CARAÏBES MONTSERRAT
Confetti volcanique au nord de la Guadeloupe, Montserrat abrite les Monts de la Soufrière, le volcan le plus actif de la Caraïbe. Plusieurs éruptions ont dévasté quasiment toute la partie sud de l’île, ainsi que la capitale, causant l’exode des trois quarts des habitants. Malgré tout, Montserrat tente de se reconstruire, dans un paysage lunaire soumis aux variations d’un volcan qui n’en fait qu’à sa tête.
Qu’est-cequec’estqueceremue-ménageaujar din,lesenfants?Vous voyezbienqu’ilfaitencorenuit,alors jouez calmement s’il vous plaît ! », s’écrit Laura Taylor, une habitante, depuis l’embrasure de la porte. « Maismaman,lanuitestfinie,
c’estle matin, voyons… » D’un regard circulaire, Laura prend alors la mesure de cette lumière noire et enveloppante. Irréelle. Inconnue. Mouvante. Nous sommes le 18 juillet 1995 et le volcan des Monts de la Soufrière s’est réveillé. Plymouth, capitale souriante nichée sur ses contreforts ouest, est en ébullition : des coulées pyroclastiques se sont produites et il faut évacuer certains quartiers. Un bouleversement populaire est en marche après tant d’années de bien-être nonchalant. L’écrasante majorité des 12 000 Montserratiens de l’époque habite la capitale et ses alentours – sous l’oeil du volcan - en raison de la fertilité des terres qui contraste avec les étendues plus sèches, rocailleuses, presque désertiques, du nord de l’île. Un mois plus tard, la première explosion phréatomagmatique provoque l’apparition d’un dôme de lave andésitique après dix-huit semaines d’intense activité. Panique générale à l’aéroport où tous affluent pour se faire une place à bord d’un avion.
Certains tentent même de fuir par la mer. « Je garde en mémoire cecouple, particulièrement malchanceux,partisurunbateauquiesttombéen pannedemoteurdanslanoirceursulfureused’une nuit de chaos.La confusion étant totale sur les destinationsempruntéesparchacun,personnene lesrecherchaetilssontrestésàdériverdeuxjours durantavantqu’unpêcheurnelesrepèreparhasard.Faceàl’effroidequitterunesituationapocalyptique pour une pis enc ore,la jeune femme
rapatriéeenaperdularaison », soupire Laura. Si une période d’accalmie de près d’un an s’en suit, elle est entachée de deux éruptions majeures, dont celle du 25 juin 1997 qui ravage définitivement l’aéroport international W. H. Bramble à l’est, enseveli sous une coulée pyroclastique. Le paysage de bord de mer y est lunaire. Il ne subsiste aujourd’hui qu’une incroyable tour, vestige d’une distillerie de rhum datant du XVIIesiècle bâtie - ironie du sort – dans une mosaïque de roche volcanique. « J’entendsencorelefracasdesprojections éruptivessur notre toit de taule », se souvient
Scotty, le mari de Laura. « Nouscourionsdetous lescôtésàlarecherchedeplaquesdecontre-plaqué pour protéger les pare-brise des voitures. Certains fragments lors de ces pluies de roches
« J’ENTENDS ENCORE LE FRACAS DES PROJECTIONS ÉRUPTIVES SUR NOTRE TOIT DE TAULE. »
étaient groscomme le poing. » Début août 1997, une série d’éruptions sonne le glas de Plymouth. Pompéi des temps modernes, elle est ensevelie à 80 % sous les cendres, ses habitants contraints à l’abandon. L’exode vers l’étranger ou le nord de l’île, protégé des affres volcaniques par les vents et les volcans dormants des Center Hills, est soudain. À peine un quart des Montserratiens vit toujours sur l’île, tandis que la diaspora s’égrène à travers le Commonwealth, l’Amérique du nord ou l’Europe. « Leplusdurpournous, confie Laura, c’est que nousn’avonsjamaispufaireledeuilde‘’notrevie d’avant’’. » À l’époque des premiers signes de réveil du volcan, il n’y a pas encore d’études scientifiques sophistiquées sur le sujet, comme celles menées de nos jours par l’Observatoire Volcanique de Montserrat et tous peuvent aller et venir librement pendant encore environ un an. « Lejouroù il a fallu évacuer, nous avons pris le minimum d’affairesetsommes partis nous mettreà l’abri danslenord.Personnenesavait.NilesAutorités. Ni les scientifiques.Encore moins la population. Nousavonsbasculédansl’inconnu,pensantque nouspourrionsrevenirquelquesjoursplustard, lorsquelevolcanseseraitcalmé…Cesquelques joursdurentmaintenantdepuis17ans!Sid’autres ontpulefairegrâceàlacréationdevoiesd’accès defortuneparlegouvernement,jen’aipourma partjamaispurevoirmamaison,niretrouvermes affaires,disparuessouslescendresdanslazone d’exclusion totalement fermée au public. Nous n’avons rien choisi, nous avons tout subi : nous n’avonspaschoisilebonmomentpourpartir,nous n’avons pas non plus choisi l’endroit où refaire notre vie. Lepeu de personnes qui habitaient lenordnousaaccueillisgentiment,pensantelles aussi que la situation serait temporaire.Mais au fil des semaines,des mois, puis des années,
