Retour à Cuba
DE LA HAVANE À SANTIAGO LA GRANDE TRAVERSÉE
Avec le photographe Pierre Hausherr, François Missen - prix Pulitzer et Albert Londres - a parcouru l’île cubaine d’est en ouest pour vérifier que leurs coups de coeur éprouvés depuis plus de trente ans n’ont été ébréchés ni par la periodoespecial, ni l’embargo, ni les dérives d’un tourisme « programmé ». Pour eux, pas de doute : Cuba hastasiempre…
« N’ALLEZ PAS AU LIT, COMPANEROS ! JÉSUS VOUS ATTEND EN SON ÉGLISE ! »
Les serviettes chaudes enserrent le visage de l’homme et dessinent une momie affalée sur un canapé de cuir rouge carmin. La petite musique de la rue, criailleries diverses, aboiements de Médors et échappements libres des motocyclettes ne parviennent pas à couvrir Frank Sinatra qui vous envoie au paradis des crooners avec Moon Lightin Vermont. Ici, c’est le septième ciel ! Ici, calle Teniente Rey, à cinquante mètres de la Plaza Vieja dans la Vieille Havane. En narcose totale sur le fauteuil à bascule Belmont, le client se laisse barbouiller de mousse et ne sent même plus la lame qui effleure et efface une barbe qui rend grâce sous la baguette de Gerardo. Certains disent de lui qu’il est né d’amours coupables du grand acteur Edward G. Robinson, le Rocco gangster de Key Largo. Gerardo en sourit. Et l’autre, la coiffeuse, cette rousse flamboyante aux « poumons » paraissant gonflés à l’hélium et qui a dû concourir pour être la doublure de Jayne Mansfield, n’est ce pas Maureen O’Hara, la Mary Kate de l’Homme Tranquille ? Cinéma, cinéma… Tout de même, ce salon de coiffure, c’est Hollywood. Remis de mon hypnose, déçu de retrouver mon identité véritable alors que durant une heure je me suis pris pour Humphrey Bogart, puis pour John Wayne, je repars à la découverte d’un Cuba que je fréquente depuis quarante ans. Cuba d’Est en Ouest. Moteur !
OFFRANDES À SAN LAZARO
Babalu Aye est dans sa maison. L’Orisha – le saint de la Santeria, la religion afro-cubaine syncrétique entre catholicisme et vaudous’appelle aussi San Lazaro dans la liturgie chrétienne. L’église catholique identifie Lazaro de Betania, ressuscité par le Christ, devenu évêque et maintenu comme tel par les évêques espagnols de Cuba au début de leur colonisation de l’île. L’autre Lazaro est celui de la parabole de l’Evangile, pauvre, affamé, perclus de plaies. La liaison culturelle des colonisateurs espagnols et des esclaves africains amenés sur l’île a produit ce syncrétisme religieux d’où est né Babalu Aye d’origine dahoméenne et ayant amené avec ses frères esclaves le culte vaudou. Comme chaque dix-sept décembre, Saint Lazare-Babalu reçoit dans son temple, El Rincon. L’endroit est fléché depuis la sortie de La Havane, quartier Boyeros vers l’aéroport. Il suffit de suivre les pèlerins qui se traînent avec douleur et courage vers la basilique sacrée. L’un vient de Alamar à vingt kilomètres de là, l’autre de Pinar del Rio à cent cinquante kilomètres, tant d’autres de si loin, tirant un pavé de trente livres noué à la cheville par une corde. Partis depuis hier, depuis une semaine, un mois. Branches de palmiers en mains, les chaperons balaient l’asphalte, donnent à boire à l’ami pénitent, quémandent, invoquent, psalmodient, chantent, dansent, remercient. Les marchands du temple proposent des statuettes de San Lazaro sur béquille, son chien fidèle à ses pieds. Un cirque de pacotille promet une femme à barbe enlacée avec un crocodile. Ça sent le porc grillé, la bière, le rhum et des fragrances suigeneris acides. L’ascète racle le bitume, avance regard perdu, possédé, Sisyphe têtu vers un Golgotha qui sera- dans une heure, dans l’après-midi, à la tombée de la nuit, son Eden promis par son cheminement sacrificiel. Les voici, les voilà pénétrant à grand-peine par la voie sacrée qui mène à l’église. Femmes, enfants, vieillards, paralytiques sociétaires d’un jour d’une Cour des miracles où l’aide soignant, le Père-Prêtre les bénira. Douleurs, extases, hystéries. Et Félicité ! San Lazaro, ton peuple de dévots a souffert. Accueille-nous !
