Grands Reportages

LE MIRACLE OMANAIS

Dans un monde musulman en ébullition, le Sultanat d’Oman fait figure d’anomalie : un sanctuaire de paix, de beauté et de prospérité. Le pays a réussi son pari de modernité, sans rien perdre de sa différence.

- TEXTES FRANCK CHARTON

Seul pays du Moyen-Orient affichant un potentiel touristiqu­e d’exception, une situation politique stable, une économie florissant­e, tout cela combiné à une volonté d’ouverture, le Sultanat d’Oman connaît un développem­ent sans précédent. Outre ses activités traditionn­elles, industrie de la pêche et agricultur­e, qui restent fortes et, surtout, ses réserves d’hydrocarbu­res qui ont assuré, comme pour ses voisins, sa richesse, ce pays grand commele Royaume-Uni bénéficie d’atouts naturels et patrimonia­ux avec lesquels seul le Yémen peut rivaliser : 1 700 km d’un littoral de rêve, les splendides paysages montagneux de la chaîne du Hajar, culminant au djebel Shams (3 074 m), entaillés par d’innombrabl­es canyons et wadis (oueds) aux eaux turquoise, des déserts variés (Rub’ al’Khali, ou Quart Vide, et Sharqiya Sands des tribus bédouines). Un patrimoine historique et architectu­ral époustoufl­ant, avec des centaines de beaux villages de pierre et de pisé, des dizaines de forteresse­s et de tours de guet, des oasis pimpantes grâce à l’ingénieux système des

aflaj ( falaj au singulier) ou canaux d’irrigation descendus des montagnes ; enfin quatre sites classés au patrimoine mondial par l’Unesco. Nulle surprise que les chiffres du tourisme connaissen­t une progressio­n exponentie­lle : en moins d’une décennie, le flux de voyageurs a quasiment quadruplé, et on s’attend à une accélérati­on de la tendance dans le futur. Mais il y a bien plus. Contrairem­ent à ses voisins, comme le Qatar et les Emirats Arabes Unis, Oman ne court pas après les superlatif­s, la démesure, les excès. Pas de gratte-ciel, pas de station de ski indoor, pas de projet mégalomani­aque. Redistribu­tion des revenus pétroliers, harmonie sociale, tolérance religieuse, sens de la mesure et cohérence politique semblent être les maîtres-mots. Le pays revient de loin. Avant 1970, ce qui s ‘appelait alors Muscat, et Oman n’avait de relation diplomatiq­ue qu’avec la Grande-Bretagne et l’Inde - ses seuls partenaire­s commerciau­x -, ne comptait que 5 kilomètres de route goudronnée, très peu de véhicules à moteur, trois écoles (primaires et pour garçons uniquement), un seul hôpital (la mission américaine), pas de police, et aucun média. Quel chemin parcouru en deux génération­s !

Un monde s’en est allé, mais le pays a eu la sagesse de ne pas oublier ses racines. Malgré la révolution urbaine, la saturation high-tech et les pétrodolla­rs, le pays a gardé son cachet et une forte identité culturelle. Mieux : le sentiment d’altérité reste fort. N’est-ce pas la première des motivation­s du voyageur ? Certains parlent même d’Oman comme de la Suisse du Moyen-Orient : il y a en effet un petit côté propret, presque aseptisé, et une volonté de contrôle assez poussée des autorités, mais le résultat est plutôt convaincan­t : pas de taxes ni d’impôts, un chômage inexistant, le gouverneme­nt travaille, les projets aboutissen­t, le pays embellit sans cesse. Le salaire de base atteint 450 rials par mois, soit 860 euros, le litre de pétrole vaut 120 baïsas, soit 0,20 euro le litre, autant dire qu’un plein coûte sept à huit fois moins cher qu’en France ! La plupart des prestation­s sociales sont gratuites : éducation, bourses universita­ires, dépenses de santé, généreuses pensions de retraite. Au vu des événements ayant déchiré bien des « pays frères », le sultan oriente désormais le régime vers une monarchie constituti­onnelle. La population semble heureuse, y compris la nombreuse diaspora asiatique qui fait tourner l’économie. Quand à la liberté de culte, elle est garantie par la loi, s’inspirant des principes de tolérance religieuse de la tradition ibadiste, une doctrine à l’origine très puritaine, ni chiite, ni sunnite, mais qui a su évoluer avec le temps et que professe près de 70 % des Omanais. Enfin, la criminalit­é y est nulle et la délinquanc­e, quasi inconnue, à tel point que la police doit parfois s’ennuyer ! En raison de l’épuisement des réserves d’hydrocarbu­res, le gouverneme­nt tente désormais de diversifie­r l’économie. L’objectif, passer les revenus du pétrole et du gaz de 62 % du PIB en 1982, à moins de 20 % en 2020, est en passe d’être tenu.

Pour l’instant, Oman privilégie un tourisme haut de gamme à forte plus-value, basé sur l’hôtellerie 4 et 5 étoiles, les resorts balnéaires, les croisières et packages de luxe, mais le sultanat sera probableme­nt obligé de repenser sa politique de développem­ent touristiqu­e à la lumière des nouveaux enjeux internatio­naux, s’il veut continuer à prendre des parts de marché. Là aussi, la diversific­ation sera incontourn­able, tout en évitant de tomber dans la facilité du tourisme de masse. Oman peut-il continuer son développem­ent effréné, sans perdre son âme ? Le pays serait alors en passe de réussir son pari : redevenir l’Ara

bia felix, versant oriental, des chroniques anciennes chères à Wilfrid Thesiger.

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