SI MONTSERRAT RESSEMBLE À UNE PETITE ÎLE, NE VOUS Y TROMPEZ PAS : C’EST UNE PLANÈTE À ELLE SEULE
des frictions sont apparues faceà une situation quin’avaitplusriendetemporaire. Sinousavions su,nousaurionspeut-êtrepunousorganiser. » L’Observatoire, en accord avec un comité gouvernemental, fixe quotidiennement le niveau de risque volcanique (de 1 à 5), ce qui peut entraîner des restrictions d’accès, voire le bouclage de certaines des cinq zones découpant les deux tiers sud de Montserrat. La zone V embrassant Plymouth, le volcan et la moitié sud de l’île reste une zone d’exclusion totale où seuls les scientifiques sont habilités à pénétrer. Le taux de dioxyde de soufre au niveau du sol y est régulièrement contrôlé, notamment aux alentours de Plymouth où un nuage toxique émane constamment du volcan vers les vestiges de la ville. Géoscientifiques, électroniciens et techniciens scientifiques sont héliportés sur les zones d’études : on ausculte les déformations du sol à l’aide de positions GPS pour mesurer sa résistance et le renflement qui se produit pendant une éruption. Les observations de taille et de conditions du dôme sont elles aussi capitales : elles sont fondées sur des données radar satellite et des images de caméras optiques et thermiques, prises d’hélicoptère ou de positions fixées au sol. L’acidité de l’eau de pluie, souvent très importante, fait l’objet de relevés. Une information capitale pour les agriculteurs : les pluies acides récurrentes sont le principal fléau auxquels ils doivent faire face. Une seule d’entre elles peut anéantir des récoltes entières, rendant les terres impropres aux cultures pendant parfois plusieurs mois, jusqu’à ce qu’elles soient lavées par de nouvelles pluies saines. « Depuisleurréveilen1995,lesMontsdela Soufrièreontconnucinqphasesd’activitéentrecoupéesdepériodesdepause, explique le volcanologue Paul Cole, directeur de l’Observatoire. Le 28juillet2008parexemple,sanssigneprécurseur, uneviolenteexplosionagénéréunecolonnede cendreshautede12000mètres,quiatotalement
paralysé le trafic aérien régional jusqu’à Porto Rico pendant plusieurs jours.La dernière explosion majeure en date s’estproduite le 11 février 2010.Elleaprovoquédesnuéesardentesetunpanache de cendresqui a couvert la Guadeloupe, Saint-MartinetSaint-Barthdeplusieursmillimètresdecendres.Nousnesavonspasdireactuellementsilevolcanestenphasedesommeilous’il
estsimplementen pause… » Conscient de ce risque d’impact sur les îles alentours, l’Observatoire travaille depuis 2008 en étroite collaboration avec le Centre de Recherche Sismique de Trinidad et Tobago, l’Institut de Physique du Globe de Paris et l’Observatoire de la Guadeloupe, cette dernière redoutant particulièrement un risque de tsunami sur ses côtes à la suite d’une future éruption. Où l’Homme s’efface, la Nature reprend sa place. « Levolcanestlà.Maisilestloin.Toutestvertvu d’ici,onnevoitplusles coulées, nous sommestrop loin.Noussommessortisdecespériodesoùnous nous levions le matin en nous disant: Bon, quel tournousréservele volcanau jourd’hui? », ironise Laura depuis les Woodlands où elle a défriché une nouvelle parcelle de terrain pour y construire sa maison familiale. Les nouveaux propriétaires de Plymouth la capitale déchue, de Harris Village,
de Saint Patrick, ou de l’ancien aéroport sont les hordes sauvages de vaches, chèvres, cochons et moutons abandonnés. « Leséruptionsinfluencent aussi les comportements animaux : les orioles –oiseauxnoiretjauned’oremblématiquesdel’île –sesontlongtempsaccoupléssansdonnerd’oisillon, note James Daley, guide naturaliste, alors quedescentainesdepetitessternesaccaparent à présent les coulées pyroclastiques solidifiées
pour leur nidification. » Toujours officiellement privés de capitale, les Montserratiens ont rebâti des quartiers administratifs temporaires à Brades, dans la partie nord, en attendant l’émergence d’une nouvelle capitale sur le site vierge de Little Bay, dont pour l’heure seuls trois bâtiments neufs ouverts au public attestent de ce nouveau rebond : le Centre Culturel, le Musée National, le marché abritant l’Office du Tourisme et un terrain de cricket. Un signe fort qui témoigne de la volonté de relance touristique de l’île, dont les accès ont longtemps été coupés faute d’infrastructures marines ou aériennes. Les acteurs du Tourisme ayant pleine conscience de son incroyable richesse naturelle et historique. Si Montserrat ressemble à une petite île, ne vous y trompez pas : c’est une planète à elle seule…