CIENFUEGOS, À LA GLOIRE
DE BENI MORÉ
Cap au sud. Stop à l’escale-pause café à Aguada et sa locomotive musée, témoin des zafras d’un autre âge, la route serpente vers la mer Caraïbe et sa porte d’entrée, Cienfuegos la Française. Cette ville parle d’embruns et de douceur de vivre. La Française, car ici, comme en Oriente, les petits marquis colons français rejetés par la révolution haïtienne se sont installés dans une région moins sauvage que celle de la Sierra Maestra où ils avaient amené leurs cultures diverses (le café et la contredanse). Au coeur de cette ville très coquette, le théâtre Terry atteste de ces racines françaises. Il fut fondé par un lointain parent de Valery Giscard d’Estaing. La baie est une invite chaleureuse à une longue escale vers la Punta : ici cohabitent un délire hôtelier, le Catillo de Juagua, paraissant avoir été imaginé par un archi-
SON HISTOIRE ET SON ARCHITECTURE FONT DE TRINIDAD L’UNE DES PLUS BELLES VILLES D’AMÉRIQUE LATINE
tecte de Marrakech et des cabanons multicolores qui s’alignent comme des maisons de poupée sur le Malecón. L’histoire de Cienfuegos se confond avec la puissance industrielle agricole de la région où les exploitants de la canne tenaient à afficher leurs richesses dans des hôtels particuliers somptueux qui bordent le Prado, une artère qui fend comme une épée le coeur de la ville. Il ne faut guère aller très loin pour en découvrir le coffre-fort agreste. Vers la route qui mène à Trinidad par exemple. On s’enfonce dans un chemin caillouteux et découvre le hameau Pepito Tey. Ici tout s’est construit autour de la culture de la canne. Un manoir ayant appartenu successivement à un américain puis à un français est devenu un centre culturel qui n’a pas encore révélé toutes les archives de l’endroit. Comme dans le village de Marta Abreu où fonctionnait encore il n’y a guère un central, le moulin qui a drainé une population de paysans reconvertis aujourd’hui en cimentiers. Mais la terre et ses richesses locales ne sont pas les seules à figurer sur la carte d’identité de Cienfuegos. Un homme mérite à lui seul le titre d’ambassadeur culturel de Cuba. Il est né à trente kilomètres de là, à Santa Isabel de Las Lajas, un village au bout des champs de canne. Il s’appelle Beni Moré, connu sous le sobriquet affectueux de « El barbarodelritmo » La gloire de ce chanteur s’affiche sur les innombrables discothèques qui portent son nom. Chaque année, un festival de musique cubaine dédié à Beni Moré se déroule à Cienfuegos. Il faut lire L’îledes amourséternelles de Daina Chaviano qui en a fait l’un de ses personnages charismatiques de son roman. Sur un banc de la rue principale, face au musée del Barbaro trois ancianos racontent leur jeunesse : « J’en ai dépensé des chaussuresetdes pesossurlecomptedeBeniMoré, dit Alvaro. Il m’a fait danser etclaquer mes salairesde fin de s emaine. Je lui dois quelquesaventuressentimentales, compay. Ilavaitlamagiedanssavoixetsespieds. Tiens,rienqued’enparler,j’oubliemesrhumatismes. » Et Alvaro se redresse et esquisse des pas de danse. Mambo, ouuuuu !!!
