48heures à Mascate
Cosmopolite et tentaculaire, la capitale du sultanat affiche crânement sa modernité, tout en cultivant son identité. Adossée à la mer et appuyée contre les montagnes, elle distille son architecture islamique entre anciens et nouveaux quartiers. Un mélange
Cosmopolite et tentaculaire, la capitale du sultanat affiche crânement sa modernité, tout en cultivant son identité. Adossée à la mer et appuyée contre les montagnes, elle distille son architecture islamique entre anciens et nouveaux quartiers. Un mélange subtilement mis en scène.
Long liveo ursult an!O man, for ever » ! Des voitures de sport et de gros 4x4 enluminés aux couleurs vertes, blanches et rouges du pays zigzaguent en faisant rugir leurs moteurs dans les rues étroites et manucurées du vieux Mascate. Ce type de comportement n’est toléré qu’en de rares occasions : aujourd’hui, 18novembre, le sultanat fête le 43e anniversaire de sa naissance en tant qu’État moderne (après la prise de pouvoir pacifique du sultan Qaboos Bin Said en 1970, alors âgé de 30 ans), alors nombreux sont les habitants à parader au volant de leurs bolides. Certains ont intégralement tapissé leur véhicule de posters à l’effigie du souverain, ne laissant qu’un cercle de vision de la taille d’une rondelle de saucisson pour pouvoir conduire ! D’autres participent à des « marches de la loyauté », ces parades d’allégeance organisées à travers le pays. On pourrait croire à une surenchère nationaliste, à un culte de la personnalité, mais quand on considère ce que le monarque a accompli en quelques décennies (lire « Lemi ra cleom anais », en introduction) on comprend mieux l’adoration de la population pour son chef éclairé.
À tout seigneur, tout honneur donc. C’est avec Al Alam, le palais du sultan, que nous ouvrons le bal. Situé en front de mer, flanqué sur deux côtés par les forts Jalali et Mirani, on ne l’aperçoit qu’à travers ses grilles frappées du blason du sultanat, couronne et khanjar, la traditionnelle dague recourbée passée à la ceinture, symbole de l’identité omanaise. Derrière des gazons à la perfection anglaise, son entrée est marquée par un curieux pavillon d’opérette, au fronton bleu et doré. De tous côtés, les édifices blancs et modernes de l’administration forment un maillage architectural homogène, compact et peu élevé.
LE PAYS, MAJORITAIREMENT DE CONFESSION IBADISTE, PRÔNE UN ISLAM PURITAIN, MAIS TOLÉRANT
Jusque dans les années trente, on ne parvenait à Mascate que par voie de mer, ou par des sentiers qui franchissaient les reliefs arides. Cette poche exiguë, stratégique mais surchauffée, reste cernée par d’innombrables tours de guet. Muscat signifie d’ailleurs « l’endro ito ul’onjette », en référence au jeté de l’ancre des bateaux. Les voyageurs antiques décrivent un port très prisé, au commerce animé. Jusque dans les années soixante, les maisons n’ayant pas l’eau courante, une noria d’ânes lestés de cruches en cuivre emplies de l’eau du wadi Kabeer franchissait la Bab Saghir. C’était l’une des trois portes perçant la muraille d’enceinte édifiée au temps des Portugais, au XVIe siècle, et dont un roulement de tambour, à la tombée de la nuit, annonçait la fermeture quotidienne. Initialement bâtis en 1527 par les Portugais, sous le nom de Sao Joao et San Capitan, Jalali servit longtemps de prison, avec de sinistres récits de tortures lors de la guerre du Djebel – une rébellion tribale - dans les années cinquante, mais tous deux, interdits
au public, abritent aujourd’hui des garnisons militaires. Mascate, la sixième capitale dans l’histoire du pays après Qalhat, Sohar, Bahla, Nizwa et Rustaq, constitue la principauté d’un gouvernorat.
