CÔTÉ VILLE
Une large façade maritime et une longue tradition commerçante et sucrière font de Saint-Pierre l’une des plus intéressantes et des plus actives communes réunionnaises. Ce n’est pas pour rien qu’on la surnomme la capitale du sud...
CRÉÉE EN 1735, LA TROISIÈME VILLE DE L’ÎLE BÉNÉFICIE DE SON PASSÉ PROSPÈRE
Pour devise fortis fortuna fortior - la force fortifie la fortune. Pour armoiries, trois clés d’or. Capitale du sud, Saint-Pierre assume bien son nom. Créée en 1735, la troisième ville de l’île fanfaronne sur son passé prospère et promet des lendemains ambitieux. Pour l’heure, elle concentre son animation autour d’un sage damier, et convoque l’Histoire à travers celle de ses quartiers. Alors on part du centre-ville, arpentant la rue commerçante des Bons-Enfants, et l’on s’égare, de droite et de gauche, remontant les siècles, sautillant de l’hôtel de ville - ancien entrepôt à café de la Compagnie des Indes - à l’actuelle sous-préfecture - villa bourgeoise à peine retouchée depuis 1820 - en passant par la gendarmerie, la villa Adam de Villiers, vieille de 250 ans. Derrière les grilles des jardins privés, on tente de deviner les frontons des villas cossues de la rue Leblond. Un brouhaha aux accents enchanteurs ; du lundi au samedi, c’est jour de marché sous l’immense kiosque au toit métallique. Odeurs d’épices, légumes méconnus, fruits colorés et artisanat soigné, souvent malgache, rassemblent les chalands. Une mélopée, on tend l’oreille. C’est l’appel à la prière de la mosquée, une des plus grandes de l’océan Indien à cinq minutes de là. Il faut savoir s’éloigner un peu, pour flairer les quartiers populaires. Au nord, Ravine Blanche. Elle fut un peu le laboratoire d’essai des logements collectifs des années soixante-dix. Ils frayent toujours avec le charme sur- anné des cases en bois sous tôle. On oublie le temps pour photographier les couleurs pastel de l’un des deux temples tamoul, écouter les commères qui se réunissent encore parfois autour du lavoir de Casabona. Pour discuter et rire, certes, mais aussi pour laver tapis ou draps ! Pour un peu et on oublie le siècle. On est samedi. Alors, forcément, on se rend au marché forain, plus étendu que celui du centre, tout aussi coloré ; et l’on croque avec gourmandise un samoussas croustillant, on avale goulûment une eau de coco à peine tranchée au sabre. Un peu plus au nord encore. C’est son passé qui inscrit Pierrefonds dans la commune. Un passé de sucre qui finit dans l’amertume. Car c’est ici que fut érigée la première usine sucrière, dans les années 1820. Fleuron de l’architecture agroindustrielle de La Réunion, le site concentrait une grande part de la production de canne au sud de l’île. Tour à tour prospère et moribonde, l’usine ferme définitivement ses portes en 1970. Certains partent chercher du travail ailleurs. D’autres se résignent. Si on admire les anciennes cases à la rénovation bien léchée, c’est l’esprit chagrin que l’on dédaigne, en face, les maisons résidentielles sans grand charme. Le quartier, plutôt tranquille, frémit de ses projets. La municipalité a en effet racheté l’usine il y a une vingtaine d’années. Les cinq hectares, classés au patrimoine des Bâtiments de France, font depuis l’objet d’un programme de développement urbain destiné à intégrer la population et faire une place à l’art contemporain.
SAINT- PIERRE C’EST AUSSI, C’EST FORCÉMENT, LA MER ET SON GRAND LAGON
Cernée par les champs de canne à sucre, c’est pourtant au café que Saint-Pierre doit sa naissance. Et à un cours d’eau providentiel, la rivière d’Abord. Jusqu’au XVIII e siècle, l’endroit n’est que savane désordonnée. Abri naturel pour les embarcations, le lieu permet d’embarquer ce café bourbon que la Compagnie des Indes Orientales exportait vers la métropole. Source d’eau douce, auquel on adjoint un canal artificiel permettant d’irriguer toutes les plaines fertiles alentours, le quartier se forme et devient Terre Sainte, du nom d’un arbre aujourd’hui disparu, le boisde-sinte. Une forêt de paillotes, des cases en bois, puis en dur, toujours coiffées de tôle. S’y fixent et s’y mêlent sans façon, créoles, petits blancs et malbars. L’en clave contraste avec l’agitation du centre. Surnommée Le village de pêcheurs, une partie de Terre Sainte est toujours cette parenthèse tout en façades fatiguées, venelles piétonnières on l’on se salue volontiers, escaliers alambiqués. Sur la petite plage au grossier sable blanc, on croise un piqueur de zourites qui rentre avec sa pêche. Des marins burinés tirent une pirogue au sec en ahanant. Quelques chauffegalets, - joli surnom de poivrots inoffensifs - finissent de cuver leur bière. À l’ombre d’un banian, des gramounes font sèchement claquer leurs dominos. L’image d’Épinal existe bien, tempérée par une évolution architecturale désordonnée. Avec les années soixante-dix, les premiers habitats collectifs envahissent les hauteurs de Terre Sainte. Apportant avec eux l’eau courante et une réputation pas toujours favorable. Les pêcheurs, acculés à la pauvreté, cèdent le pas à une émigration comorienne et mahoraise. Aujourd’hui, pourtant, comme à Pierrefonds, les
zoreysbobo s’entichent du charme des cases de Terre Sainte. Saint-Pierre se hume également, lorsqu’on fait un tour, instructif et parfumé, dans le domaine du Café grillé : quatre hectares consacrés aux principales cultures et à la flore emblématique de l’île. D’ailleurs, avec un peu de temps, on va du côté de Montvert Les Hauts : des champs tout en longues feuilles vert tendre autrefois séchées et tressées par les femmes pour en faire des capelines et des paniers, et toujours utilisées en parfumerie : le vétiver est une denrée aussi précieuse qu’enivrante. Mais Saint-Pierre c’est aussi, c’est forcément, la mer. Avec elle, ses falaises qui murmurent des légendes de flibustes, de trésors enterrés. Et surtout, une longue plage de sable, protégée par un récif corallien, et très fréquentée tout au long de l’année. On reviendra vers le centre, on musardera vers le port le soir venu. Camion-bar - cela fait bien longtemps que les food trucks existent à La Réunion pour un en-cas roboratif et bon marché ou terrasses pour un voyage culinaire en créolie.