VOIR TRINIDAD ET… REVENIR
Ce sont des cafetières italiennes en bois, sur toile, grandeur nature ou plus, de toutes les couleurs. L’artiste s’appelle Yami. Une belle jeune femme qui tient pinceaux et boutique à l’angle de la Plaza Mayor et de la Santissima Trinidad, l’église classée au Patrimoine de l’Humanité. Pourquoi la glorification de la cafetière ? L’artiste explique : « J’aivoulu traduireparl’humourl’étatdeservitudede lafemme.Elleémergetoutjustedeses drapsetlegrognementdesonhommelui ordonne« El café ! »avectoutefois,un« Mi Amor »pourfairepasserlasommation.Un ordretoutdemême. » Avec sourire, esprit et talent, Yami met sur ses chevalets et établis ses doléances pacifiques sur la vie de couple. Et garnit son tiroir-caisse de pesos. Mais à part le café ? Il faudrait un livre entier pour traduire l’incontournabilité – pardon pour ce barbarisme- de cette ville de Trinidad dans la découverte du pays. Son histoire et son architecture en font, selon les spécialistes, l’une des plus belles villes d’Amérique latine. Ici se sont construits des palais- Iznaga, Brunet- qui racontent l’opulence des seigneurs ayant fait fortune sur le dos d’esclaves. Ils n’avaient droit qu’à couper la canne et se taire tout alentour. Comme au Valle de los Ingenios, un paysage biblique à quinze kilomètres de la ville où se dresse une tour d’où les gardes-chiourmes surveillaient les candidats à l’évasion. Cette ville est un musée vivant. Naguère soucieuse d’une véracité conviviale, aujourd’hui convertie en galeries mercantiles : porteclefs et croûtes de vestales et de Cadillacs en papier mâché masquant les salons de demeures somptueuses où les vaisseliers garnis de Baccarats disparaissent sous une bimbeloterie de pacotille. On y accède par des ruelles qui ont heureusement conservé leur authenticité, des galets et pierres polies par le charroi et des millions de semelles de touristes : concession arrachée à la modernité et pour laquelle s’est battu, moyennant quelques années de prison, le père de Macholo, héros local disparu et architecte vénéré des Trinitéens. On en sourit même en consultant Leandro, le babalao, prêtre de la santeria qui dispense oracles et autres vérités suspectes transmises par ses relations avec l’au-delà, moyennant pesos, dollars, roubles, euros, yens et tout numéraire contre des prophéties monnaie de singe. Tout de même, débourser cent cinquante CUC, le dollar touristique, pour apprendre une infortune conjugale passée ou future, c’est cher payer l’investigation sur vos amours incertains. Qu’importe ! La guitare de Uria, le compositeur qui enflamme les soirées de La Ronda, un hôtel du centre-ville, confirme que cette ville répond bien à tout besoin de beauté et d’affabilité. Trinidad ? Incontournable, vous dit-on !
