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SUCRE, RHUM ET MAINTENANT BIOCARBURA­NT, LA CANNE EST DANS TOUS SES ÉTATS

- La culture de la canne occupe 60% de la surface cultivée réunionnai­se : près de 50 000 hectares ou quatre fois la superficie de Paris. La plupart des exploitati­ons ne font que quelques hectares. © Bertrand Rieger/Hemis.fr Plusieurs musées (ici le Stella M

gros rouleaux verticaux comme les piliers d'un temple ; et vous traînerez un jour ou l'autre derrière un « cachalot » - immense semi-remorque en charge de la mener à l'usine. Pourtant, en raison du relief, une grande partie de la canne est encore collectée comme autrefois, avec le sabkann, la redoutable machette à lame renflée. Un « coupeur » abat chaque jour ses 5 tonnes. L'ancienne tâche des esclaves, puis des « engagés » venus d'Inde après l'abolition, embauchés pour dix ans - et mourrant au bout de cinq. Pareilleme­nt, c'est souvent le char à deux boeufs qui emporte les tiges, cahotant sur les chemins pierreux, bourbeux, poussiéreu­x qui déroutent les tracteurs. Moulins à boeuf, à vent, à eau, à vapeur, parfois à b ras d'homme : toutes les énergies ont été essayées pour faire tourner les rouleaux impitoyabl­es arrachant le jus frais. Le cruel instrument porte un nom : fangourin. On l'arrose d'eau bouillante, et le liquide retombe dans des bassins en un visqueux vesou. Le reliquat, la bagasse, partira en fumée noire pour actionner les machines, car rien ne se perd ! Du vesou, les ouvriers ôtent alors les écumes que forment les gaz : le vesou est déféqué, dit-on de manière peu ragoûtante - pour être ensuite chauffé afin de le réduire - et l'on parle alors… d'égout ! De microscopi­ques impuretés provoquent la formation de jolis prismes blancs, qu'on isole à la centrifuge­use. Le sucre est né. Il n'a plus qu'à être conditionn­é ; en morceau, en sac, en sirop, blanc, brun, roux… en tout, La Réunion produit plus de 200 000 tonnes. Avant 1815, la canne ne servait pas au sucre, mais à l'alcool, l'arack, le tafia, le rhum, pour employer les noms variés qu'il prend ici, sans oublier la guildive - de l'anglais killdevil, le tue-diable ! Et pour assommer les pauvres diables des tranchées de 1916, l'île a pu produire jusqu'à 2 millions de litres. Dans de rares cas, c'est du jus de canne pur : suivant l'exemple de la Martinique, on parle alors de rhum agricole. Mais en général, c'est la mélasse, déchet du sucre, qui est utilisée. On la mélange à de l'eau et des levures. Elle devient du vin, à 6° alcoolique­s. Puis le vin est placé dans l'alambic. Le bouilleur ouvre l'oeil : le liquide doit être chauffé à 80°, pas plus, pas moins, pour séparer sans retour l'eau de l'alcool. Après des passages complexes, on obtient un liquide transparen­t et chaud, de 60-65° : le rhum. Il sera mis en bouteille ou mis à vieillir dans d'anciens tonneaux, quoique, dans l'île, on n'est jamais aussi fier que de produire, à coups d'épices, à coups de fruits, les fameux rhums arrangés. Ici, dans certains cafés, vous verrez les étagères chargées de dizaines de saveurs différente­s. Avant l'ère touristiqu­e, la canne a été le seul vrai moteur du développem­ent de Bourbon, puis de La Réunion. 47 % des terres sont encore plantées de ce curieux roseau. Pendant les cinq mois de récolte, la bagasse fournit déjà aux insulaires 10% de leur électricit­é. Et on parle à présent de biocarbura­nts.

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