Aujourd’hui, Mascate désigne aussi bien le vieux coeur historique, minuscule et presque muséographique, que la vaste conurbation s’étirant sur plus de quarante kilomètres, entre Seeb et l’aéroport international en plein boom immobilier, au nord, et les quartiers de Sidab et la marina de Bandar Rowdha, au sud. C’est de cette dernière que l’on embarque pour une virée en mer dans une vedette rapide, afin d’admirer la côte. Sensations toniques : le vent souffle en rafales, des creux de trois à cinq mètres hérissent la surface de l’eau, le bateau s’envole et retombe avec des claquements mats, dans des gerbes d’embruns. À plusieurs reprises, nous apercevons des bandes de dauphins ondulant entre les vagues. Visions fugaces et enivrantes, alors que défilent des récifs tourmentés et une côte déchiquetée, superbe. Revenus sur terre, autre temps fort dans la baie de Muttrah, avec sa route du bord de mer baptisée corniche, sa « Promenade des Anglais » locale et son port en arc de cercle où débarquent plusieurs fois par semaine, en hiver, les paquebots de villégiature. Au mouillage, les yachts du sultan, quelques boutres, et des montagnes noires tombant dans les eaux aigue-marine. Le site ne manque pas d’allure, et là aussi, un fort portugais couronnant un pic surveille la rade, les docks et le terminal gazier. Le souk labyrinthique en reste l’aimant principal. Dans des fragrances d’encens, on musarde d’ateliers en échoppes, presque tous tenus par des Indiens, le long de corridors proprets, qui filent dans toutes les directions. Entre les boniments des camelots et les invitations à entrer, les alcôves brillent de l’éclat mystérieux des cuivres, des ors, et des étoffes précieuses. De l’autre côté du souk, on débouche dans un entrelacs de venelles de plus en plus étroites, montant vers une colline squattée par chèvres et chiens en maraude.
EN CHANTIER PERMANENT, LA CAPITALE EMBELLIT SANS CESSE TOUT EN RAFFINANT SES CANONS ARCHITECTURAUX
Voici enfin l’Oman populaire, authentique et « dans son jus ». Odeurs d’épices, de jasmin, puis de grillades. Enfants espiègles. Femmes occupées à récurer des marmites, hommes en longues tuniques immaculées et calots brodés vous saluant d’un cordial « Salam !» L’appel du muezzin résonne tout près. Quelques silhouettes se pressent vers une mosquée. Au sommet du monticule, on retrouve les senteurs marines, l’horizon s’élargit et le Golfe d’Oman se teinte d’indigo. Magique. Nous suivons ensuite les grands boulevards longeant la côte, un noeud de voies express, avec, d’un côté, un alignement de zones résidentielles de standing, de centres commerciaux et de grands hôtels d’affaires, et de l’autre des coffeeshops, des restaurants indiens et une ribambelle de solides édifices, les ministères flambant neufs, chacun alliant vocation propre et style islamique. Dans le quartier de Qurm, une plage de sable fin bordée de palmiers s’étire jusqu’à plus soif. Plus loin, après le quartier des ambassades, l’usine de désalinisation de l’eau de mer, qui,
avec ses « consoeurs », permet à Oman de produire près de 70% de ses besoins en eau domestique. Seul hic : elles représentent d’énormes investissements et fonctionnent au pétrole, qui reste pour l’instant bon marché, mais plus pour bien longtemps, les réserves étant limitées.
Et pour finir en beauté, le vertigineux spectacle de la grande mosquée du sultan Qaboos, commanditaire du projet en 1992. Vingt mille fidèles peuvent y prier ensemble. Ce vaisseau de marbre blanc inauguré en 2001, après six ans de travaux, est amarré entre les quartiers de Ghubra et Bowshar, à l’ouest de la ville. Ses dimensions gigantesques, son épure architecturale élaborée par un cabinet londonien, sa situation un peu à l’écart, ses splendides jardins ; tout concourt à créer un sentiment de force spirituelle, de grâce éthérée. À l’extérieur, on déambule comme en apesanteur sur des sols lissés reflétant le ciel, entre des parterres de bougainvillées multicolores et des allées de frangipaniers odorants. À l’intérieur, le regard est happé par trois merveilles de raffinement artistique. En l’air d’abord, ses monumentaux lustres de cristal et plaqué or illuminent les lieux. Au sol, ensuite, on remarque la facture exceptionnelle d’un tapis persan de 420m2 d’un seul tenant. Sur les parois, enfin, on note la douceur du camaïeu diffusé par les vitraux façonnés selon les techniques traditionnelles par une entreprise française. Les Français, d’ailleurs, ne furent pas toujours les bienvenus : en 1795, un consul appointé à Paris par décret n’arriva jamais à destination, bloqué en Égypte, puis emprisonné à Constantinople. Nouvelle tentative en 1802, quand Napoléon décida d’instaurer des relations diplomatiques. Mais quand le nouveau consul débarqua à Mascate, quelques mois plus tard, une nouvelle guerre avait éclaté contre les Anglais. Il dut d’abord patienter 10 jours sur son bateau, que le sultan, parti régler un conflit tribal, revienne. Pour se faire expulser séance tenante, le sultan ayant finalement choisi de négocier avec les Anglais !