RODÉO À SANCTI SPIRITUS
L’autopistadéroule un bitume plus ou moins lisse vers le sud à la sortie de la fiévreuse Havane. Escortée par les champs de canne à sucre dressant leurs tiges-éventails vers un ciel bleu tenace. Les effluves et fragrances diverses montent de la terre et masquent
PÉTARDS, DANSES, BIÈRE ET RHUM À VOLONTÉ… REMEDIOS EST FRÉNÉTIQUE DURANT LA FÊTE DE LA NAISSANCE DU CHRIST
ce jour-là le parfum voluptueux des bananeraies. Ça sent le crottin de cheval, la bouse des vaches, le rhum et la barbe à papa. Les branches parasols des palmiers royaux semblent même escorter avec déférence le défilé des champions. Dadle,cojones ! C’est jour de rodéo. Un rendez-vous annuel où viennent s’affronter sur toute espèce de quadripède et dans la bonne humeur des moujiks tropicaux faisant jour de relâche. Les stockmen s’affichent le plus longtemps possible sur le râble de taureaux rebelles à cette surcharge humaine sur leurs flancs. Sous le regard attendri de parents fiers de leur progéniture, c’est l’examen de passage pour des enfants montés sur des Rossinantes déchaînées et zigzagant entre des poteaux plantés dans un champ de rodéo comme un parcours de slalom. C’est la consécration pour d’autres, cavaliers voltigeurs arrachant des rubans multicolores du cou des bovins jaillissant d’un portillon. D’autres paradent au bras de chéries fières de leurs machos tatoués par le soleil. Sancti Spiritus se lâche. Chevaux, vachettes et taureaux accompagnent les hommes dans ce jour de gloire du monde paysan.
NOËL FESTIF À REMEDIOS
« CenefutpaslaGuerre,maislaFête ». Il faut croire Ernesto. Le journaliste de la revue Trabajadores en a vu quelques-unes des Parrandas à Remedios. Les Parrandas, ce rendez-vous de Noël sont à Remedios ce que les carnavals sont à Nice, Rio de Janeiro ou Dunkerque. Et en cette fin d’année 2013, la compétition entre El Carmen et El San Salvador fut rude, sans concession de part et d’autre. Mais furieusement festive. Incertaine jusqu’à la messe de minuit. Pétards, danses, bière et rhum à volonté. Remedios, sur la route de Cayo Santa Maria est un bourg coquet, tranquille durant toute l’année mais frénétique durant les deux jours consacrés à la naissance du Christ. Cette tradition est née au début du ving- tième siècle d’une initiative de fidèles prosélytes conviant leurs voisins à se rendre à la messe de minuit. «N’allezpasaulit,companeros!Jésusv ousattendens on église! » Quoi de mieux pour contraindre ces réticences que d’embraser le village par des feux d’artifice et déclencher une guerre à coups de pétard. Des quartiers se sont pris au jeu et ont décidé de s’affronter pacifiquement dans la préparation et le défilé de chars consacrés à ce rendez-vous sacré de fin d’année. Depuis quatre mois, dans le secret, les supporters d’El Carmen et d’El San Salvador, ont dessiné, assemblé, collé les éléments qui figureront sur les chars. Les écoles de rumba s’entraînent, les musiciens répètent, les artificiers bourrent cartouches et mortiers. Candela ! Que la fête commence !
LES NOSTALGIES DE SANTIAGO
« Qu’estceque je peux t evendre aujourd’hui? » Eddy tient boutique calle Heredia, à deux cents mètres du Parque Céspedes, la place centrale de Santiago consacrée par l’Histoire et la religion. C’est du balcon de la cathédrale que le Pape Jean Paul II prononça son homélie réconciliatrice de la chrétienté mise sous le boisseau par la révolution castriste. Comme un immense défi face à l’Ayuntamiento, la bâtisse d’où Fidel descendu vainqueur de la Sierra Maestra afficha solennellement sa foi marxiste. Et tout à côté de la Casa Vélasquez, trésor d’architecture à la gloire des conquistadores espagnols : L‘Histoire ! Quelle histoire ! Eddy en vend par une bibliothèque sans cesse renouvelée. Sur des étagères gorgées de livres et de bimbeloterie, on côtoie Guevara et Louis Armstrong, Staline et Beni Moré, De Gaulle et Compay Segundo, et Fidel Castro, bien sûr. Eddy, naguère pharmacien, aujourd’hui libraire entre deux fioles de rhum, vend de la nostalgie à des touristes interpellés par le bric-à-brac et charmés par l’accueil du propriétaire qui sait comment s’y prendre pour faire fructifier son vide grenier ravivé