inde, plus grand et plus peuplé que l’Angleterre et le Pays de Galles réunis. L’intérêt du Karnataka ne se limite pas à une superficie ou à une démographie. Son histoire, sa culture et sa langue - le kannada - en font une entité particulière que les connaisseurs considèrent comme l’une des plus remarquables du Deccan. Depuis l’antiquité, le Karnataka est ainsi au centre de puissants empires indiens. Il connaît un âge d’or entre le XIIe et XIVe siècles sous la dynastie des Hoysala, grands bâtisseurs de temples dont les bas-reliefs sont de véritables dentelles de pierres. Vint ensuite le mythique empire hindou de Vijayanagar, qui s’opposa entre le XIVe et XVIe siècles à la domination musulmane avant de tomber sous la coupe islamique pour devenir au XVIIe, le vassal de l’empire moghol. À partir de 1782 commence le règne de Tipu Sultan, le tigre de Mysore, qui choisit de s’allier à Louis XVI pour résister aux Britanniques. Malheureusement pour lui, la France en pleine révolution ne peut le soutenir contre les Britanniques qui lui imposent une cuisante défaite en 1789 où il perd la moitié de son territoire. Les Indiens sont connus pour être des amis fidèles et Tipu Sultan illustra ce trait de caractère en s’alliant une seconde fois avec la France devenue républicaine. Mais là encore, pas de chance, les Britanniques l’emportent et le dernier sultan indépendant est tué le 4 mai 1799 pendant le siège de sa capitale. La principauté de Mysore passe alors sous le contrôle du Raj Britannique jusqu’à devenir, à l’indépendance, l’un des États de la fédération indienne.
UN ÉTAT CONTRASTÉ
L’État de Mysore devient officiellement le Karnataka en 1973 avec des frontières définies selon une unité linguistique. Le kannada est loin d’être un patois local, c’est une langue à part entière qui compte parmi les langues classiques de l’Inde au côté du sanskrit. Elle appartient à la famille dravidienne - le groupe indo-aryen étant l’autre famille linguistique de l’Inde - et possède un alphabet propre dont on trouve les premières traces au IIIe siècle avant J.-C. dans l’édit de l’empereur Ashoka sur le rocher de Brahmagiri. Aujourd’hui, le kannada est la langue officielle de l’État du Karnataka et fait partie des vingt-deux langues de la fédération. Il incarne une culture ardemment défendue par des écrivains dont huit ont remporté le prestigieux prix littéraire indien Jnanpith Award - pour neuf lauréats hindiphones. Il y a tout de même un bémol à cette identité culturelle incarnée par le kannada : au recensement de 2001, un tiers des Karnatakis déclarait une autre langue maternelle. Cela s’explique par la présence de minorités tamoul, marathi, telugu et surtout par les Musulmans urduphone qui représentent environ 11 % de la population. Il faut prendre en compte que ces déclarations linguistiques peuvent être motivées par des convictions politiques en opposition au gouvernement. En 2008, ce dernier est dirigé par le BJP, le parti nationaliste Hindou, mais il est vite accusé par ses opposants de corruption et de ségrégation à l’encontre des non-Hindous, Musulmans et Chrétiens (4 %). Aux élections de 2013, le parti du Congrès, social-démocrate, reprend le pouvoir avec une majorité de 122 sièges sur 224. Les clivages politiques illustrent en fait d’importantes disparités sociales et une tendance centripète de Bangalore, la capitale et cinquième ville indienne, connue dans le monde entier pour être la Silicon valley de l’Inde. Le rayonnement international de Bangalore fait parfois oublier que 65 % de la population est rurale dont un tiers est analphabète et vit sous le seuil de pauvreté. Les efforts pour développer les infrastructures et désenclaver les districts reculés avec, notamment, la construction de 2000 kilomètres de routes, ne peuvent suffire à répondre aux besoins d’un monde rural en difficulté. Ces chiffres sont certes des repères, mais ils ne sauraient exprimer l’expérience du voyageur toujours reçu avec un sourire, et à qui l’on offre souvent le peu que l’on possède.