CÔTÉ FÊTES
Malbars, Zarabes, Chinois, Karanes, Zoreys, Yabs… des noms qui chantent toute la variété de la population réunionnaise. Avec pour conséquence : multiplier les opportunités de faire la fête.
ON DANSE, ON CHANTE, ON JONGLE ; PERCUSSIONS ET TAMBOURS ENTREMÊLENT LEURS TIMBRES
Le carnaval, c’est mardi Gras. Enfin, pas toujours. En tout cas, pas à La Réunion. Ce jour s’accompagne bien de quelques poignées d’enfants déguisés, mais aucune manifestation digne de ce nom ne marqua l’île avant juin1997 ! L’initiative vint d’un groupe d’artistes, la Compagnie Pôle Sud. Le but ? Secouer un peu Saint-Gilles-LesBains, ronflotant de son tourisme balnéaire, et redorer le blason de Zoreyland auprès de la population. Le Grand Boucan fit ainsi suffisamment de bruit pour faire oublier sa jeunesse et s’inscrire dans les événements pérennes, drainant plus de 20 000 spectateurs aujourd’hui. Une belle journée de juin. Une heure avant le défilé, la rue principale est abandonnée aux piétons. À 14heures, tanguant du haut de son siège, tiré par un boeuf, sa majesté le Roi Dodo précède une dizaine de chars bigarrés et un millier de participants : on danse, on chante, on jongle, percussions et tambours entremêlent leurs timbres. Le cortège serpente, divague, ralentit, s’étire pour finir à la plage des Brisants. Là, s’achève la courte vie du roi Dodo. Brûlé vif, il se consumera sur fond du feu d’artifice qui embrase le port. La nuit ne fait que commencer, les concerts vont s’enchaîner. Au fait, pourquoi un carnaval en juin ? Juste pour éviter la saison des pluies ! Autre fête, à avoir pris de l’ampleur attirant des milliers de curieux à Saint-André : le Dipavali. Étape du calendrier lunaire hindou marquant le passage de l’obscurité à la lumière, elle a lieu en octobre ou novembre. Les festivités durent normalement cinq jours - chacun évoquant un épisode mythologique précis – mais en pratique, le Dipavali égaye la ville pendant dix jours. Le parc du Colosse se convertit en véritable village indien, ambiance Bollywood et parfums sucrés inclus. Le tambour donne le top départ du très attendu holi ; vêtus de blanc, les participants se mettent à courir en tous sens en lançant des pigments colorés : la vitalité du bleu, l’amour du rouge, l’harmonie du vert, l’optimisme du orange sacrent le printemps austral. Le jour décline, prélude à l’ultime parade, tout en chars brillamment illuminés et danseurs aux tenues chatoyantes, roulements de tambours et crachotements de hautparleurs. Parmi les fêtes musulmanes les plus suivies sur l’île figure Aïd al-Adha, en mémoire du sacrifice d’Abraham. Si, en France métropolitaine, les musulmans sacrifient un mouton, les Zarabs de La Réunion – descendants d’Indiens arrivés sur l’île au XIXesiècle - optent pour un boeuf, denrée beaucoup moins rare. C’est ainsi que, quelques jours avant la date, des camions descendent de la plaine des Cafres, sillonnent l’île et déposent devant une case cossue ou à l’entrée d’un garage, un boeuf. Il est tiré hors du camion, tourné, guidé. Ça crie, ça rit, ça se bouscule, ça commente. Du nombre de spectateurs et de leurs vociférations dépend l’agitation de l’animal. Un cri de trop, et l’impressionnante masse de muscle s’affole, tente de s’échapper. Entouré, agrippé, il est alors solidement attaché. Le soir venu, la famille, les amis, les voisins et co-acheteurs viennent
S'IL N’Y AVAIT QU’UNE DATE À RETENIR POUR LES RÉUNIONNAIS, CE SERAIT LE 20 DÉCEMBRE…
contempler la bête – car on se cotise souvent pour un tel achat. On admire sa stature, on apprécie son poids et on spécule sur sa valeur ; il n’est pas rare en effet que le prix excède les 10 000 euros. Une fois tué, parfois à l’abattoir, souvent dans l’arrière-cour par un sacrificateur officiel, il sera partagé selon la tradition. Même s’il se murmure que plus que la fraternisation, l'Aïd al-Adha permet surtout aux plus aisés d’affirmer leur statut social ! On connaît tous le nouvel an chinois, moins l’hommage à Guan Di, une des divinités les plus populaires de la religion chinoise. Visage rouge, vêtements verts et barbe de vieux sage, Guan Di fut d’abord, en version terrestre, Guan Yu, un général chinois au courage exceptionnel, à la loyauté exemplaire. Ses hauts faits de guerre lui permirent d’accéder à l’état de dieu. Son anniversaire est célébré depuis plus d’un siècle à La Réunion, mais ce n’est que depuis dix ans - lors de l’Année de la Chine en France - que la manifestation a dépassé la sphère de sa seule communauté d’origine. Il a son temple à Saint-Pierre, mais c’est surtout Saint-Denis qui célèbre cinq jours durant sa naissance, le 24e jour du 6e mois du calendrier soli-lunaire chinois ; défilés de lions et de dragons, danses rituelles, spectacles d’acrobates, démonstrations d’arts martiaux entrecoupent joyeusement les cérémonies officielles. Mais attention, la version grand public n’a désormais lieu que tous les deux ans. Prochain anniversaire en 2015. Mais s’il n’y avait qu’une date à retenir pour tous les Réunionnais, parions que ce serait le 20 décembre. Si la Révolution française supprime l’esclavage en 1794, il faudra attende 54 ans pour que cela devienne effectif à La Réunion, les colons rechignant à perdre une main-d’oeuvre si précieuse. C’est Sarda Garriga, nommé commissaire général de la République par Victor Schoelcher qui mettra enfin le décret en application sur l’île, permettant à plus de 60 000 esclaves d’accéder à la liberté. Alors, chaque 20 décembre, on célèbre donc l’abolition de l’esclavage. Une occasion de plus, une occasion pourtant unique de se réunir autour d’un plantureux repas, mais surtout de partager sur toute l’île, cette fèt kaf. Il n’est d’ailleurs pas rare que les festivités débutent la veille, enchaînant dégustations culinaires, combats de coqs, projections et conférences sur l’histoire de l’île. Lancinants, entraînants, omni-présents, les rythmes du roulèr (un tambour joufflu) et du
kayanm - hochet en forme de planche - racontent le maloya, le chant des esclaves. On se gave de gato
lontan’, madeleines de Proust version locale, avant d’assister au défilé aux flambeaux et au spectacle pyrotechnique. La nuit est là, place aux kabars, des bals qui ne mourront qu’à l’aube en même temps que les feux de camp.