par des arrivages quotidiens. Au fond de la boutique, trois guitareux, la bouche en choeur entonnent l’inévitable HastaSiempreComandante à la mémoire du Che en grattant des cordes qui pourraient jouer toutes seules à force de répéter cet hymne de la révolution. La nostalgie heureuse est le fonds de commerce de cette artère qui descend de la Plaza de Martes pour finir au Parque. Elle vend du son, de la guaracha, du guanganco, de la bachata et toutes les musiques latines dans le petit amphithéâtre de la Casa de la Trova. Ici, Compay Segundo, Ibrahim Ferrer, Pepé Sanchez hier, Eliades Ochoa encore aujourd’hui ont construit la légende des Pépés chanteurs du Buenavista Social Club. Sur ces deux cents mètres de mythologie musicale, on se retrouve imbibé définitivement par le tac-tac-tac de la clave, la crécelle des tambourins, le martèlement des bongos, la caresse des guitares. Musica, Compay ! Si la musique, dit-on, adoucit les moeurs, elle n’a pas effacé le cliquetis des armes. La Sierra Maestra, toute proche, recèle la mémoire des furieux combats qui ont ensanglanté l’Oriente, depuis le génocide
des Indiens par les conquistadors espagnols, jusqu’à leur expulsion et la rébellion castriste. La geste de ces luttes est sanctifiée sur la Plaza de la Revolucion où a été édifiée l’immense statue équestre d’Antonio Maceo, le général Mambi grand homme de la guerre d’indépendance. Et si nous n’étions pas suffisamment convaincu, il suffit d’emmagasiner dans son appareil numérique les nombreux dazibaos proclamant Santiago Ciudad Heroica. « Qu’estceque tuvas m’acheter, insiste Eddy. Tiens, j’aiunestatuettede Ochun.On mel’aramenéedelCobre. Monven deurm’a certifié qu’ill’ atrouvéedanslesaffaires de Hemingwaylorsqu’il estvenu remettresa médaille du Nobel à la basilique. Authen
tique, compay ». Invérifiable, cher Eddy. Mais El Cobre, vaut le détour. Surtout début septembre lors du pèlerinage d’Ochun, la déesse de l’amour dans la liturgie de la santeria. Des milliers de fidèles viennent y déposer fleurs et ex-voto à l’adresse de la Patronne de Cuba. Le flot, vêtu de jaune - la couleur exigée par la religion yoruba venue d’Afrique occidentale - entonne, se prosterne, se signe, s’exalte. Ochun a ce pouvoir étonnant d’avoir réconcilié chrétiens, santeros pratiquants et révolutionnaires marxistes. Fidel Castro y a déposé ses médailles à côté de celle du Prix Nobel d’Hemingway. En Oriente, tout peut arriver…
UN ÉDEN À BARACOA
« llssontfouscesHollandais… ». Germaine et Paulo, les Vendéens, n’en reviennent pas. Certes, ce n’est pas aux Sables d’Olonne que l’on peut se familiariser avec des montagnes style Tourmalet, mais voir des cyclistes escalader les lacets de la Farola, harnachés avec leur Quechua dans les sacoches et sous le cagnard d’Oriente, il faut être un Batave pour souffrir ainsi. Car la Farola, c’est quelque chose. Trente kilomètres d’ascension abrupte entre Imias et quoi, au juste ? Eh bien, le Paradis Majuscule. Ça s’appelle
Baracoa. Terre des Indiens, du moins des quelques rares descendants métissés de leurs pauvres aïeuls exterminés par les conquistadors d’Isabelle la Catholique. Pour la peine, les cyclistes auront gagné le droit de découvrir la lagune de Yumuri, le monolithe géant du Yunke, l’éden dont Christophe Colomb pensant découvrir Cipango, le Japon, a pu écrire sur le livre de bord de sa caravelle la Santa Maria « Jen’aijamaisvu deplusb eaupays, desfeuillesdepalmiersi grandesqu’elles serven tdetoit auxmaisons, surlaplage ,desmill iersdeco quillages, une eausilimpideettoujourslamêmesympho
nieétourdissantedeschantsd’oiseaux. » Heureux les baracoenes. Comme Raphael et Carmen, les Paul et Virginie du Rio Duabe, octogénaires et aussi amoureux que lors de leur première rencontre. Elle l’Indienne qui cultive son jardin de plantes médicinales, Lui champion du monde de grimpe au cocotier à quatre-vingt-six ans pour y cueillir de belles noix aussi grosses qu’un ballon de rugby. Ils ont l’avenir devant eux. Baracoa est le pays des centenaires. Comme la maman de Raphael qui vient de boucler ses cent dix ans. Elle entend bien, lit sans lunettes et vaque aux champs. Même sans y aller en vélo, Baracoa, ça se gagne.
