LE MIRACLE OMANAIS
Dans un monde musulman en ébullition, le Sultanat d’Oman fait figure d’anomalie : un sanctuaire de paix, de beauté et de prospérité. Le pays a réussi son pari de modernité, sans rien perdre de sa différence.
Seul pays du Moyen-Orient affichant un potentiel touristique d’exception, une situation politique stable, une économie florissante, tout cela combiné à une volonté d’ouverture, le Sultanat d’Oman connaît un développement sans précédent. Outre ses activités traditionnelles, industrie de la pêche et agriculture, qui restent fortes et, surtout, ses réserves d’hydrocarbures qui ont assuré, comme pour ses voisins, sa richesse, ce pays grand commele Royaume-Uni bénéficie d’atouts naturels et patrimoniaux avec lesquels seul le Yémen peut rivaliser : 1 700 km d’un littoral de rêve, les splendides paysages montagneux de la chaîne du Hajar, culminant au djebel Shams (3 074 m), entaillés par d’innombrables canyons et wadis (oueds) aux eaux turquoise, des déserts variés (Rub’ al’Khali, ou Quart Vide, et Sharqiya Sands des tribus bédouines). Un patrimoine historique et architectural époustouflant, avec des centaines de beaux villages de pierre et de pisé, des dizaines de forteresses et de tours de guet, des oasis pimpantes grâce à l’ingénieux système des
aflaj ( falaj au singulier) ou canaux d’irrigation descendus des montagnes ; enfin quatre sites classés au patrimoine mondial par l’Unesco. Nulle surprise que les chiffres du tourisme connaissent une progression exponentielle : en moins d’une décennie, le flux de voyageurs a quasiment quadruplé, et on s’attend à une accélération de la tendance dans le futur. Mais il y a bien plus. Contrairement à ses voisins, comme le Qatar et les Emirats Arabes Unis, Oman ne court pas après les superlatifs, la démesure, les excès. Pas de gratte-ciel, pas de station de ski indoor, pas de projet mégalomaniaque. Redistribution des revenus pétroliers, harmonie sociale, tolérance religieuse, sens de la mesure et cohérence politique semblent être les maîtres-mots. Le pays revient de loin. Avant 1970, ce qui s ‘appelait alors Muscat, et Oman n’avait de relation diplomatique qu’avec la Grande-Bretagne et l’Inde - ses seuls partenaires commerciaux -, ne comptait que 5 kilomètres de route goudronnée, très peu de véhicules à moteur, trois écoles (primaires et pour garçons uniquement), un seul hôpital (la mission américaine), pas de police, et aucun média. Quel chemin parcouru en deux générations !
Un monde s’en est allé, mais le pays a eu la sagesse de ne pas oublier ses racines. Malgré la révolution urbaine, la saturation high-tech et les pétrodollars, le pays a gardé son cachet et une forte identité culturelle. Mieux : le sentiment d’altérité reste fort. N’est-ce pas la première des motivations du voyageur ? Certains parlent même d’Oman comme de la Suisse du Moyen-Orient : il y a en effet un petit côté propret, presque aseptisé, et une volonté de contrôle assez poussée des autorités, mais le résultat est plutôt convaincant : pas de taxes ni d’impôts, un chômage inexistant, le gouvernement travaille, les projets aboutissent, le pays embellit sans cesse. Le salaire de base atteint 450 rials par mois, soit 860 euros, le litre de pétrole vaut 120 baïsas, soit 0,20 euro le litre, autant dire qu’un plein coûte sept à huit fois moins cher qu’en France ! La plupart des prestations sociales sont gratuites : éducation, bourses universitaires, dépenses de santé, généreuses pensions de retraite. Au vu des événements ayant déchiré bien des « pays frères », le sultan oriente désormais le régime vers une monarchie constitutionnelle. La population semble heureuse, y compris la nombreuse diaspora asiatique qui fait tourner l’économie. Quand à la liberté de culte, elle est garantie par la loi, s’inspirant des principes de tolérance religieuse de la tradition ibadiste, une doctrine à l’origine très puritaine, ni chiite, ni sunnite, mais qui a su évoluer avec le temps et que professe près de 70 % des Omanais. Enfin, la criminalité y est nulle et la délinquance, quasi inconnue, à tel point que la police doit parfois s’ennuyer ! En raison de l’épuisement des réserves d’hydrocarbures, le gouvernement tente désormais de diversifier l’économie. L’objectif, passer les revenus du pétrole et du gaz de 62 % du PIB en 1982, à moins de 20 % en 2020, est en passe d’être tenu.
Pour l’instant, Oman privilégie un tourisme haut de gamme à forte plus-value, basé sur l’hôtellerie 4 et 5 étoiles, les resorts balnéaires, les croisières et packages de luxe, mais le sultanat sera probablement obligé de repenser sa politique de développement touristique à la lumière des nouveaux enjeux internationaux, s’il veut continuer à prendre des parts de marché. Là aussi, la diversification sera incontournable, tout en évitant de tomber dans la facilité du tourisme de masse. Oman peut-il continuer son développement effréné, sans perdre son âme ? Le pays serait alors en passe de réussir son pari : redevenir l’Ara
bia felix, versant oriental, des chroniques anciennes chères à Wilfrid Thesiger.