UNE PRISON À GUANTANAMO ?
À part la « Guantanamera », chantonnée aussi bien du côté de Tokyo qu’à Reykjavik ou à Plan de Cuques, qui aurait pu se douter que cette scie musicale est née dans une ville oubliée de Cuba ? Cette dernière a été révélée « par procuration » grâce au drame des Twin Towers qui a mis à la une du monde entier la prison dite des présumés talibans. Et aujourd’hui encore, on s’en tient à la seule identité carcérale de Guantanamo. Or cette ville recèle un véritable magot à la fois historique et culturel. La naissance officielle de Cuba a été décelée avec l’arrivée de Colomb du côté de Baracoa, et Guantanamo, moins enclavée et voi- sine de cent soixante kilomètres, est devenue la première capitale de l’Oriente. Au coeur du brassage ethnique - Indiens, Africains, Espagnols, Français et autres -, la ville est devenue un lieu culturel illustré par des musiques et des danses héritières des nouveaux arrivants. Pour obtenir son passeport guantanamero, il ne faut pas manquer le festival du Changui qui se déroule en mai tous les deux ans dans lacalle Serafin Sanchez autour de la Casa del Changui. On traverse la rue et on débarque en France : des petits marquis en justaucorps et perruques donnant le bras à leurs belles en crinolines se signent et tournent au son des tambours sur le rythme du Danzon, traduction cubaine de la Contredanse. Nous sommes à la Tumba Francesa. Ailleurs, les rythmes du Kirigba et du Nengon rappellent les racines indiennes. Les deux compagnies, « Danza Fragmentada » et « Danza Libre », fournissent l’essentiel des « travailleurs » de la ville. Les répétitions dans la rue Los Maceos témoignent de cet ADN professionnel des danseurs locaux. Il se vérifie encore en fin de semana dans la Casa de la Musica voisine où le groupe Madera Limpia exalte une sexualité débridée dans un répertoire de regeton aux limites d’un érotisme inconnu ailleurs. La fiche d’identité de Guantanamo ne se limite pas heureusement à ces tréteaux artistiques. Cette ville a le privilège d’abriter la plus grande maternité du pays. Elle témoigne des activités charnelles qui ne connaissent pas la crise. Les juristes et ingénieurs sortent à foison chaque année des universités. Les étudiants et futurs diplômés de médecine sont parmi les plus visibles, à croiser sans cesse des jeunes gens en blouse blanche tout au long de la journée. On les retrouve d’ailleurs sous un autre uniforme le samedi soir à la Casa de la Trova ou parmi les regetonistes, de la Casa de la Musica. Et la prison, dira-t-on ? « N’enparlonspas, dit Lazaro un guitariste qui a fait son ser-
vice sur la frontière. Oualors,tuviendras me poser la question lorsque les Yankees nousrestituerontnotreterritoire. »« Quand ça? »« Quiensabe… » (Va savoir)
LES TRÉSORS ENFOUIS
DE MAYA LA GORDA
Le bonheur, c’est là-bas… Au bout du bout du bout de l’île. Faut y aller… Un jeu de l’oie en quittant les champs de tabac pour retrouver les archives maritimes de Cuba, c’est ainsi que les amis de La Havane appellent la botte géographique qui fait face aux États-Unis. C’est que l’histoire de Cuba se trouve par ici au fond des eaux dont l’apparente quiétude recèle des années de poudre, de sang, des duels de cape et d’épée, des canonnades que le cinéma s’est fait une joie de mettre en scène. Par quelques centaines de mètres sous l’eau, dorment paisiblement des caravelles, des galions, toute sorte d’embarcations qui ramenaient vers l’Europe des porcelaines rares, des louis d’or et toutes ces merveilles commanditées par les marchands de Séville et de Venise. Allons donc voir ! Vite dit et pas question de s’approcher de ces coffres-forts enfouis dans la vase et seulement visités par les langoustes, daurades et où seuls s’agrippent étoiles des crustacés divers. Les chercheurs de trésor enragent mais doivent se soumettre. Certains ont longuement insisté. En vain. Tel Henri Germain Delauze, le fondateur de la Comex, aujourd’hui décédé et qui pensait obtenir ce sésame des profondeurs après avoir construit le tunnel sous le port de La Havane. Il dut en rabattre comme tant d’autres et se contenter de mettre masque et tuba à seulement quelques encablures du club-house, de Maria La Gorda. Comme un touriste quelconque. La mise à l’eau est tout de même un grand moment pour les milliers d’amateurs de plongée en bouteilles. Cette station figure sur le parcours des passionnés au même titre que la Grande Barrière d’Australie ou la Mer Rouge. Malgré la frustration de ne pas voir les étoiles de mer collées à la porcelaine chinoise, là-bas, tout à côté…
LES CHURCHILL DE PINAR DEL RIO
Comme le racontait un jour Ramon Collazo Truabijo, un vieux torcedor, rouleur de vito- las, c’est à Churchill que le cigare cubain doit sa renommée mondiale. Durant la dernière grande guerre, par l’intermédiaire du président des États-Unis Roosevelt, on fit savoir aux autorités cubaines que le premier ministre anglais appréciait par-dessus tout ficher un barreau de chaise entre ses dents avant de prendre une grande décision. Ramon se persuada que le sort du monde libre tenait à la magie de ses mains. L’artisan d’Artemisa, à soixante kilomètres de La Havane, obtint sa consécration lorsqu’on lui apprit que Staline, jaloux de l’Anglais, demanda le même module. Voici comment est née la légende du Churchill. À vrai dire, ce parrainage prestigieux était inutile pour parler de la qualité du cigare cubain. Le tabaco est avec la beauté des femmes, le rhum et la rumba, la fiche d’identité cubaine. Comme les immeubles du Malecón de La Havane, le front de mer dévasté par les embruns, les champs de la Vuelta Abajo dans la région de Pinar del Rio méritent de figurer au Patrimoine de l’Humanité. Les plants voluptueux et les hommes qui les font pousser en sont les récipiendaires. Sans oublier les boeufs qui tractent le socle des charrues sur cette terre ocre. La légende est portée par ces femmes qui veillent avec amour sur les feuilles pendues dans les séchoirs sous les toits de chaume. Elle court autour des grands noms de cette industrie, comme celui de Robaina qui, jusqu‘à sa mort audelà des quatre-vingt-dix ans, recevait les grands du monde sur son rocking-chair. On se photographiait à ses côtés comme à ceux d’une star hollywoodienne. Par ici, la nature n’a pas été avare de beauté. Elle présente ses plus beaux atours dans la vallée de Vinales : c’est l’oeuvre plein champ d’un peintre impressionniste de l’univers qui aurait posé sur sa toile ces collines rondes et vertes, comme d’énormes croupes d’éléphants dans un tableau biblique. Le bonheur est bien dans les prés.